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mais il y eut un désavantage évident. Sur quatre-vingt-sept députés que les colléges électoraux avaient à nommer, les deux tiers des députés élus semblaient destinés à renforcer le côté droit, le reste à se partager entre le centre et le côté gauche.

Le résultat des élections était d'un fâcheux augure pour le ministère; mais il n'en parut qué plus décidé à tenir la voie du milieu, par l'espérance d'y rallier les esprits effrayés de toute espèce de révolution. Il se fit dans les journaux un changement remarquable; la censure se montra plus sévère contre le parti qui se croyait le plus fort, si on en jugé par les blancs nombreux qui se trouvent dans ses journaux à cette époque. Mais la censure n'était bonne que jusqu'au jour où la tribune publique s'ouvrirait. L'époque en était fixée au 5 novembre (ordonnance du 6 octobre), et le ministère eut le courage de ne point la différer.

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CHAPITRE XIII.

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OUVERTURE de la session de 1821. Discours du roi.-Disposition des partis dans la chambre des députés. — Embarras et négociations du ministère. Discussion de l'adresse au roi en comité secret. Réponse de S. M. Attaque contre les ministres. Changement total du ministère.

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Jusqu'ici nous n'avions pas cru devoir scinder le tableau des sessions législatives : mais celle de 1821 étant le complément nécessaire de l'histoire de cette année, il est indispensable d'en offrir quelques détails.

(5 novembre.) L'ouverture de cette session, attendue avec antant d'impatience par les partis que d'inquiétude par le ministère, eat lieu, le jour marqué, dans la grande salle du Louvre, par le roi en personne, avec l'apparat, la pompe et le cérémonial de l'année précédente. Le discours de S. M. offrait des témoignages de satisfaction sur l'amélioration de l'esprit public, sur la situation. générale extérieure et intérieure de l'État, et l'expression de l'espérance que les chambres persévéreraient dans les sages mesures auxquelles il fallait attribuer de si heureux résultats.

La chambre des pairs, aussitôt constituée que convoquée, présenta son adresse au roi, rédigée par M. de Lally-Tollendal dans le sens du discours; entendit la proposition de M. le comte Ferrand sur la compétence de la cour des pairs constituée en hautecour de justice; jugea l'affaire de Maziau; entendit et discuta la proposition d'une loi sanitaire. De ces deux affaires, l'une est déjà connue (Voyez chap. IX, p. 144); l'autre n'a été portée à la chambre des députés qu'au commencement de l'année suivante.

(7-12 novembre.) Plusieurs jours se passèrent sans que la chambre des députés fût assez nombreuse pour pouvoir délibérer, et dans cet intervalle, tandis que les ministres essayaient de former leur majorité, des membres du côté droit tenaient entre eux des assemblées particulières pour s'assurer de la leur. Il est très-diffiAnnuaire hist. pour 1 1821.

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cile, au milieu des bruits qui coururent et des intrigues qui croisèrent, de trouver le fil de ces petits événemens, d'ailleurs peu importans à connaitre après le dénouement de l'affaire qu'ils préparaient; il serait même indiscret de vouloir donner une idér nette de ce que voulait, de ce que pouvait oser le ministère. On a parlé dans le public d'une dissolution de la chambre, d'un changement du système électif par ordonnance, de concession à faire aux libéraux pour ôter au côté droit une majorité qu'il n'aurait pas eue sans eux. Nous ne chercherons pas ici le secret de ces bruits, ou, si l'on veut, de ces projets dont les révélations échappèrent quelquefois à la tribune. Il nous paraît constant que le ministère se laissa d'abord aller au courant sans savoir de quel côté il tournerait la voile pour se sauver du naufrage.

Dès qu'on fut en nombre à peu près suffisant (il fallait deux cent seize, en supposant la chambre au complet de quatre cent trente), on fit le rapport des élections, qui offrirent peu de récla mations, soit que les esprits fassent plus calmes, soit que les partis eussent ou crussent avoir à se ménager. Deux nominations seulement, toutes deux du Calvados, et faites dans un esprit contraire, furent d'abord contestées comme irrégulières; l'une de M. Adam de la Pommeraye, sur ce qu'au moment de son élection il ne payait pas la contribution exigible (il était substitué à sa belle-mère); l'autre de M. Hottot, pour de légers défauts de forme... On les admit enfin tous les deux. Quelques nominations furent ajournées faute de pièces, dont la production fit admettre sans difficulté les élus.

(14 novembre.) Le jour où les partis commencèrent à se mettre en présence est celui de l'élection des cinq candidats à la présidence. Le premier nom sorti de l'urne au premier scrutin fut celui de M. Ravez, qui, sur deux cent seize votans, réunit cent trentetrois suffrages. Quoique personnellement agréable au côté droit, son choix était d'un grand avantage au ministère. Après lui, dans le second scrutin, M. de Villèle obtint cent trente-trois voix; dans le troisième, M. de Corbières 124. M. de Bonald 114. —

Enfin le 16 novembre, au scrutin de ballotage, M. de Vaublanc

obtint une majorité relative de 106 voix contre M. Royer Colard, qui n'en réunit que

88.

D'après ces deux votes, on peut juger de la force relative des deux partis opposés dans la scission de la chambre, en observant toutefois qu'il sortit de l'urne, à ce scrutin, vingt bulletins en blanc, sans doute donnés par d'inébranlables ministériels qui ne voulaient ni de l'un ni de l'autre candidat.

Entre les cinq élus, S. M. fit encore choix cette année de M. Ravez (ordonnance du 19 novembre).

En résultat, ces nominations ne paraissaient pas d'une hostilité décidée contre le ministère, par l'incertitude où le public était de la position nouvelle de MM. de Villèle et Corbière, qui n'avaient pas pris place, non plus que M. Laîné, au banc des ministres. La composition du bureau, qui dura encore trois jours (du 19 au 20 novembre), montra plus évidemment la force 'du côté droit. Les vice-présidens élus furent MM. de Villèle, Corbière, Bonald et de Vaublanc; les secrétaires, MM. de Béthisy, de Kergolay, CornetIncourt et de Castelbajac, à une forte majorité. Enfin la composition de la commission chargée de rédiger l'adresse acheva de révéler le secret que le ministère voulait se cacher à lui-même. Il se trouvait dans cette commission plusieurs antagonistes connus du ministère (1), deux ou trois députés du centre droit, pas un du côté gauche. La lutte s'engagea dans le sein de la commission.

(22, 23, 24 novembre. ) Pendant trois séances de cinq et même de six heures, où le président de la chambre, usant de la prérogative de sa place, assista régulièrement, on discuta le projet d'adresse, dont la rédaction avait été confiée à M. Delalot... On a prétendu qu'il s'y trouvait d'abord plusieurs expressions contre le système du ministère, lesquelles furent écartées, mais après bien des débats et des pourparlers. Le passage qui les avait surtout excitées, et dont il va être question, fut adopté à la majorité de six voix contre quatre,

(1) En voici la composition: (1er bureau) M. Delalot, (2d) M. de Cas≈ telbajac, (3o) M. de Cardonnel, (4) M. de la Bourdonnaye, (5) M. de Vaublanc, (6) M. le chevalier Maynard, ( 7 ) M. Chifflet, (8) M. Hocquart, (9) M. Bonnet.

en y comptant celle du président (M. Ravez), et l'adresse fut soumise le 26 à la chambre formée en comité secret.

Comité secret du 26 novembre. Cette séance, dont quelques détails publiés contre l'usage, mais dans l'intérêt des partis, sont d'une notoriété sinon officielle, du moins incontestable, était attendue comme une lutte décisive avec le ministère. Elle s'ouvrit à deux heures par la lecture de l'adresse au roi, laquelle fut entendue dans un profond silence. Elle ne contenait, relativement à l'état intérieur de la France, que l'expression de la reconnaissance et du dévouement de la chambre envers le roi; mais à l'égard des relations extérieures, il y avait cette phrase devenue historique par les débats et le changement qu'elle a causés:

« Nous nous félicitons, Sire, de vos relations constamment << amicales avec les puissances étrangères, dans la juste confiance qu'une paix si précieuse n'est point achetée par des sacrifices « incompatibles avec l'honneur de la nation et avec la dignité de « la couronne. »

«

Le président avait à peine achevé la lecture de l'adresse, que le ministre des affaires étrangères ( M. le Baron Pasquier) demanda la suppression du paragraphe cité, attendu que, contre l'usage ordinaire de la chambre dans son adresse d'ouverture, acte important, régardé comme l'expression publique de la confiance qui doit régner entre le monarque et la chambre, il ne s'y trouvait pas un mot qui rappelât les paroles du roi, tandis qu'on y donnait à ce que S. M. avait dit une extension qui manquait tout-à-fait de convenance, et qui pouvait avoir des conséquences graves.... Ici, relisant la phrase du discours du roi relative à notre état extérieur, le ministre fait observer que la paix n'a point été troublée, que ces paroles ne doivent exciter aucune sollicitude; qu'il ne s'agit de guerre que comme d'une chose éventuelle, et que d'ailleurs c'est dans l'Orient qu'elle éclaterait, et qu'alors la France n'y prendrait aucune part et n'aurait besoin de faire aucun sacrifice; et qu'enfin nul effort, nulle mesure extraordinaire n'étaient demandés à la chambre, dont le premier devoir était de conserver la confiance qui existe entre le roi et les peuples. Cependant, comme par

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