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C'est le noyau de la résistance que les Turcs ont opposée à la révolte dans l'Achaïe. Une autre division, commandée par Hassan Pliassa, pacha de Bérat, était destinée à défendre l'Acarnanie, aussi menacée par les Souliotes. Omer bey Brioni, fait récemment pacha de Delvino, reçut une autre division de l'Epire, à laquelle il devait joindre les levées de Thessalie, pour défendre cette province contre Odyssée, qui s'y portait avec ses armatolis pour les soulever. Ces deux officiers, tous deux l'année dernière sous les drapeaux d'Ali-Pacha, occupèrent tour à tour l'antique Hellade avec des succès divers. Leur campagne serait la plus intéressante rapporter, si l'on pouvait en recueillir tous les matériaux.

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Mahomet, ancien nazir de Drama, nommé gouverneur de la Morée sous Chourschid, avait ordre de ramasser les forces de la Livadie, d'entrer dans le nord du Péloponése, tandis que JussufPachaen soumettrait le midi. Enfin Achmed, pacha de Salonique, était chargé de la défense du golfe, des trois presqu'îles, des positions de Cassandra jusqu'au mont Athos, et de la Macédoine jusqu'au mont Olympe.

Un mois après que l'insurrection eut éclaté dans le Magne, elle s'était étendue dans tout le Péloponèse et dans la Livadie. Les Turcs avaient sur les Grecs l'avantage des armes et des positions militaires. Le clergé grec ne montrait pas partout la même chaleur que le prélat guerrier de Patras; mais à la nouvelle du massacre du patriarche à Constantinople, le soulèvement fut général. Les prêtres, les moines et les évêques, se croyant menacés d'une extermination entière, levèrent l'étendard de la croix, et de toutes parts on débuta par le pillage, le meurtre et tous les excès d'une guerre d'extermination, où l'on ne voit qu'un moyen de salut pour les vaincus, celui de n'en pas attendre.

En Morée, Jussuf-Pacha, retranché à Patras, faisait des courses jusqu'à Corinthe et tenait en échec les insurgés de l'Achaïc et de l'Arcadie. Toutes les villes fermées ou les forteresses étaient au pouyoir des Turcs, qui y avaient retiré leurs familles, leurs munitions, leurs armes et leurs trésors, surtout à Tripolitza, où le Kiaya de Chourschid, plusieurs beys, et cinq à six mille familles

musulmanes s'étaient jetés au commencement de la révolte. Dans quelques villes ouvertes, comme Argos, il s'établit des municipalités ou même des sénats, composés, ainsi que celui de Calamata, de chefs notables ou prélats du pays.

En Epire, en Etolie et en Acarnanie, les Souliotes réussirent, en entrant en campagne, à couper les communications de Chourschid avec ses lieutenans. Les Etoliens, conduits par Jongos, et les Acarnaniens par les frères Hyscos, forcèrent Hassan-Pacha à se renfermer dans Arta, et la place de Salone tomba au pouvoir des insurgés.

En Thessalic, l'archimandrite Anthime Gazis était à la tête de quatre à cinq mille hommes, et de l'autre côté de la péninsule, Athènes voyait une municipalité, sous le nom pompeux d'aréopage, établie dans son sein, dès les premiers jours de mai. Les Turcs, se jugeant trop faibles pour tenir dans la ville, avaient envoyé leurs faniilles à Négrepont, et s'étaient réfugiés dans l'Acropole. Nous passons rapidement sur la première partie de l'insurrection, dont les récits sont trop confus pour nous y arrêter.

La guerre maritime offre plus d'ordre et plus d'ensemble, parce qu'elle était dirigée par le conseil des navarques, espèce d'amirauté qui mit beaucoup de zèle à l'équipement des flottilles, et même à empêcher la piraterie qui commençait à se faire sous son pavillon. Dans une proclamation publiée à ce sujet, le sénat d'Hydra recommande aux marins la prudence, la concorde et le respect pour les droits des nations, annonçant que « si quelque in« sensé venait à porter atteinte à la liberté d'un individu ou d'un << bâtiment, soit grec, soit d'une puissance neutre, il serait regardé comme ennemi de la nation et poursuivi comme tel... » Jusqu'au mois de juin il ne se passa aucun événement maritime important. Samos s'était déclarée, comme plusieurs autres îles, pour l'indépendance. Cette île, peuplée de Grecs cultivateurs au nombre de 30 à 40 mille, n'avait pour la garder qu'un cadi et quelques janissaires, sans artillerie, sans munitions, sans forts. Dès que les Samiens s'insurgèrent, le cadi, les janissaires et les Turcs qui y étaient établis furent massacrés. Ils y exerçaient des vexations

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insupportables; la vengeance fut horrible, et c'est la première cause des atrocités commises à Smyrne et sur les côtes de l'Asie mineure. Mais dès-lors les Samiens se préparèrent à repousser les hordes asiatiques si elles se présentaient. Ils établirent un conseil d'anciens pour le gouvernement de l'ile; ils envoyèrent des députés à Ipsara ; ils en recurent de l'artillerie; ils fortifièrent le port et la ville de Vathi, et organisèrent à l'européenne un corps de cinq à six mille hommes, que les émigrations de l'Asie mineure ont considérablement augmenté.

L'insurrection embrassait déjà toute la Grèce, et les Turcs n'avaient encore équipé qu'une division de la flotte destinée à la combattre. Cette escadre, mise sous le commandement du contreamiral Tombek-Zade-Ali-Bey, était forte de deux vaisseaux de ligne, trois grosses frégates, cinq bricks chargés de troupes de débarquement. A la sortie des Dardanelles, le 19 mai, elle trouva une flottille grecque, qui, par la supériorité de sa voilure et de ses manoeuvres, put observer sa force sans s'exposer au feu de ses citadelles flottantes. Arrivée aucap Ténédos, elle en rencontra une autre qui se tint éloignée comme la première; mais les Grecs p'avaient pas l'intention d'éviter toujours le combat, quelque inégal qu'il parût; ils s'y étaient préparés; ils avaient converti dix-huit de leurs petits navires en brûlots; ils suivaient la flotte ottomane avec précaution, n'attendant que le moment de la surprendre dans une position favorable à leur plan d'attaque. L'ignorance des marins turcs ne tarda pas à la fournir.

Le 8 juin, comme leur escadre était au mouillage de Mytilène, attendant celle du capitan pacha qui devait la suivre, Tombek-Zade, inquiet de ne pas la voir paraitre, ordonna à un vaisseau de 74 de s'avancer vers les Dardanelles pour y prendre des informations sur ce retard, et reconnaître les dispositions de l'ennemi. La flottille grecque en observation le laissa passer jusqu'à ce qu'il fût assez loin de la flotte pour qu'elle ne pût le secourir; ses vaisseaux légers et fins voiliers le suivirent. Arrivés entre Mytilène et Ténédos, ils manœuvrèrent comme pour l'envelopper: effrayé de cette manœuvre, le capitaine ture essaya de s'enfoncer dans les eaux du golfe

Adramite, qui n'a qué quelques brassés de profondeur. Il y donna á pleines voiles, et échoûa au bout de quelques minutes ; c'est où les Grecs l'attendaient. Dans l'instant, quatre de leurs bâtimens se portèrent sur l'arrière et l'avant du colosse immobile, rendant ainsi ses batteries inutiles, dans le dessein de le forcer à capituler ou de le prendre à l'abordage. Cependant l'équipage du vaisseau ture était plus nombreux que celui de toute l'escadrille. Il supporta avec un courage inouï le feu des Grecs, auquel il ne pouvait répondre; leurs boulets traversaient le bâtiment dans toute sa longueur. Ils eurent bientôt enfoncé les gaillards et balayé les ponts; les mâts volaient en éclats, et des monceaux de cadavres couvraient cette masse à moitié ruinée. Dans cette horrible situation, l'équipage turc, à moitié détruit, poussait des hurlemens affreux, et demandait qu'on armât les chaloupes pour se sauver à terre : le capitaine y consentit, et les Turcs se jetèrent pêle-mêle dans les chaloupes an milieu d'une grêle de boulets qui en coulèrent plusieurs à fond. Enfin, de plus de mille hommes qui se trouvaient au commencement de l'action, à peine deux cents en échappèrent, et le malhetreux capitaine fut une des victimes. N'ayant pu faire sauter son vaisseau, parce que les poudres étaient mouillées, il jeta dans les ponts des matières combustibles qui le réduisirent en cendres; en sorte que les Grecs ne purent tirer aucun profit de leur victoire.

Le commandant de l'escadre turque apprenant la nouvelle de ce désastre, au lieu de se mettre en devoir de le venger, ne songea qu'à se sauver; saisi d'une terreur panique, il regagna en toute hâte les Dardanelles, toujours poursuivi par la flottille grecque, à laquelle il n'osa tirer un coup de canon.

Enhardis par cette honteuse retraite, les Grecs méditaient les entreprises les plus périlleuses. Ils furent bombarder la capitale de Chio, pour punir les habitans de n'avoir pas lévé l'étendard de l'insurrection. Ils méditaient une tentative sur Smyrne; mais, apprenant qu'une garnison turque, envoyée par le pácha de Broussa, occupait Aywali, dont la population grecqne s'était réfugiée en partie dans les îles Mosconissi, ils se présentèrent devant ces fles, le 13 juin au matin, avec 70 bâtimens. A leur approche, les

Grecs restés dans la ville voulaient en sortir, et se jetarent.eb foule dans des barques; le commandant torc s'y opposa, et, ayant reçu quelques renforts, il attendit les Grecs.

En effet, le 15 juin à neuf heures du matin, le canal parḥt tout couvert de barques aruiées de canons. Les Tures, embusqués dans les maisons voisines des quais, voulurent en vain s'opposer au débarquement; les Grecs, protégés par leur artilleric, les en délogerent. Une action plus terrible s'engagea au milieu de la ville; on se battit corps à corps à coups de baïonnette et de poignard avec une rage féroce: enfin le nombre l'emporta, et les Turcs se retirérent après avoir mis le feu à la ville.

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Quelques heures après, cette cité, qu'on pouvait regarder comme une ancienne colonie grecque, cette Cydonie célèbre par son collége et par le privilége remarquable sur une terre vouée au des potisme, d'être gouvernée par des magistrats (Gerondès) élus dans son sein, et qui comptait plus de 36,000 habitans, était réduite en cendres. Tous ceux qui ne purent trouver asile sur la flotte grecque furent massacrés ou vendus comme esclaves. Dans la nuit même de l'embarquement, les Turcs, revenus avec de nouvelles forces pour piller ce qui avait échappé à l'incendie ou à l'avidité des Grecs, furent taillés en pièces. On calcule qu'ils ont perdu plus de 1500 hommes dans ces affaires

Les malheureux habitans qui venaient de perdre une patrie ont été transportés à Ipsara, et ensuite répartis, d'après un décret du sénat d'Hydra, dans les autres îles.

Les premières nouvelles de l'insurrection des Grecs, surtout celle de Samos, avaient déjà produit à Smyrne une vive agitation, des excès et des meurtres isolés. Mais l'audace des marins grecs exalta au plus haut dégré le fanatisme des musulmans asiatiques. Dans les premiers jours de juin, la persécution commença par des exactions et des pillages commis en plein jour. Les magasins des Grecs, que la terreur avait fait fermer, furent enfoncés et pillés; les Grecs eux-mêmes furent poursuivis et massacrés dans les rues. Deux mille d'entre eux s'étaient réfugiés dans la maison de consul général de France; d'autres trouvèrent un asile sur la

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