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misérables restes, échappés à la barbarie des musulmans et des juifs, furent religieusement recueillis par des Grecs qui les transportérent secrètement à Odessa, et ils ont reçu les honneurs de la sépulture dans une fête funèbre où toutes les autorités ont assislé, comme en expiation officielle d'un meurtre sacrilége.

Ce supplice, accompagné de celui de l'évêque d'Ephèse et de plusieurs autres prélats, n'était que le prélude d'autres atrocités. Les Grecs les plus considérés du fanar furent décapités ou pendus aux fenêtres et aux portes de leurs maisons...... A Andrinople, le patriarche Cyrille subit le même sort que celui de Constantinople. Partout des démolitions d'églises, des profanations de toute espèce signalèrent cette époque désastreuse.

Le nouveau grand-visir n'était en fonctions que depuis dix jours, lorsqu'il fut tout à coup déposé (1o mai), soit à cause de la dureté qu'il avait déployée dans ses fonctions, soit, comme il est plus probable, qu'il eût voulu faire disgracier les deux favoris du sultan (Halel-Effendi et Berber-Bachi) en déclarant à sa hautesse qu'on ne pouvait espérer le rétablissement de la tranquillité tant que les objets du mécontentement ne seraient pas éloignés, et si on ne lui confiait pas toute l'autorité du visirat. Les favoris avaient décidé sa mort par crainte des janissaires, qui avaient montré quelque attachement pour Benderli, on se contenta d'abord de l'exiler en Chypre; mais la vengeance n'était que différée, car sa tête a été clouée aux portes du sérail, avec l'inscription des traîtres, dans les derniers jours du ramadan ( fin de juin).

Son successeur El-Hadgi-Salih-Pacha, qui avait déjà rempli ses fonctions avec le titre de camaïcan, avant son arrivée, homme âgé de 60 ans, dont l'élévation était due à la découverte d'une correspondance des rebelles de la Valachie, arrivait à la tête du gouvernement dans la crise la plus terrible. Plusieurs compagnies de janissaires, prononcées contre les favoris, tinrent des assemblées et chargèrent leur aga de demander au grand-seigneur le rappel de Benderli, et six têtes de ceux qu'ils regardaient comme leurs ennemis. Le sultan Mahmoud leur imposa d'abord par sa fermeté. Mais ensuite il leur fit distribuer des gratifications; le favori Ber

ber-Bachi y joignit ses largesses, et l'orage fut apaisć. Peu de jours après (le 5 mai), il fut pris, dans le divan et à l'unanimité, une résolution d'après laquelle le corps des janissaires y serait à l'avenir représenté par trois membres pris dans son sein, mesure sans exemple, conseillée par Jussuf-Aga, chef des janissaires, comme le seul moyen d'attacher les janissaires aux intérêts de la Porte, de ramener la confiance et de développer toute l'énergie des Musulmans, sans danger pour l'ordre public.

En effet, dans le premier divan, tenu le 19 juin, où les représentans des janissaires ont assisté, il fut résolu, ce qu'on n'aurait jamais obtenu sans concession, que l'armée serait organisée, du moins pour entrer en campagne, sur le pied européen, sous deux conditions stipulées par les janissaires, que l'on ne changerait pas l'uniforme des troupes et qu'on éviterait de donner à la réforme le nom odieux de Nizzam-Dgedib, qui avait coûté la vie à Sélim III, en le remplaçant par un équivalent plus convenable.

Entre les autres résolutions importantes prises par le divan, il est encore utile de remarquer celle qui interdit aux Turcs de parler d'affaires politiques et celles qui prescrivaient des mesures énergiques pour la sûreté des ministres étrangers. Ces dernières précautions avaient surtout pour objet de protéger le ministre russe baron de Strogonoff, odieux au peuple, et qu'on à déjà vu exposé à des insultes dont la réparation n'avait fait qu'irriter la haine de la soldatesque (Voyez l'Annuaire pour 1820, page 533 ). Dès le commencement des troubles, tout en faisant les protestations pacifiques commandées par l'empereur Alexandre, et en désavouant toute participation aux troubles de la Valachie et de la Grèce, et refusant tout appui aux rebelles, S. Exc. avait vivement réclamé en vertu des traités de 1774, 1792 et 1812, qui lui donnaient le droit d'intervenir en faveur des principautés et même des rayas (sujets) grecs contre l'embargo et la visite des bâtimens sous pavillon russe aux passages des Dardanelles, et contre la défense faite de laisser sortir des blés du canal de Constantinople, en rendant la sublime Porte responsable des dommages ou pertes qui pourraient en résulter pour le commerce russe réclamation sur la

quelle la sublime Porte invoquait le droit commun à toutes les puissances dans leur territoire, et la nécessité d'arrêter les secours fournis aux Grecs sous pavillon russe. S. Exc. insistait particulièrement sur ce qu'il n'entrât pas de troupes turques dans la Valachie et dans la Moldavie; et dans les représentations au sujet de la mort du patriarche et des excès commis sur les Grecs, elle demandait qu'en réprimant la révolte, on ne confondit pas les innocens avec les coupables; que l'on ne condamnat ceux-ci qu'à la suite d'une enquête formelle, et qu'on fit cesser les profanations et la destruction des églises. De son côté le Reiss-Effendi répondait qu'il appartenait au sultan de châtier, comme il l'entendait, ses sujets rebelles; que d'ailleurs le patriarche de Constantinople avait subi la peine due à sa trahison prouvée par sa correspondance avec les rebelles de la Morée ( preuve qui n'a jamais été mise sous les yeux des ambassadeurs, malgré les demandes réitérées qu'ils en ont faites), et que la Porte elle-même avait à se plaindre de ce que la Russie semblait accorder sa protection aux rebelles en refusant leur extradition stipulée par le traité qu'elle invoquait.

Un incident particulier vint irriter l'aigreur de la querelle entre les deux cabinets. Un négociant grec, Emmanuel Danesi, avait été arrêté comme ayant fourni des fonds aux révoltés, mais réellement pour avoir refusé de payer une lettre de change de 300,000 piastres tirée sur lui à l'ordre du prince Callimachi, nouvel hospodar de Valachie.... Le baron de Strogonoff le fit en vain réclamer comme banquier de la légation russe.... Sur le refus répété du Reiss-Effendi, qui n'en persistait pas moins à regarder Danesi comme raya, le premier conseiller de la légation russe, M. de Fonton, hasarda, contre tous les usages diplomatiques, de remettre un mémoire à S. H., à son passage pour aller à la grande mosquée. Le grand-seigneur fit prendre le mémoire, et M. le baron de Strogonoff n'en reçut encore qu'un refus avec l'assurance qu'on avait des preuves de la trahison de Danesi ; et malgré les instances du ministre russe, secondé en cette circonstance par l'internonce autrichien (M. de Lutzow), le malheureux Danesi était menacé du dernier supplice : il n'y a échappé que par l'exil, com

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mutation de peine accordée, après le départ de M. de Strogonoff, à la sollicitation de lord Strangford, nouveau ministre d'Angleterre, qui venait d'être reçu (22 mai) du grand-seigneur avec des de distinction qu'aucun ambassadeur n'avait encore obtenues, et qui était alors le plus influent de tous auprès de la sublime Porte.

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Dans ces circonstances, une rupture entre elle et la Russie paraissait imminente. On ne répondait aux notes russes que par des refus ou des récriminations. M. de Strogonoff déclarait qu'aussi long-temps que durerait le système de violence adopté contre les Grecs, la Russie ne refuserait asile à aucun Grec, et que, dans le cas où les cruautés déjà exercées se renouvelleraient, il interromprait toute communicacion avec la Porte. Il arriva sur ces entrefaites un paquebot d'Odessa, qui, malgré la défense générale, voulut jeter l'ancre à Buyukdéré devant la maison de campagne du ministre russe : il fut forcé de s'éloigner. De là, nouvelles réclamations et nouveaux refus insultans, à la suite desquels M. de Strogonoff quitta le palais ordinaire de la légation russe à Péra, et, suspendant toutes communications diplomatiques, en attendant les ordres de son souverain, il se renferma (10 juin) avec toute sa légation dans sa maison de Buyukdéré. De là il adressa une circulaire à tous les négocians russes qui pouvaient se trouver en Turquie, pour les inviter à régler leurs affaires le plus tôt possible, afin de ne pas être pris au dépourvu par un gouvernement qui« n'observait plus aucune mesure dans sa conduite. »

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Pendant et malgré les représentations de M. de Strogonoff, appuyées en quelques points par les ministres d'Autriche et d'Angleterre, les Turcs entrèrent dans les principautés de Moldavie et de Valachie avec trois corps d'armée de 8 à 10,000 hommes de toutes armes ; l'un sous Hadschi-Ahmed-Pacha de Widdin; Pautre sous Kiaya-Mehmed-Pacha de Silistric; le troisième, sur le bas du Danube, commandé par le Seraskier Jussuf-Pacha d'lbrail. Ils avaient commencé leur mouvement combiné dans les premiers jours de mai.

Jassy était alors en proie à l'anarchie, entre l'autorité impuis

sante de la régence des boyards qui offraient de se soumettre à la Porte, et les chefs hétairistes, qui accusaient les boyards de trahison, et s'emparèrent du pouvoir et de la résidence du prince, tachant de s'attirer à eux les zigans ( serfs) en leur promettant la liberté. Au milieu des désordres qu'amenaient ces divisions, on apprit que les insurgés grecs, commandés par Cantacuzène, avaient été défaits le 13 mai à Galatz. Le séraskier Jussuf-Pacha d'Ibraïl les avait attaqués avec 6,000 hommes et 17 chaloupes canonnières. Après un combat de quelques heures, où les insurgés avaient épuisé toutes leurs munitions et tué mille à douze cents Turcs, ceux-ci avaient emporté les retranchemens et la ville, où ils avaient mis le feu et massacré tous les habitans sans distinction de sexe ni d'âge. A la suite de cet échec, la flottille grecque du Danube fut détruite, les hétairistes se virent forcés d'évacuer Jassy le 18, et ils commirent en se retirant mille excès sur les boyards, en représailles des cruautés des Turcs.

De son côté, Ypsilanti était menacé à la fois par le pacha de Silistrie et par celui de Widdin, que les boyards invitaient à hâter leur marche, en les assurant qu'ils ne couraient aucun risque, et en leur donnant des renseignemens sur la force, sur l'organisation et sur les divisions des corps valaques et des Grecs insurgés. Ces divisions n'étaient plus équivoques. Théodore, fortifié au couvent de Kotroczéni, dont il avait fait son quartier-général, resté maître de Bucharest après le départ d'Ypsilanti, y avait formé un divan composé de quelques boyards qu'il avait forcés d'y rester ou d'y revenir. Comme il voulait traiter avec les Turcs, il reçut avec toute sorte d'honneurs le camaïcan du prince qui y arriva le 23 avril. On assure qu'il se bornait alors à demander une amnistie pour ses troupes, et pour les paysans valaques le rétablissement de leurs anciens priviléges et un hospodar de leur nation. Mais', soit que ces offres de soumission ne convinssent pas à la Porte, soit qu'il voulût mériter sa clémence et ses faveurs par un service plus signalé, il abandonna Bucharest, où l'avant-garde de Kiaya-Mehmed-Pacha entra le 28 mai; et après quelques courses où il eut des escarmouches peu importantes avec des partis

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