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Pour parvenir promptement à l'organisation de la république fédérale des Hellènes, les municipalités, juntes ou sénats des divers Etats devaient nommer des députés à un congrès général, chargé de faire la constitution hellénienne. Ces nominations se firent partout avec le même zèle pour le succès de la cause commune. On trouve dans la liste des membres de ce congrès, composé de soixante-dix membres, tous les noms des prélats, négocians, guerriers, qui avaient fait la révolution, et des chefs de famille dont les racines tiennent à l'empire grec.

Ce

congrès, présidé par Alexandre Mavro-Cordato, et convoqué au mois de novembre dans l'antique Argos, fut transporté ensuite à Epidaure, où il s'occupa sans relâche du premier objet de ses travaux. C'est là que, le 1er jour de l'année grecque ( 13 janvier 1822), il a été publié une constitution fondée sur l'égalité des droits, la liberté des cultes, la séparation des pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, sur l'amovibilité des membres du conseil exécutif, et sur la conservation des gouvernemens locaux, c'est-à-dire, sur l'Etat fédératif; constitution purement républicaine, très-éloignée des idées qu'aurait voulu faire prévaloir Démétrius Ypsilanti.

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Cette publication faite, Alexandre Mavro-Cordato, homme de talent et d'énergie, a passé de la présidence du congrès à celle du conseil exécutif, où sont entrés le prince Mavro-Michale, l'archevêque Germanos et d'autres chefs de la révolution, et le siége du gouvernement général a été établi à Corinthe, comme le poin le plus sûr et le plus central de la fédération.

Malgré tant d'efforts, de sacrifices et d'exploits pour le succès d'une lutte inégale, ce n'était ni sur les monts, ni dans les champs, ni sur les mers de la Grèce que devait être résolu le problème de son indépendance. Elle avait perdu, si l'on en croit des calculs sans doute exagérés, au-delà de deux cent mille chrétiens, la plupart massacrés; elle avait vu périr misérablement son patriarche et un grand nombre de ses prélats, démolir ses églises, piller ses monastères, dévaster ses provinces: mais tant de sang et de désastres étaient en pure perte, s'il ne se faisait une diverAnnuaire hist. pour 1

1821.

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sion puissante en sa faveur, ou du moins s'il ne s'élevait un grand médiateur pour elle. Aussi tous les yeux tournés vers Constantinople et Pétersbourg attendaient des efforts de la diplomatie une décision plus importante aux destinées de la Grèce que gain ou la perte d'une bataille.

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Depuis plus d'un mois que la dernière note russe avait été remise au Reiss-Effendi, le Divan ne se mettait pas en peine d'y répon dre. A toutes les instances des ministres médiateurs (lord Strangford et M. de Lutzow), il ne donnait que des réponses vagues, évasives, et cependant tout autour d'eux grondaient les passions d'une soldatesque féroce, ignorante et fanatique, impatiente des combats dont elle ne prévoyait pas le danger pour l'empire du Croissant. Constantinople et ses faubourgs présentaient l'aspect 'd'un camp de barbares, retentissant de cris de guerre, d'imprécations contre tous les chrétiens et du bruit des armes à fen. Des têtes exposées chaque jour aux portes du sérail, des exécutions fréquentes occupaient la fureur du peuple. Cependant les incendies, signal du mécontement des janissaires, se multipliaient; le grand-seigneur ne sortait plus du sérail que pour se rendre le vendredi à la grande Mosquée; il était de nouveau question de demander la tête du favori Halet-Effendi et de ses créatures, de s'emparer de la personne du jeune Abdul-Ahmed, fils du sultan et unique héritier de l'empire.... Dans cet état de crise, où les ministres médiateurs montrèrent une patience, un calme et une fermeté sans exemple, où les Francs se tenaient renfermés dans leurs maisons, un Tartare porta à Belgrade un bruit, qui se répandit de là dans toute l'Europe à défaut de nouvelles officielles, que Constantinople avait été pendant plusieurs jours le théâtre des plus affreux désordres, que tous les Grecs et tous les Francs avaient été massacrés, les ambassadeurs insultés, le grand-seigneur, son fils et tous les favoris égorgés.... Au fait, ce bruit n'était qu'une manoeuvre d'agiotage, ou que l'effet naturel des craintes qu'inspirait l'aspect de Constantinople: enfin, après bien des représentations et des instances pour obtenir une réponse à l'ultimatum russe, que le divan avait décidé de rejeter catégoriquement, et qu'il

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a ensuite renvoyé à la décision particulière du grand-seigneur, le Reiss-Effendi remit le 10 décembre à lord Strangford une note (datée du 2 décembre) où, après avoir exposé ce que la Porte avait fait pour l'exécution des traités ce qu'elle devait faire contre les rebelles pour le maintien de son autorité et de ses droits, elle consentait cependant à ajourner sa juste prétention sur les transfuges; mais elle refusait d'évacuer les deux principautés tant que la rébellion n'y serait pas apaisée, se réservant seulement d'y maintenir le nombre de troupes suffisant pour protéger le pays contre les brigands; de consentir, aussitôt que la révolte serait apaisée, autant que la loi le permet, à la réparation ou reconstruction des églises qui existaient autrefois, de faire alors cesser les punitions, et de continuer à protéger ceux qui n'auraient pas levé l'étendard de la révolte. (Voy. l'Appendice.)

Quoique cette note ne répondit d'une manière positive, péremptoire et satisfaisante à aucune des demandes de la Russie, les ministres médiateurs ne perdirent pas toute espérance. En transmettant cette réponse au cabinet de Pétersbourg, on lui fit entendre que les Turcs ne montraient aucune disposition à faire la guerre, qu'un délai n'avait rien de préjudiciable pour la Russie; en sorte que la fin de l'année arriva sans qu'il y eût rien de décidé sur la question de la paix ou de la guerre.

On était dans cette incertitude lorsque M. de La Tour Maubourg, nommé depuis un an ambassadeur de S. M. T. C. à Constantinople, y arriva, le 26 décembre, avec une légation et une suite nombreuse. Il y fut reçu avec les égards dus à l'ambassadeur d'un ancien allié de la Porte. Il est difficile de dire quelle part il prit aux négociations, mais on sait que sa mission était toute pacifique, dans l'intérêt du repos de l'Europe.

Jamais querelle diplomatique n'avait excité tant d'attention: tous les cabinets, tous les peuples, tous les individus en étaient occupés, non pas seulement comme d'une question de politique étrangère ou d'intérêt général, mais de politique nationale et d'intérêt de parti. Toutes les passions qui peuvent émouvoir les hommes. en étaient soulevées. Jadis on n'aurait vu dans cette sollicitude des

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cabinets médiateurs que le désir d'empêcher l'agrandissement de la Russie, de maintenir l'intégralité de la puissance ottomane,. c'est-à-dire un restant d'équilibre. A ce titre, l'intérêt de l'Autriche et de l'Angleterre était déjà de toute évidence; car aucune cession de territoire ne pouvait compenser pour l'une ou pour l'autre le danger du contact continental ou maritime dont elles étaient menacées; et pour ceux mêmes dont l'émancipation de la Grèce flatte les idées généreuses, le dérangement politique qu'elle pouvait occasionner avait de quoi les arrêter.

Mais ici la question territoriale n'était pour personne la plus importante et la plus délicate; on ne pouvait raisonner de la guerre qui s'annonçait d'après les lois, les maximes, les dogmes et les documens de l'ancienne politique. Les idées de Pierre-leGrand et de Catherine II ne pouvaient plus être celles du chef de la Sainte Alliance. Dans le cours des idées du siècle, l'ambition des cabinets de premier rang n'est plus de gagner quelques provinces, d'augmenter leur puissance territoriale, quand leur puissance politique leur paraît sérieusement menacée. On se flattait d'avoir établi pour long-temps l'ordre et le repos de l'Europe par la Sainte Alliance et par les engagemens d'Aix-la-Chapelle; mais quels que fussent les arrangemens préliminaires des cabinets, il ne leur était pas donné de prévoir et d'empêcher les chances qu'une guerre entre la Russie et la Porte portait dans son sein.... C'est dans cette idée qu'il faut chercher le motif d'une si opiniâtre résistance à repousser une guerre, désirée d'autre part comme une voie large ouverte aux révolutions.

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CHAPITRE IX.

Etat du pays. — Bandes royalistes. Troubles à Madrid. — Affaire des gardes du corps. Ouverture de la session des Cortès. — Discours du roi. — Changement de ministres. — Rapport sur l'état du pays, et discussions qu'il excite. Tentative du curé Mérino. - Jugement et assassinat de Vinuesa. Travaux des Cortès.-Clôture de la session ordinaire. -Suite des troubles à Madrid. Démission du général Morillo. - Complot de Saragosse. Exil du général Riego. Procession de son buste en diverses villes. — Ouverture des Cortès extraordinaires. · Peste à Barcelonne. Changement des chefs politiques et militaires de Cadix et de Séville. - Résistance des autorités. - Discussion des Cortès à ce sujet. — Agitations générales. Cordon sanitaire français. — Insurrections en Navarre.

à la

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Nous avons laissé l'Espagne, à la fin de l'année dernière, tourmentée par des factions et désolée par des bandes qui préludaient guerre civile; nous la retrouvons maintenant au même état. A Madrid, la guerre est allumée entre le ministère et le club de Malte, où l'on prêche ouvertement des maximes subversives de la monarchie dans les provinces du midi, Kernandès dit l'Abuelo est pris à Helechosa près de Tolède, le 31 janvier, mais Zaldivar continue impunément ses courses dans l'Andalousie et l'Estramadure au nord, Isar, surnommé le boucher, désole les environs de Burgos, et le curé Mérino recueille dans la Navarre et dans la Catalogne les restes de l'armée de la foi il tient en échec une partic de l'année les milices et les troupes régulières de la pro

vince.

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Le ministère, harcelé par les orateurs du club pour sa lenteur à faire marcher la constitution, à sévir contre les conspirateurs, à éloigner les serviles des emplois, donnait pourtant des gages de son attachement au nouvel ordre. Il venait de nommer capitaine général de l'Aragon le général Riégo, qui fit une entrée triomphale à Burgos le 8 janvier. — Quelques jours après, le lieutenant-général don Juan O'donoju fut fait capitaine-général de la

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