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dont on a vu le rapport si remarquable, si décisif, si hostile au ministère dans la session précédente. (V. page 181.)

A cette persistance d'une majorité, ou, si l'on veut, d'une coalition jugée si fragile, si hétérogène, si éphémère, tout espoir de conciliation entre le ministère et la chambre des députés s'évanouit. Il n'y avait d'autre remède à cet état de choses, dans le système représentatif, que la dissolution de la chambre ou le changement du ministère. Le premier moyen, qu'il ait été proposé ou non, n'était peut-être pas praticable avec la loi des élections. Les ministres ne se sentaient pas assez forts pour tenter un coup d'Etat plus hardi. Il est probable qu'ils insistèrent pour faire accepter leur démission, dans les fréquentes audiences qu'ils eurent alors du roi.

Nous ne chercherons point à pénétrer les secrets du conseil ou le mystère des négociations privées qui s'établirent. On ne peut se faire une idée de l'agitation et de l'activité des partis dans les bureaux, dans les salons, au château, dans les réunions publiques, et jusqu'à la Bourse, où quelques nouvelles alarmantes de l'Italie, de l'Espagne et de la Turquie augmentaient l'inquiétude. Il est de fait que, pendant quatre ou cinq jours ( du 8 au 13 décembre), le gouvernement fut comme sans direction, la censure sans boussole, et l'Etat sans ministres.

Enfin, le 13 au soir, on apprit que S. A. R. MONSIEUR avait présenté au roi MM. de Villèle et Corbière, et la question parut alors toute décidée. Il ne s'agissait plus que de savoir si le changement du ministère serait partiel ou total. On parlait de conserver MM. de Serre et Roy, l'un à cause de ses liaisons, de ses précédens et de son zèle à défendre les intérêts monarchiques; l'autre à cause de l'habileté qu'il avait montrée dans le maniement des finances, et du besoin qu'on avait de ses lumières pour la discussion du budget.

Enfin le Moniteur du 15 décembre mit un terme à tant d'incertitude et d'agitations, par une ordonnance datée de la veillë, qui offrait, sans préambule et sans énonciation de motifs, le renouvellement complet du ministère, ainsi qu'il suit :

Annuaire hist. pour 1821.

M. de Peyronnet, membre de la chambre des députés, nommé ministre secrétaire d'Etat au département de la justice. M. le vicomte de Montmorency, pair de France, au département des affaires étrangères.

M. le maréchal duc de Bellune, pair de France, au département de la guerre.

M. Corbière,-au département de l'intérieur.

M. le marquis de Clermont-Tonnerre, pair de France, département de la marine.

Et M. de Villèle, — au département des finances.

au

Cette ordonnance était contre-signée par M. de Lauriston, ministre de la maison du roi..

Le lendemain parurent au même journal, dans la partie officielle, plusieurs ordonnances qui nommaient ministres d'État et membres du conseil privé, MM. de Serre, le marquis de LatourMaubourg, le comte Siméon, le baron Portal ( ordonnance du 15 décembre); M, le marquis de Latour-Maubourg, gouverneur des Invalides et de sa succursale, MM. Portal et Roy, pairs de France, au titre de comte pour le second, et de baron pour le premier ( ordonnance du 13 décembre).

Il est à remarquer, pour complément de cette révolution ministérielle, que, depuis deux mois, MM. Pasquier et Siméon avaient été élevés à la dignité de pairs, au titre de baron, et que, deux mois après leur retraite, ils obtinrent encore de la générosité royale, comme anciens ministres, une pension de 12,000 fr., ainsi que M. Portal et M. Laîné qui se trouvait hors du ministère, sans que, dans tous ces mouvemens, on eût parlé de sa démission, et qui ne paraît avoir voula ni abandonner, ni remplacer aucun de ses collègues.

En considérant l'effet de cette révolution ministérielle dans la chambre des députés, on y vit bientôt les partis qui l'avaient provoquée reprendre leur allure et leur opposition naturelle. Aussi l'ancien parti ministériel ne manqua point de reprocher aux libéraux une coalition qui les mettait tout-à-fait à la discrétion de jeurs adversaires, à quoi les libéraux répondaient qu'ils aimaient

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mieux une guerre ouverte qu'une lutte insidieuse où ils avaient éprouvé tant et de si grandes pertes, et ils se préparaient à la

soutenir.

Dès le premier jour en effet (15 décembre), on se livra quelques escarmouches sur l'admission de M. César Durand (député du arrond. de l'Ain), que le rapporteur et le côté droit faisaient difficulté d'admettré, attendu qu'une partie des impositions exigées par la charte ne lui avait été déléguée par sa belle-mère que postérieurement à son élection... Après des débats fort vifs, on rappela qu'une difficulté pareille, s'étant présentée dans l'élection de M. de Clarac (qui siége au côté droit) avait été résolue en sa faveur, et le côté droit voulut bien encore admettre l'exception, mais en témoignant pour l'avenir l'intention de tenir à l'esprit évident de l'art. 38 de la charte. La division des partis fut plus sensible dans les débats qui s'engagèrent sur la question de savoir si MM. de Villèle et Corbière, étant nommés ministres secrétaires Élat, pouvaient rester od être réélus membres des commissions dé finances. Les libéraux ( MM. Foy, Benjamin Constant, etc., e.....) y objectaient qu'il serait contraire à l'esprit de la charte, od ad moins inconvenant, de rendre ainsi des ministres juges et examinateurs dans leur propre cause, de les charger eux-mêmes du contrôle de leur administration dont ils pourraient alors aisément pardonner ou tolérer les erreurs; - à quoi le parti contraire répondait que le travail préparatoire des commissions ne gênait en rien la liberté des délibérations. Enfin cette espèce d'hommage rendu à MM. de Villèle et Corbière, par la majorité, fut accepté. Mais quant à la vice-présidence dont ils avaient également donné leur démission, ils y furent remplacés, le 24 décembre, par M. de la Bourdonnaye, et le 25, par M. Chabrol de Crouzol, lequel fut ballotté avec M. de Bouville. — D'autres débats s'élevèrent entre les deux partis, à l'occasion de quelques pétitions; l'une pour obtenir, en certains cas, la restitution des biens d'émigrés non vendas et cédés aux hospices: elle fut renvoyée au ministre de l'inté nieur; l'autre du sieur Touquet, qui se plaignait des vexations de la censure: elle fut renvoyée à la commission chargée de l'examen

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de la loi de censure; et une troisième, du sieur Crestin de Gray, qui réclamait contre sa radiation du tableau des avocats, opérée par autorité du dernier garde des sceaux : elle fut écartée par l'ordre du jour, à la majorité de 142 voix contre 135, après une discussion animée, où le nouveau garde des sceaux soutint le droit et la conduite de son prédécesseur, et où des orateurs du côté gauche ( MM. Foy, Benjamin Constant, Manuel, etc.........) reprochèrent plus d'une fois au côté droit l'oubli des doctrines qu'il avait tout à l'heure professées.

Le ministère était trop nouveau pour avoir pu se préparer à la discussion des lois présentées par ses prédécesseurs. Il commença par annoncer qu'il retirait le projet de loi sur la prorogation de la censure, auquel il en substituerait un autre sur la police des journaux, annonce qui ne fut pas mieux reçue du côté gauche que celle de la censure. Quant au budget, il était impossible même d'en aborder la discussion avant la fin de l'année. Aussi le nouveau ministre des finances vint-il proposer (le 20 décembre) d'accorder encore au gouvernement la perception provisoire de l'impôt; mais en la réduisant à trois douzièmes et le crédit à 200 millions. La nécessité de la mesure était évidente, le dernier ministère eût lui-même été forçé d'y reconrir; la commission le re

connut.

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(24 décembre.) Un seul orateur, M. de Corcelles, s'y opposa par des raisons tirées du système politique suivi et de l'énormité des impôts, dans un discours qui souleva souvent l'indignation et les murmures du côté droit, et dont l'impression fut rejetée. Un autre orateur M. Duvergier d'Hauranne, occupa quelques momens l'assemblée d'un moyen de sortir du provisoire en votant deux budgets dans une session. A quoi M. Casimir Perrier opposa la nécessité de rester dans les voies constitutionnelles et dans le vote annuel. D'ailleurs, le projet de loi ne pouvait souffrir aucun retard, il fut voté dans la même séance.

(Résultat du scrutin, 294 votans. 281 boules blanches. 13 boules noires.)

Porté immédiatement à la chambre des pairs, il y a été adop

te, sans discussion, le 28 décembre, à l'unanimité des suffrages. On n'a pas eu le temps d'observer l'effet du changement du ministère et du système ministériel dans la chambre des pairs. Au dehors, il fut immédiatement suivi de quelques résultats attendus; de la démission de M. le baron Mounier, directeur de la police générale et de l'administration départementale, dont une partie des attributions fut confiée à M. Franchet, sous la dépendance directe du ministre de l'intérieur; - de celle de M. le comte Anglès, préfet de police de Paris, qui ne fut remplacé que quelques jours après par M. G. Delavau, conseiller à la cour royale de Paris; de celle de M. le comte Portalis, sous-secrétaire d'Etat au département de la justice, dont la place fut supprimée. Ces trois démissionnaires restèrent au conseil d'Etat en service ordinaire. — M. Gérard de Rayneval, sous-secrétaire d'Etat au département des affaires étrangères, fut nommé ministre à Berlin, et remplacé, sous un autre titre (directeur des affaires politiques), par M. Hermann, ancien consul général. Enfin, après bien des incertitudes, la direction générale des postes passa des mains de M. Dupleix de Mezy dans celles de M. le duc de Doudeauville, pair de France. On parlait encore, à la fin de l'année, de la nomination de M. de Serre à l'ambassade de Naples; de la démission de M. le duc Decazes, ambassadeur à Londres, et de son remplacement par M. le vicomte de Châteaubriant, précédemment ministre à Berlin, tous deux rentrés en France depuis six mois.

Quant à l'effet de cette révolution sur les opinions, au-dehors comme au-dedans, elle eut ses adversaires et ses apologistes en raison des craintes ou des espérances qu'elle donnait.

A Paris, le jeu de la Bourse offrit des oscillations, mais le crédit public n'en fut point altéré; on ne s'aperçut presque plus de Fexistence de la censure, qui fut pourtant conservée jusqu'à l'expiration légale de ses pouvoirs (5 février 1822.)

Dans les provinces, où les agitations de la capitale portent toujours l'alarme, il se fit sentir quelques mouvemens de factions. Sur la fin de l'année, on découvrit une conspiration dont le foyer était dans l'école royale de Saumur, où quelques officiers, liés

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