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relâchés, ainsi que le prince de la Cisterna, venaient de faire proclamer la constitution. Turin se remplissait d'étrangers accourus pour prendre part aux dangers ou bien aux bénéfices de la révolution

A quatre heures après midi, une troupe sortie de la citadelle, conduite par le colonel Ciravegna, de la brigade d'Aoste, et bientôt grossie d'une foule immense, se porta au palais du prince-régent, demandant à grands cris la constitution d'Espagne. La garde du palais et plusieurs officiers civils et militaires se présentèrent pour en défendre l'entrée à la foule et au drapeau tricolore: ils y réussirent. On n'y laissa pénétrer qu'un médecin, Crivelli, annoncé comme député du peuple, et que le prince-régent consentit à recevoir.

Admis à cette audience, Crivelli exposa que le peuple assemblé sous les croisées du palais voulait la constitution de l'Espagne. Le prince répondit que le roi Charles-Félix étant absent, lui, princerégent, n'était pas investi des pouvoirs nécessaires pour décider d'une pareille chose. « Mais le sang est prêt à couter, ajouta Crivelli. C'est pour cela que je suis disposé à mourir pour soutenir les droits de celui que je représente, répliqua le prince; et en disant ces nobles paroles il avait l'air de consulter, d'interroger les sentimens de ses officiers, qui témoignèrent qu'ils étaient prêts à mourir pour le défendre. Crivelli insista, représenta plus violemment les maux dont la patrie était menacée.... Le prince consentit enfin à recevoir une députation de la ville, avec laquelle il se consulterait sur la constitution qui serait jugée la plus convenable au bien du peuple et à celui de l'Italie, « car je suis aussi Italien, moi!» disait-il.

En effet, comme l'orateur retourné auprès du peuple lui faisait entendre les dispositions du prince-régent, arriva une députation aa nom du corps décurional, ayant à sa tête M. le chevalier Ferdinand Dalpozzo, depuis ministre de l'intérieur; et dans une nouvelle conférence, à laquelle des anciens ministres et même le comte de Thaon-de-Revel furent invités ou forcés de se trouver, il fut résolu que la constitution espagnole serait promulguée.

Cette nouvelle, annoncée à huit heures du soir du balcon du palais, où le prince-régent se montra lui-même pour en confirmer l'assurance, fut reçue avec des acclamations universelles. -D'ail leurs, cette journée si tumultueuse n'avait été souillée d'aucun excès: elle se termina dans les transports de l'ivresse populaire, et par des illuminations générales, à peu d'exceptions près.

On doit remarquer dans la proclamation publiée le lendemain 14 à ce sujet, la répugnance que le prince y montre, et l'intention manifeste qu'il avait d'attendre les ordres du nouveau roi CharlesFélix. Il ne se décide à recevoir la constitution, espagnole que par l'exigence des circonstances et d'après la déclaration du corps la ville, ainsi que des généraux et commandans des corps de la garnison, et sauf les modifications qui seraient délibérées par la représentation nationale, d'accord avec le roi.

Immédiatement après la conférence où la constitution espagnole venait d'être adoptée, le prince-régent, devant nommer un nouveau ministère, en conséquence de la démission de l'ancien, avait donné le département de l'intérieur au chevalier Dalpozzo, ayant sous lui le comte Christiani, directeur général de la police; les départemens de la guerre et de la marine, au chevalier de VillaMarina, celui des finances à l'avocat Gubernatis, et celui des affaires étrangères, sur le refus du marquis de Brême (Arborio Gattinare), au chevalier Santi; hommes tous distingués par des talens et des services rendus à l'Etat sous le régime impérial, pendant la réunion du Piémont à la France.

Le 14 en attendant la convocation du parlement national, le prince-régent nomma pour prendre part avec lui aux délibérations qui, aux termes de la constitution, exigent l'intervention du parlement, une junte provisoire de quinze membres, dont le nombre fut ensuite augmenté (1).

(1) Voici les noms des premiers nommés:

Agosti de Barolo, marquis de Brême, Bruno, prince della Cisterna, Costa, marquis Ghilieri, Jano, Mangenta, Pio, l'abbé Marentini, marquis ParetoPiacensa, comte Serra di Albugnano, marquis Serra Girolano, auxquels on ajouta ensuite le cardinal Morozzo, le sénateur Garran, le duc de Wallonbroso, et beaucoup d'autres nobles, banquiers, avocats, ete.....

Il était dit que la junte pourrait délibérer, en cas d'absence on d'empêchement de ses membres, quand ils seraient réunis aa nombre de sept, précaution sage, car plusieurs de ses membres nommés ne s'y montrèrent pas.

Le même jour, il parut une proclamation portant entre autres dispositions qu'une amnistie pleine et entière était accordée pour toute adhésion ou acte politique qui auraient eu lieu jusqu'à présent, à la condition que tous rentreraient dans l'ordre et prêteraient obéissance; qu'il était « sévèrement défendu d'arborer des drapeaux et de porter des cocardes d'une forme ou d'une couleur différentes de celles qui ont toujours distingué la nation piémontaise sous le gouvernement de l'auguste maison de Savoie » premier triomphe obtenu sur le parti de la révolution.

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Cette amnistie fut mal reçue à Alexandrie, où il s'était formé le 10 mars une junte qui se prétendait directrice de la révolution, et dont les actes portaient comme les drapeaux les mots : royaume d'Italie. Elle députa sur-le-champ au prince-régent trois des chefs de l'insurrection (Luzzi, Lizio et Baronis), qui lui représentèrent vivement que les auteurs de cette glorieuse révolution » n'avaient pas besoin d'amnistie, en sorte que le prince-régent se vit forcé de déclarer qu'il n'avait « entendu, par les actes politiques dont il est question dans la proclamation du 14, que l'oubli des transgressions dans le service qui avaient eu lieu dans le grand changement qui venait de s'opérer pour l'établissement du système constitutionnel». Ce n'est qu'à cette condition et sous la promesse de reconnaître les promotions militaires et de régler les dépenses faites dans l'insurrection d'Alexandrie qu'on put obtenir la dissolation de la junte provisoire, dont le secrétaire Luzzi a été ensuite appelé à celle de Turin.

La junte suprême installée (16 mars), Je prince-régent s'y présenta. On y délibéra sur deux modifications essentielles à faire à la constitution, et il fut décrété que l'ordre de successibilité au trône demeurerait tel qu'il se trouve établi par les anciennes lois et les traités publics, et qu'en faisant observer la religion catholique, apostolique et romaine, qui est celle de l'Etat, on n'exclu

rait cependant pas (comme en Espagne) l'exercice des autres cultes tolérés jusqu'à ce jour. Sous ces réserves, le prince-régent jura sur les saints évangiles d'observer et faire observer la constitation politique espagnole, souscrivant de plus aux modifications qui seraient réglées par le parlement national, d'accord avec S. M. le roi, et jurant, en outre, d'être fidèle au roi Charles-Félix.

On ne s'arrêtera pas à rendre un compte détaillé des arrêtés pris par la junte, pour la création d'une garde nationale dans les villes, bourgs et villages, et pour la traduction de la constitution espagnole, ni de toutes les mesures d'exécution qu'elle exigeait, surtout relativement à la liberté de la presse, etc., etc...........

Cette constitution ne fut reçue qu'avec répugnance à Novarre, où l'on chanta pourtant le Te Deum, auquel le comte de La Tour assista, à Chamberry et dans toute la Savoie, qui, malgré les efforts de la brigade d'Alexandrie, resta comme étrangère à la révolution.

Dans le royaume lombardo-vénitien, que la révolution piémontaise menaçait immédiatement, la première impression en fut terrible l'opinion publique y fut vivement agitée. Des habitans suspects de carbonarisme, des étudians de l'université de Pavie, s'échappèrent pour aller prendre parti chez les Piémontais. Telle fut l'épouvante à Milan, que l'ordre fut donné pour le départ de la princesse, épouse de l'archiduc vice-roi; on emballait déjà les effets les plus précieux du palais; on se préparait à fuir, de nombreuses arrestations étaient ordonnées, lorsqu'on fut rassuré par des renseignemens plus exacts sur la nature et les ressources de l'insurrection, et par les précautions déjà prises au congrès de Laybach.

Dès qu'on y eut appris la nouvelle du mouvement d'Alexandrie (le 14), S. M. l'empereur d'Autriche donna l'ordre de former surle-champ une armée de réserve des fortes garnisons qui se trouvaient dans les provinces italiennes, auxquelles se réuniraient des renforts demandés sur-le-champ au conseil aulique de Vienne. L'empereur de Russie ordonna en même temps à une armée russe d'environ 100,000 hommes, tirée des provinces méridionales de

l'empire, de se mettre en marche pour se rendre

par la voie la plus courte en Italie, et les cantons helvétiques furent invités à prendre des précautions contre un soulèvement qui menaçait l'Italie entière.

Tout en cédant aux vœux de l'insurrection, le prince de Carignan en avait référé par des courriers à la décision du duc de Génevois, alors à Modène. Ce prince accepta l'exercice du pouvoir royal; mais différant de prendre le titre de roi jusqu'à ce que S. M. son frère, placé dans une situation parfaitement libre, pût lui faire connaître que telle était sa volonté, il déclara par un acte solennel (16 mars) que, bien loin de consentir à quelque changement que ce fût dans la forme du gouvernement préexistant, il regardait comme rebelles tous ceux des sujets du roi qui resteraient unis ou s'uniraient aux séditieux, qui se seraient permis ou permettraient, soit de proclamer une constitution, soit de faire quelqu'autre innovation contraire à la plénitude de l'autorité royale, frappant de nullité tout acte de compétence souveraine qui pourrait avoir été fait depuis l'abdication du roi son frère, etc...., et appelant tous ses sujets à la défense de la légitimité des trônes et du pouvoir royal, etc....; et le même jour il nomma général en chef de l'armée piémontaise, destinée à soumettre les rebelles, le comte Sallier de La Tour, gouverneur de Novarre.

Le prince-régent à la réception de cette déclaration, où il n'était pas question de sa nomination, où son nom même n'était pas prononcé, se hâta pourtant de la mettre sous les yeux de la junte provisoire. Elle atterra un moment les révolutionnaires les plus décidés; on remarqua dès-lors beaucoup de répugnance et de froideur pour occuper les places; la junte elle-même en fut découragée; on fut obligé, pour réunir le nombre des membres nécessaire aux délibérations (sept), de la recomposer plusieurs fois en un jour. Cependant, pour obéir à l'impulsion populaire, quoiqu'il n'y eût aucune espérance raisonnable de faire revenir le duc de Génevois, d'une résolution si énergiquement exprimée, le prince-régent résolut, de concert avec la junte, de faire un dernier effort auprès de S. A. R., qu'on supposait n'être pas suffisamment

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