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de Cassonissi, où ils auraient été dépouillés et massacrés sans l'intervention du consul français (M. Bomfort), qui leur sauva la vie en les emmenant à Scala-Nuova. Quelques jours après, le fort de Navarins, réduit aux mêmes extrémités, ouvrit ses portes au prince Démétrius Ypsilanti, en vertu d'une capitulation qui leur garantissait la sûreté de leurs personnes et de leurs propriétés. Mais au moment de la remise de la place, les soldats, et même des officiers trompés dans leurs espérances de pillage, se révoltèrent contre leur chef, dépouillèrent les Turcs, en égorgèrent plusieurs, en retinrent d'autres en otage, et laissèrent, à leur grand regret, embarquer le reste, qui fut dirigé sur Candie.

Indigné de ces cruautés, atroces représailles des horreurs commises par les Tures, fatigué de l'indiscipline des soldats et des dégoûts continuels qu'il éprouvait de la part des autorités du pays, Démétrius-Ypsilanti quitta le commandement, se rendit à Calamata, d'où il publia une proclamation portant, qu'après les événemens qui venaient de déshonorer l'armée grecque, il abandonnait le Péloponèse avec la ferme résolution de n'y pas revenir que tous les chefs ne se déclarassent disposés à se réunir en assemblée, dans une ville sûre, afin de s'accorder sur les moyens de délivrer Ja patrie, et de lui donner (à lui Démétrius-Ypsilanti) le pouvoir nécessaire pour punir désormais ceux qui se rendraient coupables d'insubordination.

La menace de sa retraite, annoncée avec fermeté, fit sur l'esprit des chefs et des insurgés l'impression qu'il en avait attendue. Ils concurent que l'anarchie allait les livrer sans défense au glaive des Tures, et le sénat de Calamata envoya à celui d'Hydra une députation pour délibérer ensemble des moyens de rétablir l'ordre. On parvint à s'entendre. Il fut résolu que les trois îles seraient réunies sous le même gouvernement que la Morée, et qu'il serait formé un congrès composé des députés de toute la Grèce. C'est à dater de cette époque qu'on voit poindre un peu d'ordre et d'harmonic dans les opérations de la fédération hellénique. Le sénat du Péloponèse se constitua le 1er septembre à Calamata; il

donna des pouvoirs aux généraux qui commandaient sur divers points, et il envoya des invitations à toutes les provinces grecques de nommer des députés pour en former le congrès général.

Tandis que ces événemens se passaient en Morée, le pacha de Salonique ayant reçu des renforts considérables en troupes asiati ques, en retenait une partie pour une nouvelle expédition qu'il méditait contre Cassandra, et il envoyait le reste en Thessalic.

Cette nouvelle arinée, commandée par quatre pachas, traversa presque sans résistance la Macédoine et la Thessalie maritime. Les insurgés se replièrent devant elle jusqu'au passage des Thermopyles, où elle arriva le 4 septembre, et trouva les Grecs décidés à le défendre.

Odyssée s'y était porté. Le 5. septembre, deux heures après le lever du soleil, les Turcs se présentèrent pour forcer le passage, sous le feu de la mousqueterie des Grecs, embusqués en guérillas sur les croupes et dans les défilés. Leur opiniâtreté était soutenue par des troupes fraîches qui, se poussant toujours en avant, empêchaient les autres de reculer en leur fermant le passage. Ils y perdirent beaucoup de monde. Enfin l'un des chefs grecs, Pallascas, étant tombé sur eux à la tête de quatre cents guérillas, les musulmans se retirèrent en désordre, laissant dans les défilés, environ douze cents morts, et au pouvoir des Grecs trois cents chariots chargés de munitions et de vivres, sept pièces, de canon, dix-sept enseignes, et presque tous leurs bagages. Dans leur retraite, ils furent de nouveau battus à Zeitouni, où ils perdirent trois à quatre cents hommes, cinq cents chevaux et quelques pièces d'artillerie.

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En Epire, Chourschid-Pacha s'était borné presque tout l'été à bloquer étroitement Ali, lui faisant quelquefois des propositions de paix, à la sincérité desquelles Ali ne croyait pas. Mais ayant enfin reçu sept à huit mille hommes de renfort du pacha de Scodra, Chourschid fit au commencement de septembre une attaque sur les Souliotes qui occupaient Placa, position forte sur les basses chaînes du Pinde, à quelques lieues de Janina. Il y éprouva un échec considérable, à la suite duquel les Souliotes s'emparèrent

du fort des Cinq-Puits (cinqué Pozzi) et coupèrent les communications de Chourschid avec Arta, où Hassan Pliassa et PaschoBey s'étaient enfermés.

Alors arrivait du l'éloponèsé à Souli le prince Alexandre Mavro-Cordato, issu d'une ancienne famille grecque qui a donné des souverains à la Valachie et à la Moldavie. Il était chargé par le sénat de la Morée d'organiser le gouvernement de l'Etolie, de l'Acarnanie et de l'Epire. Sa mission eut le plus heureux succès. Il se forma sous sa présidence, d'abord à Souli, puis à Vrachori, un sénat composé de prélats et chiefs des trois provinces, Etoliens et Souliotes. On y vit meine figurer un député des Toxides, de la tribu d'Ali.

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De son côté, Démétrius Ypsilanti, mettant à profit les dispositions du sénat péloponésien, avait fait commencer le siége de Tripolitza, événement le plus important de la campagne dans la Morée. La se trouvait, comme on l'a dit, Nazir-Bey, kiaya ou liedteuant du pacha Chourschiid, avec une bonne garnison, et une popopulation composée de familles turques réfugiées de tous les environs, évaluée à trente-six mille individus. La place, entouréc de fossés, avait un mur d'enceinte flanqué de tours, et fortifié de quelques retranchemens intérieurs et de maisons crénelées. C'en était assez pour arrêter long-temps une armée dénuée des moyens et des procédés de l'art pour faire un siége régulier.

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L'armée grecque, forte de quinze à vingt mille hommes, Maniotes, Hydriotes, Argiens, était commandée par Pierre MavroMichale et Colokotroni, sous les ordres de Démétrius Ypsilanti, qui s'en absentait souvent pour se porter, tantôt à l'isthme de Corinthe, menacé par Mehemet-Pacha, tantôt sur Patras, d'où Jussuf faisait des sorties fréquentes et souvent heureuses.

Après plusieurs semaines d'un siége fait et soutenu avec un courage égal, on parlait de rendre la place par capitulation, lorsque la nouvelle de l'apparition de la flotte ottoniane dans les parages du Péloponèse et l'espérance des secours qu'elle apportait rendirent le courage aux musulmans. Alors, pour mettre la garnison dans la nécessité de se défendre à toute extrémité, les chefs

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firent massacrer environ quatre-vingts Grecs ecclésiastiques ou principaux habitans du pays retenus en otage. L'imagination des soldats ainsi exaltée par la terreur de la vengeance des chrétiens, le siége fut repris avec plus d'acharnement que jamais. Enfin le 23 septembre (5 octobre), le capitaine parganiote Képhalas, apercevant qu'une partie des remparts, dont la garde était confiée anx Albanais, était négligemment gardée (on a dit que c'était une trahison ménagée de longue main avec les Albanais), y fait appliquer les échelles, escalade le mur avec quelques intrépides soldats, s'empare d'une tour, y plante le labarum, et, bientôt, secouru de quelques canonuiers hydriotes, en tourne les pièces sur la ville. A la vue du labarum flottant sur cette tour, au bruit du canon qui battait l'intérieur de la place, le général Pierre Mavro-Michale, qui commandait du côté opposé de la ville, monte à l'assaut à la tête de ses Maniotes; Colokotroni en fait autant. Les Turcs, repoussés de la première enceinte, se renferment dans les retranchemens intérieurs avec leurs familles, et de leurs maisons crénelées ils continuent à se défendre. Les Maniotes y mettent le feu; toute la nuit on se bat à la lueur de l'incendie. Là, des milliers de femmes et d'enfans se font tuer à côté de leurs frères, de leurs époux et de leurs pères. Le lendemain, le combat continua de rue en rue au milieu des décombres. Le kiaya-bey offrit enfin de se rendre, en demandant qu'on lui fit grâce de la vie pour lui et les siens, et qu'on respectât les femmes turques réfugiées dans le harem du Pacha on le promit. Les postes encore défendus furent remis aux Grecs; mais dans un accès de fureur excitée par une résistance si acharnée, ou parce qu'on ne trouva aucun des Grecs qui avaient été pris comme otages le massacre recommença, et la plupart des Turcs, qui se reposaient sur la foi de la capitulation, furent impitoyablement égorgés sans distinction d'âge et de La plume se refuse à décrire les horreurs qu'on en a racontées, tristes représailles d'une guerre dont nulle autre ne peut donner l'idée. Il y périt plas de huit mille musulmans,

sexe....

-Au milieu des désordres, il est pourtant juste de remarquer que la fureur du soldat respecta le harem du pacha, la vie du kiaya

bey, qui fut traité avec distinction, et celle du bey de Corinthe, dont on espérait l'entremise pour la reddition de l'Acropole de Corinthe. Un officier anglais, débarqué le 7 août sur un bâtiment chargé de munitions, et qui avait embrassé la cause hellénique avec ardeur, M. Gordon, fut nommé gouverneur de Tripolitza et chef de l'état-major d'Ypsilanti. Mais soit qu'il eût été révolté des horreurs commises dans cette place, soit par des raisons secrètes, il abandonna peu après le pays et la cause.

Quoiqu'il soit resté de cette affaire une tache indélébile sur la nation qui préludait par tant d'atrocités à l'établissement de son indépendance, la prise de Tripolitza n'en était pas moins un succès important. On y trouva des armes, des munitions et une somme considérable en piastres turques, provenant des caisses de plusieurs pachas qui avaient transporté leurs trésors dans cette place au moment de l'insurrection; précieuse ressource, dans l'impossibilité où l'on était d'établir un système quelconque d'impôts, et de faire face aux dépenses de l'armée autrement qu'avec des dons volontaires ou les produits du pillage. Alors Tripolitza devint le centre des opérations et le siége du gouvernement.

A la suite de cette conquête, l'armée fut envoyée, partie au siége de l'Acropole de Corinthe, déjà formé par les Argiens, et qui fut emportée ou livrée par le bey au mois de novembre; partie devant Patras, où Jussuf-Sélim avait battu plusieurs fois les Achaïens de l'archevêque Germanos, et qui venait de recevoir des renforts débarqués par la flotte ottomane.

On se rappelle que cette flotte, commandée par l'amiral KaraAli, sortie des Dardanelles au commencement de juillet, qui resta si long-temps dans les eaux de Samos, en présence des insurgés sans que les uns ni les autres osassent hasarder les chances d'un combat, avait ensuite cinglé vers Rliodes, où elle trouva (4 août) l'escadre envoyée par le pacha d'Egypte. Avec ce renfort de quinze à vingt bâtimens, et celui des bâtimens de Tunis et d'Alger, qui portèrent la flotte ottomane à trente-cinq voiles, Kara-Ali ravitailla les places de la Morée encore occupées par les Turcs. Il dégagea l'escadre du capitan-bey dans la rade de Prévésa, et pénétra

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