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révoquer mais le grade acquis, mais l'existence donnée par un brevet, jamais, messieurs, il n'a été admis qu'il pût se perdre, pas plus que le patrimoine le mieux reconnu ; car, autrement, il faudrait tomber dans les contradictions et les inconséquences les plus révoltantes. Vous contraignez un citoyen a devenir soldat; vous le sortez de la profession objet de sa préférence; dans la nouvelle carrière où il est forcé d'entrer il acquiert, par sa bonne conduite et les services qu'il rend à l'état en vertu des lois militaires, un grade qui forme sa fortune ; et lorsque ce militaire, dans un àge avancé, sera arrivé dans cette position, parce qu'il aura déplu à un commis ou au ministre, il pourra tomber dans l'état d'un mendiant, privé d'asile et de pain, tendre la main aveø un front couvert de cicatrices, et les signes de l'honneur sur la poitrine.

Ensuite le général Donnadieu s'attache à prouver qu'il n'y a pas d'exemple qu'un officier français ait jamais perdu son caractère, qu'il ait été rayé du tableau de l'armée sans un jugement préalable. Il demande le renvoi de la pétition rapportée au ministre de la guerre; et, en quittant la tribune, il remet sur le bureau une proposition, tendante à ce qu'on supplie S. M. de proposer une loi, d'après laquelle un officier ne pourrait être destitué ou rayé du contrôle de l'armée sans jugement (1).

En réponse à ces argumens, M. de Cayrol fait observer que la radiation du contrôle de l'armée est une simple mesure législative, qui prive l'officier seulement de son traitement, mais qui le laisse en possession de son grade; en sorte qu'il peut même être appelé à un grade supérieur, s'il plaît au prince qui l'a rayé du contrôle de l'y rétablir.

Mais M. Etienne, considérant la radiation comme une peine qui suppose toujours un jugement, appelle, ainsi que M. Donnadieu, la pitié de la chambre sur le sort des militaires exposés aux radiations arbitraires.

Il est une considération qui doit vivement vous frapper, dit-il; c'est que la loi, qui fait tous les Français militaines et s'empare de leur existence, forme avec eux un véritable contrat. Songez donc que l'officier que vous réduisez au dénůment avait commencé des études pour une autre carrière, que vous * l'avez saisi au milieu d'une école de droit, d'une école de médecine, d'un atelier de peinture; que vous lui avez fait perdre le prix de tous ses travaux, de tons les sacrifices de sa famille; qu'il serait peut-être aujourd'hui l'ornement

(1) Cette proposition, développée et combattue par les mêmes motifs que la pétition du sieur Simon Lorières, dans le comité secret du 17 février, n'a pas été prise en considération.

du barrean; qu'il se serait fait un nom illustre dans les sciences ou dans les arts: eh bien ! vous l'avez appelé sous les drapeaux, il a tout immolé à la loi, à l'honneur ; il vous a donné son sang, et vous lui refusez du pain! Quoi! il a passé toutes ses jeunes années dans les camps, il a fait pour vous le sacrifice d'un état, il a renoncé aux plus tendres affections, aux liens mêmes de sa famille; une compagne pouvait associer sa fortune à la sienne, et vous ne l'avez pas voulu parce que vos lois vous y autorisaient. Durant vingt ans, il s'est exposé tous les jours à mourir pour son pays, et son pays aurait le droit de le faire mourir de misère ! Seul, sans solde, sans appui, que deviendra donc ce malheureux officier? ira-t-il, appuyé sur sa vieille mère, implorer la charité des passans, et, nouveau Bélisaire, le verra-t-on mendier au pied de la colonne?

« Si encore il restait paisible dans son infortune; mais non : il est pauvre, on le suppose mécontent; on en a fait un malheureux, il faut en faire un coupable, et les agens provocateurs l'attendent.....'» ·

M. le ministre des affaires étrangères, combattant cette opinion, établit ainsi la distinction qui existe entre le grade et l'emploi :

• Le grade est le fruit des travaux d'un militaire, du dévouement qu'il a montré. Le grade est sans contredit la propriété de l'honneur. A Dieu ne plaise que je suppose qu'il puisse être enlevé par toute autre décision que celle d'un jugement! La question se réduit donc à ceci : le grade est-il enlevé par la décision qui est prise lorsqu'un officier est mis à la réforme sans jugement? Il ne s'agit donc que du traitement.....

« On a reconnu à cette tribune que le roi avait le droit d'ôter l'emploi : dans l'état ordinaire des choses, et dans tous les gouvernemens, à moins qu'il n'y ait une retraite acquise, et qui, dans ce cas, ne pourrait être refusée, la perte de l'emploi emporte celle du traitement. » Ici le ministre, après avoir divisé et considéré les emplois en emplois d'activité et de disponibilité, démontre la nécessité, surtout dans un régime constitutionnel, de laisser au roi les moyens de défendre de toute espèce d'oppression le trône et la liberté.

Entre les défenseurs que la pétition trouva encore, M. Basterrèche exposa qu'avec les distinctions qu'on venait de faire, un officier, au moment où il atteindrait à l'époque de sa retraite, pourrait être privé de ses droits sur un caprice du pouvoir ou une vengeance ministérielle. M. Auguste de Saint-Aignan représenta que M. Simon Lorières n'avait eu d'autres torts, aux yeux du ministre de la guerre, que d'être libéral, d'où il prit occasion de gémir sur le sort des militaires, exposés à perdre ainsi des droits acquis par leurs services et garantis par les lois.

De l'autre côté de la chambre, M. Humbert de Sesmaisons, considérant tour à tour l'art. 14 et l'art. 69 de la Charte, voit

dans le premier un droit illimité, dans le second une faveur transitoire, « L'art. 69 concerne les intérêts acquis, dit-il, mais il ne peut être pour l'avenir un abri derrière lequel viendraient se ranger tour à tour les fautes successivement commises depuis qu'il est octroyé.... » L'orateur déteste hautement l'arbitraire dans l'administration, dans les affaires, mais il l'admet dans l'armée, où tout doit fléchir sous la prérogative royale, utile aux intérêts du peuple comme à ceux de la monarchie ».... Ce discours était terminé par une violente apostrophe contre les révolutionnaires, « Héritiers des régicides, qui, n'ayant pas l'atroce courage de leurs prédécesseurs, se cachent dans l'ombre, et, joignant la turpitude à l'infamie, embrasent le palais des rois pour justifier leurs doctrines. » Allusion' à laquelle le général Foy répondit peu de temps après, en s'opposant à la clôture de cette discussion « que la police était à la recherche des auteurs de ces attentats, et que peut-être, en examinant avec soin les chiffons de papier qui ont enveloppé la poudre des pétards, on y trouverait quelques débris des Notes secrètes.

Au milieu de l'agitation que cette apostrophe et la réplique avaient déjà excitée dans l'assemblée, la clôture, long-temps contestée, et l'ordre du jour sur la pétition furent adoptés.

Tout orageuse qu'eût été cette séance, dont nous sommes forcés d'abréger les détails et d'écarter les personnalités, ce n'était que le prélude de celles qui suivirent. Par une pétition rapportée deux jours après (7 février), le sieur Chrétien réclamait, pour lui et d'autres militaires ayant servi en Espagne dans la garde royale de Joseph, leur solde arriérée. Ils s'étaient adressés au gouvernement espagnol, qui leur avait répondu que reconnaître leur créance ce serait reconnaître l'usurpation; ensuite au gouvernement français, qui objectait que l'autorité du roi Joseph etant indépendante de la France, elle ne pouvait être obligée de remplir les obligations qu'il avait contractées. La commission, reconnaissant la question bien jugée, proposait donc l'ordre du jour.— M. le général Foy, rappelant les événemens de la guerre d'Espagne et les ordres donnés par le gouvernement impérial pour incorporer des mili

taires français dans la garde espagnole, finissait par ce dilemme : «Ils ont servi l'Espagne ou la France. Dans tous les cas, ils ont obéi aux ordres du gouvernement français. Ils n'ont pu faire autrement, ni mieux qu'ils ont fail.

S'ils ont servi la France, c'est au gouvernement français à les faire payer; s'ils ont servi l'Espagne, c'est au gouvernement français à intervenir près du gouvernement espagnol pour qu'ils soient payés par lui. » Et il demandait le renvoi de la pétition au ministre de la guerre et au président du conseil.....

«Eh quoi! messieurs, s'écriait M. le général Sébastiani, on a liquidé les pensions de ceux qui ont servi en Allemagne, en Angleterre, en Sicile; de ceux, en un mot, qui nous ont tiré des coups de canon, et on refuserait de liquider les créances de ceux qui servaient un roi français placé par les armées françaises sur un trône étranger! En payant les uns on a établi les principes sur lesquels reposent les droits des autres. »

• Ces militaires, ajoutait le général Foy, servaient dans nos armées, dans nos rangs; et quand les boulets anglais venaient les frapper, ces boulets ne distinguaient pas si ces militaires portaient la cocarde rouge ou la glorieuse cocarde tricolore..... » Là se fit à la droite une explosion qui s'était plusieurs fois annoncée par des murmures. On ne laissa qu'avec peine l'orateur terminer et répéter ses premières conclusions, pour demander son rappel à l'ordre. M. le baron Dudon, qui les avait déjà combattues sous le rapport financier, exposa « que, qualifier de glorieuse une cocarde qui n'est plus aujourd'hui qu'un signe de rébellion, c'était blesser toutes les convenances et provoquer contre soi l'animadversion des lois. » — M. le général Tarayre, « que la cocarde tricolore n'étant anjourd'hui qu'un signe historique dont on ne peut éteindre les souvenirs glorieux, auquel se rattachent et la gloire d'un quart de siècle et la liberté de la France régénérée, il devait être permis de l'honorer sans étre séditieux. » - M. Castel-Bajac, « que c'est avec cette cocarde tricolore que Louis XVI fut conduit à Péchafaud.» M. Manuel, « qu'on ne peut pas avilir les monumens de la gloire d'un peuple en se prévalant des excès qui peuvent

avoir été commis à l'époque où ils existaient; qu'ainsi on pourrait reprocher à la cocarde blanche les massacres de la Saint-Barthélemy, les dragonnades, et les assassinats dernièrement commis dans le midi de la France. >> Au milieu de ces récriminations, où l'on réclamait avec la même instance, d'un côté de la chambre le rappel à l'ordre de M. le général Foy, de l'autre celui de M. Dudon, M. le garde des sceaux, ramenant d'abord l'attention de l'assemblée sur l'objet de la question, dit que les créances réclamées sont tombées dans l'arriéré, et qu'on n'a pu ni dû en réclamer le paiement de l'Espagne sans blesser toutes les convenances. Quant aux questions incidentes qui se sont élevées, S. G. ne nie pas qu'on n'ait fait sous la cocarde tricolore une immense moisson de gloire; « mais ces couleurs, dit-il, n'ont jamais été l'emblème de la liberté, et c'est sous celles de nos anciens monarques que la vraie liberté a reparu en France.... » Enfin, après une réplique où M. Benjamin Constant reproche à ceux qui ont parlé de la cocarde tricolore de vouloir la flétrir, et distingue le principe d'avec les excès de la révolution, la clôture de la discussion et l'ordre du jour sont adoptés.

( 10 février.) Une discussion plus importante s'éleva bientôt à l'occasion d'une pétition du sieur Alix, colonel d'état-major à Paris, qui demandait à la chambre de respecter la charte et de rapporter les deux lois d'exception et la dernière loi sur les élections. L'ordre du jour pur et simple, proposé par le rapporteur de la commission (M. Bertin de Vaux), était appuyé par toute la droite. M. Robin Scévole demandait le dépôt au bureau des renseignemens M. de Chauvelin, le renvoi au président du conseil des ministres..... Dans ses réflexions sur les lois d'exception, l'orateur se plaignait de ce qu'après avoir enchaîné la liberté de la presse, on voulût étouffer jusqu'à celle de la tribune. Il rappelait ce qui a été dit de l'Espagne, le scandale qu'avait excité une épithète (héroïque) donnée à cette nation.

:

« Quand on parle des efforts héroïques de la nation espagnole et de ceux que la nation napolitaine peut être d'un moment à l'autre obligée de développer, dit l'orateur, il est impossible de ne pas s'affliger en voyant le gouvernement français concourir aux mesures prises par les gouvernemens absolus,

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