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turcs, qu'il aurait pu détruire, il se retira sur Pitescht, comme pour appuyer les opérations du prince Ypsilanti, alors à Tergowist.

Mais celui-ci, déjà informé de ses manœuvres, avait résolu de l'en punir. Le jour de l'arrivée de Théodore à Pitescht, il y envoya le capitaine Ghiorgaki (Georges ), l'un des plus braves et des plus fidèles officiers de l'armée grecque, qui partit avec 300 Arnautes, surprit Théodore dans sa tente, l'arrêta et le conduisit enchaîné au quartier - général d'Ypsilanti à Tergowist. Là, Théodore, traduit devant un conseil de guerre qui l'attendait, son jugement, son arrêt et son suplice furent l'affaire d'une heure. Convaincu de haute-trahison, il fut fusillé le 7 juin.... Après cette exécution au moins sévère, puisque Théodore ne s'était point sou mis à l'autorité d'Ypsilanti, une partie des Arnautes, Valaques et Pandours se débanda, l'autre resta avec les Hellènes, mais pour leur perte, plus que pour leur secours.

L'armée ottomane, réunie sous le commandement du pacha d'Ibraïl, s'avançait sur Tergowist, où le prince Ypsilanti, ayant rassemblé toutes ses forces, diminuées par des désertions plus que par des défaites, espérait livrer une action qui rétablirait ses affaires. Mais l'ennemi s'était ménagé des intelligences chez les Pandours, les Arnautes, les Valaques, et même dans les rangs des Grecs; et il resta plusieurs jours en présence, sans rien entreprendre. Enfin le 15 juin, Ypsilanti, maître des hauteurs, feignant de se retirer, avait disposé sur ses ailes deux corps destinés à envelopper l'ennemi s'il s'avançait témérairement; l'un composé d'Arnautes et Moldaves, que commandait Ghiorgaki, exécuta intrépidement ses ordres, et l'armée turque était détruite, si le second corps de mille à douze cents hommes, commandé par KaminariSawa, eût fait le même mouvement: mais au lieu de seconder Ghiorgaki, Kaminari passa tout à coup, avec ses Valaques et ses Arnautes, du côté des Turcs; d'autres prirent honteusement la fuite, et les Grecs trahis et attaqués par des forces supérieures, furent mis en déroute, laissant sur le champ de bataille une partie de leur artillerie, de leurs munitions et de leurs bagages (1).

(1) Ce récit, composé sur des rapports différens et soigneusement com

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Après ce revers, suivi de la défection de Constantin Dukas, Ypsilanti ne voyant autour de lui que des traîtres et des lâches prêts à l'abandonner dans un pays où les hétairistes étaient en horreur, voulait se retirer à Rimnick, au-delà de l'Oltau; mais les Turcs, impatient d'achever sa destruction, suivaient de près les mouvemens de son armée. Ils l'attaquèreni, le 19 juin, à Dragaschan, à quelque distance de la rivière, au pied d'une hauteur où elle prit position pour les attendre.

Le premier corps en ligne était ce fameux bataillon sacré qui traînait avec lui cinq petites pièces de canon, dont il put à peine se servir. Il repoussa d'abord avec intrépidité et à la baïonnette, l'attaque d'un corps d'infanterie. Mais au moment où la cavalerie turque tombait avec impétuosité sur ses flancs, un corps d'Arnautes et de Pandours commandé par Basile Caravia, au lieu de soutenir les braves Hellènes, se jeta brusquement sur les corps placés en arrière, qui se sauvèrent en désordre au-delà de l'Oltau. Cependant le bataillon sacré, si lâchement abandonné, vendait chèrement sa vie aux ennemis qui l'enveloppaient de toute parts. Plusieurs fois ces malheureux jeunes gens, réduits au nombre de quatre à cinq cents, repoussèrent des charges d'infanterie et de cavalerie; mais enfin ils succombèrent, comme leurs aïeux aux Thermopyles, accablés par le nombre et tous percés de coups. C'était l'élite d'une noble et savante jeunesse, l'espérance de la Grèce nouvelle ; et quelque opinion que l'on ait de leur cause, on ne pourra refuser des larmes à leur sort.

Une vingtaine de ces braves et le capitaine Ghiorgaki, avec quelques Albanais qui les avaient soutenus, échappèrent, cou

parés était achevé, lorsqu'il a paru (en mai 1822) un précis historique des derniers événemens de Valachie, dont l'auteur, qui se dit témoin oculaire, assure qu'il n'y a pas eu d'autre action entre l'armée d'Ypsilanti et les Turcs que le combat de Dragaschan.

Pour nous, après les soins que nous nous sommes donnés pour établir la vérité des faits, nous ne pouvons que rappeler au lecteur ce que nous avons dit, pag. 386 de la difficulté d'y parvenir.

verts de blessures, à cette journée désastreuse, qui fat la dernière de l'armée helléniène.

Le lendemain 20 juin, Alexandre Ypsilanti, qui ne s'était pas lui-même trouvé à l'action, arriva à Rimnick : là, n'espérant plus rien de son armée, il résolut de la licencier, et dans son désespoir, il fulmina une proclamatoin que l'histoire doit mettre à côté de celle du 7 mars, (V. pag. 381.)

« Soldats, leur dit-il, non je ne souillerai plus ce nom honorable et sacré en l'appliquant à des gens comme vous. Ramas de gens lâches et cruels, vos trahisons me forcent à vous quitter. Désormais tout lien est rompu entre vous et moi; mais je ressentirai profondément la honte d'avoir été votre chef. Vous avez foulé aux pieds vos sermens, vous avez trahi Dieu et la patrie. Vous m'avez trahi dans le moment où j'espérais vaincre ou mourir glorieusement avec vous. Nous sommes séparés pour toujours. Allez joindre les Turcs, seuls amis dignes de vos sentimens. Quittez les bois où vous vous êtes cachés, descendez des montagnes qui ont servi de retraite à votre lâcheté; hâtez-vous de vous réunir aux Turcs; baisez leurs mains d'où découle encore le sang des chefs de votre église, de vos patriarches, de vos évêques et de vos frères innocens qu'ils ont inhumainement égorgés. Oui, courez acheter l'esclavage au prix de votre sang et de l'honneur de vos femmes et de vos enfans. Mais vous, ombres des vrais helléniens du bataillon sacré, qui avez été trahis, et qui vous êtes sacrifiées pour la délivrance de la patrie, recevez par moi les remercimens de votre nation. Bientôt des monumens rendront vos noms immortels. Ceux des amis qui me sont restés fidèles jusqu'à la fin sont gravés au fond de mon cœur en traits de feu; leur mémoire sera partout la seule consolation de mon âme. J'abandonne au mépris des hommes, à la justice divine, et à la malédiction de notre nation les traitres et parjures Kaminari Sawa, Constantinos Dukas, Basilius Barla, Giorgio Mano, qui ont déserté de l'armée, et qui ont été les premiers auteurs de la dissolution; le phanariote Gregorius Sutzo, l'infame et pervers Nicolaus Scuffo. Je raye aussi de la liste de mes compagnons d'armes Basilius Caravia, à cause de son indiscipline et de sa conduite inconvenante.、

« Rimnick, le 20 juin 1821.

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ALEXANDRE YPSILANTI. »

Après la publication de cette pièce, les Hellènes se jetèrent dans les défilés de la Transylvanie, où les Turcs les poursuivirent jusqu'aux postes du cordon autrichien le prince Ypsilanti disparut lui-même et se retira sur les terres de l'Autriche, où il fut arrêté. Ce n'est que plusieurs mois après sa disparition, qu'on a su qu'il était enfermé dans la citadelle de Munkatsch, où se trouvaient alors quelques-uns des chefs de la révolution napolitaine.

A

Il restait encore, après la dissolution de l'armée, un petit corps d'hétairistes du côté du Pruth, sous le capitaine Anastase: attaqué et battu à Stinka, sur la frontière russe, par un détachement du corps du pacha d'Ibraïl, il passa le Pruth à la nage, et après une belle défense, il trouva un asile chez les Russes.

Toute la Moldavie resta au pouvoir d'Ismaïl-Pacha, qui fit son entrée à Jassy, le 26 juin, avec 12,000 hommes.

Ici on peut regarder la révolution comme finie dans les deux provinces. Mais alors commence une guerre nouvelle qu'on trou verait plus glorieuse pour les guerriers qui y prirent part, s'il était possible d'en donner les détails. Les capitaines de bandes, Ghiorgaki et Pharmaki, rassemblant les hétairistes et quelques Arnautes échappés à la défaite et aux défections, commencèrent avec eux une campagne de guérillas dans les montagnes, dans les forêts, dans des couvens fortifiés où ils se défendirent en déses pérés, comme à l'action du convent de Slatina (25-26 juillet ), où ils tuèrent à l'ennemi quatre fois plus de monde qu'ils n'étaient de combattans; à celle du couvent de Secka (24 septembre), après laquelle, pour contenter une populace furieuse de leur résistance, on fit décapiter des individus sous leurs noms. Enfin telle fut leur intrépidité qu'ils occupèrent toute l'année vingt-cinq à trente mille hommes. D'abord on avait employé à leur poursuite les compagnons de Kaminari-Sawa, qui les avait trahis. Mais soit que l'on soupçonnât celui-ci de vouloir retourner au parti qu'il avait abandonné, soit qu'on voulût punir sa première trahison, on l'attira à Bucharest (19 août), où il fut massacré avec les siens dans la conr du kiaya-bey, exécution atroce qui révolta ceux qui avaient survécu, et jeta dans le parti de la révolte plusieurs bandes qui n'y étaient pas entrées; en sorte que, jusqu'à la fin de l'année, les deux provinces furent le théâtre des dévastations, des brigandages et de la férocité des Turcs asiatiques et des Tartares Zaporeschans, malgré tous les firmans rendus pour les arrêter et les efforts de Salib-Pacha, nommé Seraskier, pacha d'Ismaïl en remplacement du féroce Jussuf, qu'il ne faut pas confondre avec celui de Patras.

Annuaire hist. pour 1821.

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CHAPITRE VII.

Suite de la révolution en Grèce.

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Sénat établi à Calamata. Soulèvement général. - Marine d'Hydra. — Prise d'Athènes. · Combat naval dans le golfe Adramite. Affaire d'Aywali. - Massacres à Sinyrne. Arrivée de Démétrius Ypsilanti et Cantacuzène à Hydra et en Morée. Divisions parmi les Grecs, — Armement des Turcs. Reclamations et notes de l'ambassadeur russe. Son départ de Constantinople.

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Nous n'avons fait, en commençant le recit de l'insurrection de Ja Morée, qu'en indiquer la cause générale et les premiers cffets : il faut en reprendre le récit, en avertissant le lecteur, que dans cette campagne il ne faut pas s'attendre à trouver des opérations militaires faites sur un plan concerté et suivi, ni des batailles rangées, hi des siéges réguliers, comme on en voit dans les guerres modernes de puissance à puissance. Il ne s'agit ici que de soulèvemens de peuplades, réunies par l'ardeur de la vengeance, armées de mauvais fusils, de sabres, de frondes, de bâtons ferrés ou de piques grossièrement fabriquées; leurs combats ne sont que des rencontres, où celui qui disparaît le premier du champ de bataille est censé vaincu jusqu'à ce qu'il y reparaisse en vainqueur; leurs siéges ne sont guère que des blocus entrepris, quittés et repris; 'c'est une guerre faite sans ordre, sans discipline, sans aucun moyen de Fart militaire, où l'on ne peut saisir que des événe mens, des faits isolés pour en composer la masse d'un tableau, bien confus à nos yeux.

A la nouvelle de l'insurrection du Péloponèse, Chourschid Pacha, chargé de la guerre contre Ali, et dont l'autorité s'étendait, comme Séraskier de Romélie, sur tous les pachalicks de la Grèce, avait pris des dispositions pour en arrêter les progrès, et détaché quelques divisions de son armée devant Janina. L'ane, mise sous le commandement de Jussuf-Sélim, ancien bey de Sères, nommé récemment pacha de Négrepont, avait été dirigée par mer sur Patras, où l'on a vu qu'elle était entrée le 15 avril.

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