Page images
PDF
EPUB

sont victorieuses, vous ne serez pas vainqueurs; vous n'avez qu'une bataille à perdre, nous en avons cent, et il nous resterait encore assez de force pour vous résister : les nations ne périssent pás, elles ont le moyen de se défendre quand elles en ont la volonté, et la volonté ne peut leur manquer lorsqu'on les menace dans leurs intérêts les plus chers.

« Vous nous accusez de nous réjouir des progrès de la liberté en Europe; oui, nous nous en réjouissons, nous faisons des vœux pour le triomphe de la civilisation contre la barbarie, pour le triomphe de la justice et de la raison contre les priviléges et les préjugés. Nous faisons plus, nous désirons qu'il pous soit permis de prêter au succès de cette cause d'autres secours que des vœux. L'aristocratie a fait son alliance; nous désirons que les peuples constitutionnels fassent la leur. Eh! messieurs, ne faites-vous pas partie de l'alliance de l'aristocratie européenne? n'avez-vous pas été identifiés avec tous les congrès ? Pourquoi les peuples ne pourraient-ils pas se lier aussi contre leurs ennemis communs?.... »

Ce discours, dont le côté gauche demandait l'impression, fut attaqué par le côté droit, et surtout par M. le garde des sceaux, comme une provocation formelle contre l'autorité du Roi et des chambres..... M. le général Demarçay, en insistant sur la demande de l'impression, soutint qu'un orateur à la tribune avait droit d'émettre son opinion tout entière; puis, examinant le principe même de la charte pour en déduire la nécessité de s'y conformer scrupuleusement, il dit que le gouvernement était fondé en Francé sur un acte peut-être irrégulièrement donné, mais devenu légitime par l'acceptation de toutes les parties.....

Ici la querelle se porta, plus animée que jamais, sur un terrain plus vaste. Du côté droit on demande le rappel à l'ordre de l'ora teur avec censure; on se récrie sur ses expressions, « qui attaquent la souveraineté du roi, qui supposent que la France est en révolution ou qui provoquent une révolution. (M. Bazire. ) — Du côté gauche, M. Manuel, développant ce que M. le général Demarçay avait voulu dire et le sens dans lequel il avait voulu le dire, s'étonne que l'on appelle factieuse une opinion qui, regardant la charte comme la loi de la nation, et, puisqu'elle l'a acceptée, devenue irrévocable, tend à concilier tous les esprits..... Puis, examinant s'il est vrai que ce soit le roi lui-même qui doive être appelé le souverain....., il ajoute :

« Je ne veux pas examiner, je n'ai pas besoin d'examiner quelle était l'exisence du souverain en France avant la charte; mais depuis que par la charte

on a fait un traité destiné à cimenter notre repos et notre avenir sí maladroitement troublé depuis cette époque, il est absurde, il est révolutionnaire de prétendre que la souveraineté est ailleurs que dans les trois pouvoirs. C'est là qu'elle réside, c'est par eux qu'elle est exercée. Je ne viens pas dire que le roi a disposé de ce qui n'était qu'une délégation ; mais que nos adversaires viennent nous dire s'il existe un autre souverain que celui qui fait les lois, si la loi n'est pas le véritable souverain, si le roi n'y est pas soumis comme les autres citoyens..... Si la loi est souveraine, c'est dans ceux qui font la loi que réside la souveraineté......

- La chambre, dit alors M. le garde des sceaux, a entendu ce qu'on n'aurait jamais dû lui faire entendre... Si vous voulez la charte ( s'adressant au côté gauche ), ne l'attaquez donc pas dans son principe; n'essayez-donc pas de flétrir son origine, de ruiner sa base; n'attaquez pas le droit de son auguste auteur. Et en effet, ne l'attaquez-vous pas, en niant sa souveraineté, en la niant, parce que vous donnez l'interprétation la plus fausse à ce mot souveraineté, que vous ne comprenez pas ? Vous expliquez la souveraineté comme le despotisme, comme la tyrannie, comme un pouvoir malfaisant, qui peut tout détruire, qui, hors de lui, ne connait aucun droit. Eh bien! en France, nous sommes plus fibres que cela depuis long-temps. A côté de la souveraineté du roi, et sous sa protection, nous avons toujours maintenu les droits des sujets; et c'est dans cette distinction que réside l'accord du pouvoir et, des libertés. Tous les droits avaient été détruits, toutes les libertés anéanties par La révolution, qui ne sut fonder qu'une succession de tyrannies spoliatrices et sanguinaires. Le roi parut ; avec lui, avec le pouvoir légitime, avec la souveraineté du roi, reparurent les droits et les libertés, à la place des anciens droits détruits; le roi s'est empressé de concéder à la nation les droits et les libertés fondés par la charte; droits aussi sacrés que la souveraineté du roi, dont ils émanent. Voilà la base de notregouvernement représentatif et législatif. »

Répondant ensuite aux reproches faits au gouvernement d'avoir détruit la charte par des lois d'exception, M. le garde des sceaux remarque une sorte de contradiction entre ce reproche et la définition de la souveraineté, qu'on a placée dans les trois pouvoirs qui font la loi. Que ces lois, attaquées par l'opposition comme destructives de la charte, y ont été prévues. -La La charte, ajoute-t-il, semble n'avoir été entendue que dans un seul point par l'augmentation de la chambre des députés, nouvelle concession du roi à ses peuples, condition sans laquelle il était impossible de faire une bonne loi d'élection... Quant à cette dernière, elle était dans le véritable esprit de la charte, et la furcur ne s'est si violemment manifestée contre elle que lorsque toutes ses espérances ont été détruites par le résultat de l'immense majorité des élections...

Cette séance, où le général Foy et M. de Vaublanc remirent encore sur le tapis la grande question de la souveraineté, chacun dans le sens du côté où il siége, avait fatigué tous les partis. La chambre y mit fin en prononçant le rappel à l'ordre du général Demarçay, et son refus pour l'impression du discours du général Tarayre.

Dans ces violentes attaques ou ces graves discussions, les détails financiers qui n'avaient pour objet que la loi paraissent ternes et fastidieux. On ne prêtait qu'une attention froide et distraite à l'examen critique de l'emploi de la fortune publique; MM. Ganilhet Labbey de Pompières relevèrent, dans les comptes de 1819, des contradictions ou des omissions, des transports de dépenses d'un budget à l'autre, des allocations de crédit non autorisées, errcurs ou irrégularités qui leur semblent venir surtout du défaut de spécialité. On leur prêtait à peine un moment d'attention; les événemens du dehors avaient alors sur les délibérations de la chambre la plus fâcheuse influence. Les premières hostilités entre l'Autriche et les Napolitains, et l'insurrection du Piémont, opéraient à la bourse une baisse considérable, tenaient le public dans l'attente, et les partis de la chambre dans une irritation qu'un mot imprudent échappé dans la chaleur de l'improvisation soulevait de toutes parts.

Au milieu de ces dispositions, on apprit qu'un mouvement séditieux venait d'éclater à Grenoble. Des malveillans avaient répandu le bruit qu'une révolution s'était opérée à Paris; que le roi avait abdiqué; que le duc d'Orléans était nommé régent et chef d'un gouvernement provisoire; que la constitution de 1791 était proclamée, le drapeau tricolore arboré, etc. Le 20 mars au matin, un rassemblement de cinq à six cents individus s'était porté à l'hôtel de la préfecture, comme pour avoir des informations plus précises sur la révolution annoncée.

Le préfet de l'Isère (M. le baron d'Haussez) avait en vain essayé de rassurer des agitateurs qui ne voulaient pas l'être; au sortir de la préfecture ils avaient, suivant la dépêche du préfet, pris la cocarde tricolore et promené dans les rues plusieurs drapeaux aux mêmes

etc.

couleurs, en criant vive la constitution! à bas la charte! etc., Mais le lieutenant-général Pamphile de la Croix, cominandant de la division militaire, ayant fait mettre les troupes de la garnison sous les armes, marcha droit aux séditienx. La résolution de sa conduite et de celle du préfet, et la bonne contenance de la troupe, suffirent pour les disperser; on en arrêta quelques-uns; le reste n'a plus reparu. La ville fut mise en état de siége pendant huit jours (du 20 au 27).

Au fait, ce mouvement n'eut aucun autre résultat sérieux que la suppression de la faculté de droit de Grenoble (ordonnance du 2 avril), motivée sur ce « qu'un grand nombre d'étudians avaient fait partie des attroupemens qui avaient arboré le drapeau de la rébellion, et la condamnation à quelques mois de prison de peu d'individus arrêtés dans les groupes, conformément aux lois. D'ailleurs le général Pamphile de la Croix eut le grand cordon de la Légion-d'Honneur, et plusieurs militaires, officiers ou soldats, reçurent de l'avancement ou des décorations, en récompense de leur bonne conduite et du dévouement qu'ils avaient montré dans cette affaire.

Les mêmes bruits avaient été répandus sans succès à Lyon; mais le mouvement qu'ils avaient occasionné à Grenoble, d'autant plus alarmant qu'il semblait se lier à la révolution du Piémont, fit prendre des précautions, et M. le maréchal duc de Bellune fut envoyé pour prendre le commandement des trois divisions militaires. Il établit son quartier-général à Lyon, où sa présence acheva de rétablir la tranquillité, là comme sur toute la frontière, dans le temps que durèrent les troubles d'Italie.

Dans cette crise, où les partis n'étaient que trop disposés à s'accuser des dangers dont l'ordre politique et social était menacé, arriva au gouvernement la nouvelle de la défaite des Napolitains à Riéti. (Voyez au chapitre des deux Siciles.) Le ministre crut devoir informer les syndics des agens de change, avant l'ouverture de la bourse, d'un événement qui pouvait fixer les incertitudes, déconcerter les manœuvres de l'agiotage, et faire hausser le cours des effets publics.

Les expressions de cette note n'étaient rien moins que favorables au succès de la cause napolitaine, tant de fois appuyée dans cette session par les orateurs de l'opposition. M. Casimir Perrier la dénonça comme l'acte d'une influence illégitime exercée sur la bourse, reproche énergiquement repoussé par le ministre des finances; d'autres en prirent occasion de s'élever contre le système du gouvernement français, « qui prétendait être en paix avec Naples, mais qui ne paraissait avoir adhéré à la neutralité qu'avec des restrictions. » Voilà, dit M. de Chauvelin, ce qui résulte de notre coopération au congrès de Laybach, de la nomination du ministre (M. de Blacas ) qui accompagne le roi de Naples séparé de son peuple; voilà ce qui résulte de l'acte qui a engagé le roi à quitter ses états et à se rendre au congrès, où il faut que sa volonté ait été bien torturée, car nous avons entendu les premières expressions de sa volonté, et les engagemens qu'il avait pris; et la loyauté doit être le caractère de tout ce qui appartient à une telle famille.... Ainsi vous vous êtes livrés aux chances d'une guerre qui peut durer long-temps; vous êtes restés au-dessous de l'état de neutralité; vous ne vous êtes pas alliés à un gouvernement constitutionnel, et vous avez penché vers ceux qui leur déclarent une guerre à mort. »

[ocr errors]

Le général Foy aussi regarde comme une attaque à la neutralité l'annonce extraordinaire d'une victoire des Autrichiens. Rclativement aux affaires de Naples, il trouve que le gouvernement a une diplomatie en partie double, ce qu'il explique par la nomination de M. de Blacas auprès du roi, et le séjour à Naples d'un autre chargé d'affaires, et par la résidence continue à Paris de M. le prince de Castelcicala, toujours reconnu comme ambassadeur de Naples, quoique rappelé et remplacé par le prince Cariati.... Enfin, dans l'état actuel de l'Europe, ajoute le général, c'est une nécessité pour les gouvernemens constitutionnels de se liguer, de se coaliser pour résister aux invasions du nord.... La Frauce, placée entre l'Italie, l'Espagne et l'Angleterre, ne pourra pas rester neutre.... Elle sera obligée de prendre un parti décisif. Quel que soit ce parti, il faut être franc, il faut avoir une ar

« PreviousContinue »