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l'orateur. En vain M. de Lavaux veut expliquer sa pensée en tant qu'il considère la nation et le roi tout ensemble.

Ensuite M. Benjamin Constant soutient que l'armée est sous un arbitraire dangereux pour la monarchie. Des deux côtés des orateurs s'avancent pour soutenir leurs amis ou demander le rappel à l'ordre de leurs adversaires. Dans la confusion de cette lutte, M. le garde des sceaux, reparaissant à la tribune, rappelle plusieurs discours « tenus dans la session dernière par les coryphées de l'opposition. »

....Discours tels, dit S. G., que, sortis d'autres bouches, ils auraient pu être traduits devant un jury, et qu'ils eussent dû être condamnés comme des provocations manifestes et incontestables à la révolte.

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<< La révolte a eu lieu, et ceux qui l'avaient provoquée l'ont justifiée à cette tribune... Je sais que cela est fort, mais cela est aussi vrai que fort. Depuis l'ouverture de la présente session, les discussions ont pris un autre cours: l'idée fondamentale est restée la même; mais c'est bien moins à la nation qu'à l'armée qu'on s'adresse. Voilà ce qui est évident, ce qui est palpable pour la grande majorité de cette chambre. »

De là le ministre conclut qu'il est nécessaire de chercher des moyens de répression, sans lesquels nous ne pouvons pas, dit-il, espérer de voir le trône s'affermir parmi nous, et le gouvernement représentatif se fonder; car il est bien évident qu'en abusant ainsi des formes de ce gouvernement, on finirait par détruire.

le

M. de la Bourdonnaye, repoussant encore plus vivement des attaques qu'il n'hésite pas à regarder « comme l'effet d'un système dirigé contre le gouvernement tout entier..., « nous serions coupables envers la France, s'écrie-t-il, si nous dissimulions à ses yeux combien nous gémissons d'entendre tous les jours des discussions aussi hasardées, des propositions aussi téméraires... Non, vous ne pouvez rester muets à cet égard, vous qui avez été envoyés dans cette enceinte par la France royaliste, par une immense majorité de la nation. (Par les préfets! dit une voix partie du côté gauche.) Majorité contre laquelle vous vous élevez aujourd'hui, ditil en se tournant de ce côté, parce qu'elle ne veut plus de vous...» A ces mots le plus violent tumulte éclata sur ces bancs. MM. de Corcelles, Alexandre de Lameth demandent le rappel à l'ordre de

M. de la Bourdonnaye, qui n'en finit pas moins son discours en redemandant celui de MM. de Lavaux et Benjamin Constant.

Ainsi la discussion s'échauffait de moment en moment. M. de Girardin s'était plaint de ce que M. le garde des sceaux se fût «permis d'insulter les députés victimes du 3 juin, au lieu de poursuivre les vrais coupables de cette journée»; M. Casimir Perrier, ajoute :

- Si c'est nous qui avons provoqué cette révolte, ministre de la justice, vous ne remplissez pas votre devoir! Votre devoir est de nous poursuivre, de nou

accuser.

Vous parlez de notre inviolabilité à la tribune. Non, nous ne sommes pas inviolables; si nous nous rendons coupables, si nous conspirons, nous devons être mis en accusation; vous devez venir le demander à cette chambre, les preuves à la main. Et, quant à moi, je renonce à cette inviolabilité, qui me semblerait un odieux privilége. Je demande à me dépouiller de mon caractère de député, et que vous ordonniez à vos licteurs de se saisir de nos personnes au sortir de cette enceinte.....

< Hé ! que signifient toutes ces accusations de tendance au renversement de la monarchie, de tendance à la révolte? que signifient, après tout, ces conspirations dont on fait tant de bruit? Ne savez-vous pas vous-même plus que perssonne, qu'en remontant à leur source, on ne trouve pour véritables auteurs de ces conspirations que d'infâmes agens provocateurs?...

• Quel est le but de ces manœuvres? Vous voulez une journée... ; c'est là que tendait ce premier pétard qui a éclaté dans le château des Tuileries... On a voulu faire croire que nous étions en état de conspiration permanente. Tout ce que répètent chaque jour vos journaux salariés n'a pas d'autre but, d'autre objet.

Je n'ajoute plus qu'un mot, messieurs; il faut en finir sur de telles accusations. Si nous sommes des conspirateurs, il faut le déclarer et demander notre mise en jugement. Nos têtes vous font-elles plaisir? faites-les tomber, mais que ce soit devant la loi... › >

Interpellé si vivement, M. le garde des sceaux exposa d'abord qu'il ne s'était pas servi du mot conspiration, mais du mot provocation à la révolte. Il rappela en peu de mots ce qu'il avait dit l'année dernière.

Pendant huit jours consécutifs, ajouta-t-il, des députés de ce côté on abordé la tribune dans cet effet, visible pour l'assemblée, de faire l'apologie de la sédition qui s'agitait dans toute la capitale, soit aux portes de cette chambre, soit autour du palais de nos rois, soit sur les places, soit sur les boulevards et dans les faubourgs. Pendant huit jours je les ai combattus, et le résultat a été tel qu'il devait être ; une grande partie de l'opposition mème a abandonné les orateurs qui soutenaient cette position anti-constitutionelle autant qu'anti-monarchique; voilà ce qui a été patent aux yeux de la chambre

comme aux yeux de la France, résultat dont je n'ai certes pas à rougir. Ainsi je limite l'accusation que mon devoir m'a forcé de porter à cette provocation. Si vous aviez le moindre doute, messieurs, je vous renverrais aux discours que j'ai indiqués, et alors votre conviction serait complète. » (V. l'Annuaire pour 1820 , p. 238 et suiv. )

Mais l'irritation des partis augmentait à chaque discours.... Il n'y avait pas moins de quatre rappels à l'ordre demandés ; d'abord ceux de MM. de Lavaux et Benjamin Constant furent mis aux voix, et prononcés à une majorité qui se prolongea de l'extrême droite jusqu'au centre gauche. Personne ne se leva sur celui de M. de la Bourdonnaye. Une discussion nouvelle s'engagea sur la question de savoir si l'on devait distinguer dans M. de Serre la personne du député de celle du garde des sceaux, et ensuite sur la conduite à tenir envers un ministre qui provoquerait justement le mécontentement de la chambre. M. Courvoisier fut d'avis que le ministre ne pouvait être distingué du député, et que ce n'était pas par un rappel à l'ordre que la chambre pouvait manifester son improbation, mais par un vote d'adresse au roi.

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Cet avis fut celui de la chambre. Sorti de cette lutte et des questions incidentes, on voulut revenir à la question principale, c'est-à-dire à la pétition et au discours de M. le général de Lavaux, dont les conclusions étaient conformes à l'avis de la commission, qui cette fois proposait de renvoyer la demande au ministre de la guerre, et cet avis passa sans nulle opposition.

Il se manifesta encore des dissidences d'opinion fortement prononcées à l'occasion de quelques pétitions, telles que celles des sieurs Giffart et Rault, cultivateurs (8 mars), sur le refus des derniers sacremens fait par le desservant de leur commune à leur père et beau-père, sous prétexte qu'il ne pouvait absoudre un détenteur de biens nationaux; pétition repoussée par l'ordre du jour, comme ne méritant aucune confiance. Celle du sieur Baron de Laudemont et du sieur Folhomier (9 mars.), demandant pour les émigrés, le premier, des secours ; le second, la liquidation en tiers consolidé des créances qu'ils avaient sur l'Etat; questions que ramènera la loi des donataires, et sur lesquelles on passa à l'ordre du jour. -Celle du conseil général de Vitry, qui demandait que

-

l'offre du domaine de Chambord fût faite à S. A. R. le duc de Bordeaux comme un don national, et par l'entremise des deux chambres, ce qui donna lieu à M. de Girardin de considérer la souscription ouverte à cet effet comme un témoignage sollicité par les autorités, et tendant à renouveler les dons gratuits de l'ancien régime, ou les emprunts forcés de la révolution; idée vivement repoussée par MM. André d'Aubières et de Vaublanc (1). — On regrette surtout de ne pouvoir entrer dans les questions d'intérêt général que d'autres pétitions avaient pour objet, telles que la réforme du jury et l'abolition de la loi du divorce, la création de colléges spéciaux pour les protestans, le rétablissement des corperations, etc., etc.; mais les considérations qu'elles ont fait naître, et même les passions qu'elles ont soulevées, auront souvent occasion de se reproduire dans la discussion des projets auxquels il nous faut revenir...; et peut-être nous aurions déjà à nous reprocher de nous être arrêtés sur des scènes épisodiques, s'il n'avait été nécessaire de donner à l'entrée de la session une idée juste de la situation des partis entre eux, et du ministère entre les partis. Leurs orateurs viennent d'en tracer eux-mêmes le tableau.

(1) Il n'est pas hors de propos de remarquer ici que, d'après un rapport de la commission pour la souscription de Chambord, inséré au Moniteur du 25 octobre 1821, le montant des souscriptions annoncées à cette époque était de 920,000 fr.-L'acquisition du domaine devait coûter en capital 1,542,000 fr., et en accessoires 207,667 fr. 16 cent.

CHAPITRE III.

DISCUSSION et adoption des projets de loi sur le paiement du premier cinquième des reconnaissances de liquidation;

colléges électoraux d'arrondissement;

sur la nouvelle circonscription des

sur le règlement définitif des comptes de 1819 et années antérieures.-Questions incidentes sur les affaires d'Italie. Mouvement séditieux à Grenoble. (20 mars.)

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

LA première des lois de finance dont les deux chambres s'occupèrent après celle des six douzièmes, avait pour objet de régler et d'opérer le remboursement du premier cinquième des reconnaissances de liquidation créées par la loi du 25 mars 1817, et depuis évaluées à 300 millions. Ce remboursement devait, d'après l'art. 3 de cette loi, s'opérer intégralement, à commencer de l'année 1821, et par cinquième d'année en année, en numéraire, et à défaut, en inscriptions de rentes au cours moyen des six mois qui auront précédé l'année du remboursement.

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En présentant ce projet le même jour que le budget de 1821 (16 janvier), le ministre des finances, M. Roi, avait fait observer que le cours moyen des rentes, ayant été, pendant les six derniers mois de l'année 1820, de 77 fr. 33 c., le paiement en rentes à ce cours d'une somme de 60 millions exigerait une somme de 3,884,328 fr. de rentes. Avec ce crédit, le gouvernement se faisait fort de remplir ses obligations envers l'Etat et ses créanciers. Mais comme il serait à craindre qu'une grande partie de ces rentes ne fût immédiatement jetée sur la place, ne fit baisser le cours et ne nuisît au crédit toujours croissant; comme les 60 millions à rembourser cette année n'étaient que le cinquième de la dette à payer, le gouvernement avait cru trouver un mode plus favorable en prolongeant les échéances d'effets, avec des combinaisons qui paraissaient plaire aux capitalistes, et qui étaient dans l'intérêt des créanciers. C'était d'abord d'ouvrir au

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