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flotte française qui croisait dans ces parages, et qui fut, toute cette campagne, le refuge des infortunés (1). Ensuite quand on apprit l'embrasement du vaisseau et l'affaire d'Aywali, alors la rage des musulmans éclata par des excès plus horribles. Un bâtiment russe se trouvait dans le port, les Turcs voulurent le visiter, et malgré les protestations du capitaine, on en tira 50 Grecs qui furent mis à mort. Enfin, sans la résistance du consul général, dont la maison était toujours le refuge des proscrits, il ne restait plus un Grec à Smyrne : il vint à bout d'obtenir des mesures sévères contre les assassins; le calme se rétablit encore pour quelques mois, mais à peine la ville était-elle délivrée de la rage du fanatisme, qu'elle fut désolée du fléau de la peste.

Après le combat du 8 juin, seule affaire maritime à remarquer dans cette campagne, l'escadre ottomane, si honteusement mise en fuite, ressortit des Dardanelles dans les premiers jours de juillet avec la flotte du capitan pacha Kara-Ali... Comme elle était dans les parages de Samos, elle y fut suivie par la flottille grecque. Mais, soit que les Grecs n'eussent pas trouvé de position assez favorable pour attaquer avec avantage des bâtimens de haut bord, dont le feu pouvait les couler à fond avant qu'ils pussent se servir de leur petite artillerie; soit que l'amiral turc, chargé de se rejoindre aux vaisseaux attendus d'Egypte et de renforcer les garnisons de la Morée, eût cru devoir remplir avant tout l'ob jet de sa destination; les uns et les autres s'observèrent sans s'attaquer. La flotte turque cingla vers Rhodes, et l'escadrille grecque, où se manifestaient quelques divisions, rentra dans ses ports après avoir pris quelques bâtimens expédiés des côtes de l'Asie mineure, ce qui a donné lieu aux bruits tant répétés dans les journaux, d'une grande victoire navale remportée par les Grecs au mois de juillet.

(1) Nous regrettons de ne pouvoir citer ici une foule de faits honorables au caractère français. Les Grecs n'oublieront pas, outre le nom du consul général, M. Davi, ceux du capitaine Le Normand de Kergrist et du contre-anical Halgan. Cette croisière laissera des souvenirs plus glorieux que des conquètes,

Au reste, la renommée mensongère de ces victoires n'était pas inutile à la cause hellénienne sur le continent, et surtout en Morée, où il arrivait des ports d'Odessa, de Marseille, de Livourne, de Trieste, des munitions, des armes, de l'argent et des volontaires.

Entre les Grecs qui vinrent à cette époque partager les périls de la guerre, on doit citer les jeunes Démétrius Ypsilanti, frère d'Alexandre, et Cantacuzène le cadet. Démétrius, à peine âgé de 22 ans, était parti de Kiow, et s'était embarqué à Trieste. Il débarqua à l'île d'Hydra au commencement de juillet. Il annonça au sénat qu'il avait été chargé par le général en chef, Alexandre Ypsilanti, de se rendre dans la Hellade comme son lieutenantgénéral, et de prendre le commandement dans le Péloponèse et dans l'ancienne Grèce. Sans oser donner à son frère le titre d'empereur, il avouait hautement de sa part l'intention de relever l'empire grec, où ses ancêtres avaient régné. Dans le besoin qu'on éprouvait d'avoir un chef pour diriger les opérations militaires dans la Morée, et sans doute aussi dans l'attente des triomphes du prince Ypsilanti, dont on ignorait encore les désastres, le sénat d'Hydra, après bien, des contestations, consentit à reconnaître le jeune Démétrius comme archistratège du Péloponèse, de l'Archipel et de toutes les provinces délivrées. C'est en cette qualité qu'il adressa (12/24 juillet) aux descendans des Hellènes, proclamation dans laquelle il exhortait ceux qui avaient pris les armes à persévérer dans la lutte glorieuse où ils étaient entrés, et ceux qui étaient restés oisifs à suivre l'exemple de leurs braves compatriotes, à accourir à la défense de la patrie.... Arrivé dans la Morée, il y trouva les chefs du pays fort divisés entre eux, et surtout peu disposés à lui céder la part de pouvoir qu'ils exerçaient sur la population de leurs districts. Ils agissaient isolément, sans concerter leurs plans ni leurs moyens. Ainsi les Maniotes assiégeaient Monembasie (Napoli di Malvoisie); l'archevêque Germanos avait forcé Jussuf à se renfermer dans Patras; mais ces siéges, comme nous l'avons fait observer, n'étaient que des blocus, où des paysans mal armés venaient, autour des remparts, sans ordre, sans discipline, tirer des coups de fu

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sil, presque toujours hors de portée. Ypsilanti porta quelque remède à ce désordre les petits sénats du Péloponèse commencerent à s'entendre avec lui, et il prit la direction des opérations militaires autant qu'il était possible de le faire avec des chefs jaloux de leur autorité.

Durant ces querelles et ces transactions, il se passait à l'autre extrémité de la Grèce, des événemens fort importans. Dès le 20 juin, l'insurrection sollicitée par les évêques du pays et les agens d'Hydra avait gagné les péninsules du mont Athos et de Cassandra. Les habitans, au nombre de 40 à 50 mille, mal armés, comme ceux de la Morée, étaient arrivés en dévastant sur leur passage les propriétés des Turcs jusqu'auprès de Salonique ( 25 juin), dont ils se proposaient dé faire le siége. A leur approche, le pacha avait fait armer tous les musulmans, auxquels les Juifs voulurent se joindre, et les insurgés, battus à Galatzista et à Vasilica dans des rencontres meurtrières, avaient été forcés de se retirer derrière les positions et les retranchemens élevés à l'entrée de la péninsule de Cassandra. Mais le pacha de Salonique entreprit en vain de les forcer : il éprouva des pertes considérables sans y parvenir. Cette expédition est remarquable en ce que c'est la première, depuis l'établissement des Turcs en Europe, où l'on ait vu des Juifs combattre dans leurs armées.

Si l'insurrection cassandrienne eût emporté Salonique, c'en était fait des Turcs en Thessalie, où Perrhæos, Odyssée et l'archimandrite Anthime Gazis avaient remporté divers succès sur le pacha de Larisse, assiégé dans sa capitale. Odyssée s'était déjà porté sur le mont Olympe, d'où il appelait les Macédoniens aux armes (21 juillet). Mais les défaites éprouvées par les Cassandriens mirent le pácha de Salonique en état d'envoyer des secours en Thessalie, où Odyssée et les siens furent obligés de se tenir quelque temps sur la défensive.

En Livadie, Mehemet-Pacha avait baltu, le 23 juin, un corps d'insurgés, et était rentré après eux dans la ville qu'il avait mise à feu et à sang. Ensuite il fut défait lui-même avec Omer-Brioni, 'e 27 juin, près de Zeitouni, et le 2 juillet, sur le Sperchius,

défaites qui n'empêchèrent pas Omer-Brioni de se porter sur Athènes, que les Grecs évacuérent à son approche, sur des bâtimens envoyés d'Hydra.

En Épire, Chourschid-Pacha, qui avait fort affaibli son armée, pour arrêter les progrès de l'insurrection grecque, faisait pourtant lever le blocus de Prévésa, que les Souliotes assiégeaient depuis la mi-juin; mais quelques jours après, attaqué lui-même (28 jaillet) près de Besdowno-Powlo, il éprouva un échec qui lui coupa de nouveau ses communications avec Arta. Vers cette époque, les Souliotes, unis à quelques centaines de Parganiotes venus des îles loniennes, firent une tentative sur Parga. Ils forcèrent les Turcs à s'enfermer dans la citadelle; ils en ravagèrent le territoire, mais ils n'eurent pas la joie d'arborer l'étendard de la croix sur les remparts de leur patrie.

Ainsi le continent de la Grèce était alors un vaste champ de ba taille, où vingt petites peuplades chrétiennes disputaient aveć acharnéinent leurs biens, leurs vies et leur religion, à des ennemis implacables.

Quelques îles de l'Archipel offraient encore un plus affreux tableau. A Cos, à Ténédos, en Chypre, le sang coulait par torrens. Nous ne répéterons pas ces scènes épouvantables dont les détails ont one horrible ressemblance; nous nous bornons à esquisser celles qui ont quelque importance historique.

Il n'y avait pas d'île où la domination musulmane fût plus dure et plus vexatoire pour la population grecqué que celle de Candie, ou ancienne Crète. Les chrétiens restés fidèles à leur culte y étaient en butte à des avanies continuelles, surtout de la part des nouveaux musulmans, renégats sans foi et sans pitié... Cependant ils avaient résisté aux insinuations des agens de l'insurrection grecque, envoyés pour les y attirer; ils vivaient tranquilles dans les cités ou dans leurs montagnes, lorsqu'il arriva de Constantinople un ordre de les faire désarmer. Cet ordre, 'accompagné de la décapitation de l'archevêque de Candie, et de l'arrestation de plusieurs négocians considérés, jeta l'épouvante. Les villes s'y soumirent sans résedila diane do wastin koŋtentrionale et dans les montagnes

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de l'île, appelées Sphakia, les paysans s'y refusèrent; plusieurs prélats menacés du même traitement, qui s'étaient réfugiés dans ces montagnes, en descendirent portant la croix à la tête de 16,000 Sphakiotes, qui proclamèrent l'indépendance de la Crète, imposèrent des contributions énormes sur les musulmans, dont ils prirent les femmes et les enfans qu'ils envoyèrent en otage dans leurs montagnes. Quelques-uns de ces feudataires, musulmans depuis la conquête, appelés Zaïms ou Timariotes, qui n'avaient pas voulu désarmer leurs paysans (entre autres un des chefs de la famille des Choumourlides), se déclarèrent en faveur des Sphakiotes, revinrent à la foi chrétienne, et tous ensemble marchèrent droit à la Canée. Après un combat sanglant, livré à deux lieues de cette ville, le pacha fut contraint de s'enfermer dans la place, et les musulmans échappés à leur déroute mirent en pièces les chrétiens qui y restaient encore.

Tant de désastreuses nouvelles portées successivement à Constantinople y entretenaient dans toutes les classes, même dans les relations diplomatiques, une agitation dont il faut un peu considérer les effets.

Ce fut surtout à la nouvelle de la défaite ou de la fuite de la flotte ottomane et de l'affaire d'Aywali, que la rage du peuple, des janissaires, et surtout des troupes arrivées d'Asie, éclata de la manière la plus furieuse. Alors les églises chrétiennes qui restaient dans la capitale furent toutes profanées, rasées et détruites. D'abord les Grecs qui osèrent se montrer dans les rues furent massacrés; ensuite, sur la dénonciation des juifs, on les alla chercher jusque dans leurs maisons, et grand nombre d'entre eux furent décapités à leurs portes, pendus à leurs fenêtres et noyés dans le Bosphore on a vu des femmes et des enfans des meilleures familles du Fanar vendus en plein marché. Constantinople fut pendant tout le mois de juin, et jusqu'au 2 juillet, un théâtre de désordres, d'excès et d'horreurs de tout genre, excès sans doute exagérés ou atténués par l'esprit de parti, mais que l'histoire ne peut ni omettre, ni révoquer en doute.

Enfin sur les représentations réitérées des ministres de Russie,

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