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qui mandent à la barre un monarque qui a eu la générosité de s'associer à sa nation pour lui assurer le bienfait d'un régime constitutionnel.

< On sent qu'une telle conduite peut amener les conséquences les plus graves, les plus douloureuses pour la nation française; qu'elle peut ternir la gloire de son nom, compromettre ses affaires, et leur faire prendre un cours tout-à-fait opposé aux principes sur lesquels est fondée notre constitution. Le bruit se répand que le gouvernement français a signé l'acte d'occupation de Naples, et qu'il va concourir aux mesures prises par les gouvernemens absolus, mesures auxquelles le gouvernement anglais n'a pas voulu s'unir; et nous, qui avons une constitution en vertu de laquelle nous sommes aussi libres que les Anglais, serons-nous réduits à une comparaison aussi humiliante vis-à-vis les ministres qui coopèrent à des actes qui tendent à dégrader l'espèce humaine au nom de l'Europe?

A cette interpellation, le ministre des affaires étrangères se hâte de faire observer que, d'après la charte, au roi seul appartient de faire les traités de paix, d'alliance et de commerce.

C'est en vertu de ce droit, dit S. Exc., que toutes les négociations, que toutes les stipulations avec les puissances étrangères sont faites et suivies au nom et par la volonté seule du roi.

C'est sans doute par une fausse assimilation avec les formes de gouvernement usitées dans un autre pays, que le préopinant, au sujet de la pétition la plus étrangère à cette matière, a cru pouvoir faire au gouvernement du Toi une sorte d'interpellation sur sa conduite dans des circonstances trèsgraves, très-importantes et que tout le monde connait.

• Le gouvernement français, messieurs, n'est pas le gouvernement d'Angleterre. Cette dissimilitude, surtout en cette importante matière, ne serait pas difficile à défendre. Elle est le produit de la nature des choses et de la raison la plus haute et la plus éclairée. C'est donc en vertu de son droit incontestable que le roi de France représente seul au-dehors la France tout entière. Il ne pourrait y avoir lieu constitutionnellement à donner à cette chambre connaissance des transactions politiques, qu'autant que ces transactions nécessiteraient des demandes, des votes d'impôts sur lesquels il nous appartient de statuer législativement. C'est dans cette seule occasion, laquelle s'est déjà présentée, qu'une discussion peut être amenée dans cette enceinte sur une matière pareille à celle que l'orateur que je réfute a voulu y introduire.

< Tout ce qu'il m'est permis de dire en finissant, c'est que le roi de France, placé dans la situation qui lui appartient, honoré comme il doit l'être, mettant dans la balance des transactions politiques le poids de sa couronne, exerce ses droits avec toute l'indépendance, toute la dignité qui lui conviennent. Oui, messieurs, vous le savez, l'Europe entière honore et respecte le roi de France.

« La sincérité de ses sentimens est connue; son ardent désir de maintenir la tranquillité de l'Europe et d'assurer à son peuple tous les bienfaits de la paix, ne saurait être mis en doute. Son gouvernement n'a aucune demande à vous présenter qui puisse faire supposer que ce vœu ne sera pas accompli.

<< Telle est la seule réponse qu'il me soit permis de faire à ce que vous venez d'entendre. >

Cette explication ne satisfit point l'opposition de gauche, et le lendemain (12 février), M. Benjamin Constant ayant demandé la rectification du procès-verbal quant à des discours où l'on avait clairement attribué au parti libéral l'attentat du 27 janvier, M. de Lafayette appuya vivement la rectification, en ce que le procès-verbal ne lui paraissait pas « exprimer suffisamment les efforts qui ont été faits pour repousser les doctrines anti-cons>>titutionelles, anti-parlementaires de MM. les ministres. »>

« L'assemblée constituante, dit-il, avait consacré le principe que la nation française n'emploierait jamais sa force contre la liberté d'aucun peuple.. Ce sentiment est inhérent à la nature du patriotisme français... Les derniers événemens de Naples et de Portugal ont rempli tous les cœurs de ce vif intérêt qui formera de plus en plus un lien sympathique entre toutes les nations dignes de la liberté, qui est la véritable civilisation des peuples.

« Il faut donc que le procès-verbal constate nos protestations et nos efforts au moment où l'honneur et la moralité de la nation semblent être compromis. Il faut savoir à quel point les ministres du roi sont complices dans les mesures prises pour maintenir ce qu'on appelle l'ordre social en Europe. Cet ordre social consiste à méconnaitre le droit qu'ont les sociétés de modifier leurs institutions ; à s'immiscer dans les institutions des autres peuples. Cet ordre social, messieurs, c'est celui du partage de la Pologne, c'est celui des conventions de Pilnitz, c'est celui des manifestes de Coblentz. Oui, messieurs, répète l'orateur, les manifestes de Coblentz ! ce que nous avons dit pendant vingt-cinq ans, pourquoi ne le répéterai-je pas aujourd'hui ? le pouvoir est moins imposant que le malheur.

« Mon objet est, je crois, suffisamment rempli. Je quitte la tribune en invitant mes honorables amis à n'y jamais monter sans renouveler à MM. les ministres la question que je répète ici formellement; à n'en jamais descendre sans avoir dit: Ne détruisons pas l'indépendance napolitaine.

Un cri général d'adhésion partit alors des bancs où siége l'orateur. M. le garde des sceaux, se levant à cette nouvelle attaque, fit observer d'abord que si la chambre désirait obtenir de la couronne des communications, elle n'avait pas d'autres voies constitutionnelles que celle d'une adresse, et qu'alors les ministres seraient prêts à répondre d'une manière satisfaisante. Quant à la rectification demandée, dit le ministre, ces sortes de demandes ne sont que des moyens d'introduire des motions d'ordre réprouvées par la charte et par nos lois; elle ne sont que des

moyens de jeter le désordre et le trouble dans nos délibérations, de fouler aux pieds la charte et nos lois..... »

Bientôt la discussion dégénérant en personnalités, M. Benjamin Constant reprocha à M. le garde des sceaux d'inculper les intentions des orateurs, d'avoir caractérisé, dans une autre occasion, les expressions de certains membres de fausses, de mensongères, de malintentionnées. Un député, un ministre peuvent dire qu'un orateur se trompe, mais il n'est pas possible que la chambre tolère qu'on lui dise qu'un de ses membres n'a parlé que pour exciter des divisions et des désordres.... En conséquence, M. Benjamin Constant demande que M. le garde des sceaux soit rappelé à l'ordre.

Cette proposition, la première de ce genre peut-être qui eût été faite dans le sein de nos chambres, excita à droite et au centre un mouvement d'opposition d'une extrême vivacité. M. le garde des sceaux, distinguant les personnes et les actes, avoua qu'il avait caractérisé des expressions de mensongères, parce qu'en effet elles étaient contraires à la vérité, mais en déclarant que par-là il n'avait entendu attaquer que des maximes, des principes, une tendance, une conduite qu'il croit dangereuses et inconstitutionnelles. Et telles sont à mes yeux, dit-il, les maximes, la tendance, les principes et la conduite de l'opposition...

Ici la séance devenant plus orageuse, plusieurs voix demandaient la clôture, d'autres le comité secret. M. de Kergorlay engage encore plus vivement la querelle en attaquant l'opposition sans ménagement,

Les provocations à la rébellion armée, dit-il, ont été depuis l'ouverture de cette session trop apparentes, trop journalières dans cette enceinte pour qu'un homme du bon sens le plus commun puisse feindre de les méconnaitre... Les députés provocateurs n'ont pas excité directement les citoyens à la révolte: ils n'auraient pu le faire sans se rendre passibles des peines portées par l'article 102 dụ code pénal; mais tout ce qu'ils ont pu faire sans compromettre leur sûreté, ils l'ont fait... ils ont conspiré à la tribune... »

Alors au milieu d'un mouvement d'indignation du côté gauche, une foule de membres se lèvent et demandent le rappel à l'ordie de l'orateur. M. le général Sébastiani le réclame dans l'intérêt de

la liberté des discussions, du gouvernement et de la dignité de la chambre.

« Vous pouvez, dit-il, s'adressant au côté droit, faire un nouvel abus de votre nombre, mais cet abus sera jugé par la France et par l'Europe. Quelle liberté nous restera-t-il si nos opinions sont transformées en révolte, si nous sommes accusés de conspiration à la tribune? Qu'on apporte ici des preuves, nous nous présenterons avec confiance... Cette chambre ne devient-elle pas depuis quelque temps une arène scandaleuse de provocations réciproques? Ces provocations ne partent-elles pas le plus souvent du côté qui semble aujourd'hui s'être arrogé le droit d'étre le défenseur exclusif de l'ordre et de la tranquillité?

« Quel que soit mon respect pour la liberté constitutionnelle des opinions, dit d'un autre côté M. de Lalot, et après avoir écouté dans le silence de l'impartialité la plus sévère les derniers débats qui ont affligé la chambre et scandalisé l'esprit public, je sens messieurs, qu'il est temps de mettre un terme à cette insultante obstination qui prétend nous condamner au supplice d'entendre ici tous les jours et sous toutes les formes le panégyrique d'une révolution souillée de tous les crimes et fumante encore du sang de nos rois... Il n'existe pas de plus pernicieux ennemis des libertés publiques que ces orateurs malavisés qui affectent de confondre la cause de ces libertés avec celle d'une revolution si justement abhorrée de toute la France... Ils semblent ne demander la liberté que pour continuer la révolution, et par-là ils enveloppent l'une et l'autre dans une commune erreur... C'est à nous à prendre la défense des libertés constitutionnelles qu'ils trahissent, et nous le ferons victorieusement en repoussant la révolution dans ses abimes... Ses abimes, ils devraient être fermés depuis long-temps et pourquoi donc sont-ils ouverts au milieu de nous? Ah! puisque la France m'envoie ici pour dire la vérité, je la dirai sans fard comme sans crainte, c'est qu'on ne ferme pas, c'est qu'on ne fermera jamais l'abime des révolutions avec des mains révolutionnaires... J'en appelle à votre conscience, ajoute l'orateur, après avoir signalé plusieurs discours tenus dans e session comme un abus de la parole, est-ce un exemple à proposer au le; est-ce un moyen de lui faire honorer et chérir son roi, que de précont, que de glorifier à cette tribune tantôt les étendards et les couleurs de la révolte, tantôt la gloire sanglante de l'usurpation militaire, et toujours les principes d'une révolution qui a égorgé le frère même de votre roi ?.. Où en sommes-nous, messieurs? dans quel effroyable chaos nous a-t-on précipités, puisqu'après tant d'années de restauration nous voilà réduits à disputer encore à la révolution les premiers élémens de l'ordre social? Que ce mal est profond! qu'il accuse hautement l'étrange perversité de ce système qui, depuis cinq ans, confond tous les principes, obscurcit toutes les doctrines, fait chanceler toutes les vérités, comble enfin la mesure du scandale en joignant à tous les autres celui de punir la fidélité et de récompenser la trahison !.... >

M. Manuel, ramené à la tribune par le désir de répondre à ces nouvelles accusations, insiste particulièrement sur les circonstances

et les causes qui ont amené l'exaspération et les reproches qu'on incrimine:

⚫ On n'a, dit-on, profité de la liberté de la tribune que pour soulever les passions; mais quand a éclaté cet appel aux passions? Est-ce en 1817, en 1818, en 1819? Avez-vous entendu alors faire sans nécessité l'éloge de la cocarde tricolore? Avez-vous entendu vanter les avantages de la révolution? On n'en parlait pas alors, parce que ni nos libertés publiques, ni les intéréts de la révolution n'étaient attaqués par la majorité des chambres; parce que le gouvernement semblait marcher dans les intérêts de la constitution de 1814; il ne s'agissait que de hâter sa marche. Mais lorsque plus tard on a pu croire qu'une majorité, d'accord avec le pouvoir, voulait porter sur cette constitution même une main sacrilege; que, sous prétexte de craintes vagues élaborées dans un congrès étranger, on voulait priver la France de ses droits les plus précieux, de la liberté de la pensée, de la liberté individuelle, et livrer à des commissions ce qu'elle avait de plus cher et de plus sacré; que l'on voulait changer la loi des élections, cette loi que personne jusqu'alors n'avait été tenté de croire trop populaire, puisqu'elle réservait à 80,000 électeurs les droits de 30,000,000 d'hommes, cette loi, base de toute liberté en France, comme le disait un ministre, qu'on ne pouvait ébranler sans amener de nouvelles révolutions, comme le disait le même ministre, à propos de la proposition de M. Barthélemy, alors tout a été mis en discussion.

« Alors on a parlé de la révolution, non pour en provoquer de nouvelles, mais pour les faire craindre à ceux qui semblaient les appeler. De chaque côté on impute au parti opposé d'alarmer la France, de vouloir changer ce qui existe. Eh bien! dit M. Manuel en s'adressant au côté droit, cette charte, vous l'avez attaquée, mutilée; nous l'avons défendue... Qui de nous est révolutionnaire? répondez...!

Enfin, après un discours où M. de Vaublanc finit par supplier le gouvernement de déployer toute l'autorité, toute la force dont il est investi, l'assemblée, ramenée aux propositions d'abord faites, rejeta par une même majorité, et la rectification du procès-verbal demandée, et la motion du rappel à l'ordre de M. de Kergorlay...

Le 21 février, à propos d'une autre pétition tendant au même but que celle de M. Simon Lorière, comme il échappa au général Meynaud de Lavaux qui l'appuyait, en déplorant les conséquences funestes de l'arbitraire, de dire que « si les ministres sont responsables devant la loi, envers le roi, ils le sont aussi devant la nation et l'armée », ces expressions devinrent le signal d'une lutte nouvelle.

M. Cornet d'Incourt et M. de la Bourdonnaye les signalent comme des paroles anarchiques, et demandent le rappel à l'ordre de Annuaire hist. pour 1821.

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