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Marengo; et le cortége, composé des compagnons de son exil, de sa maison en deuil, du gouverneur de l'île et de toute la garnison, le suivit dans un recueillement religieux, aux sons d'une musique funèbre et au bruit des salves d'artillerie, tirées de moment

en moment.

Arrivé près du lieu de la sépulture, à un endroit impraticable pour les voitures, le cercueil fut enlevé par vingt-quatre grenadiers anglais (étrange destinée pour l'ennemi du nom britannique), et déposé par eux dans un tombeau bâti de matériaux apportés pour la maison de Longwood; et quand le prêtre eut achevé la dernière prière des funérailles, le tombeau fut scellé d'une grande pierre et recouvert d'une maçonnerie renforcée par plusieurs barreaux pour empêcher l'enlèvement du corps.

Nous n'entreprendrons pas de donner même une esquisse de la vie et du caractère d'un homme qui laisse encore trop de passions et d'intérêts hostiles ou favorables à sa mémoire pour que le temps de le juger soit arrivé. Cette tâche, digne d'un grand écrivain, peut-être réservée à un autre siècle, nous ferait sortir du genre et de l'époque de cet ouvrage. La carrière de Napoléon Bonaparte n'appartient à notre sujet que par l'événement qui la termine. La réception de cette nouvelle en Angleterre donna lieu au parti de l'opposition d'accuser le gouvernement des rigueurs exercées contre le prisonnier de Sainte-Hélène, et au docteur O'meara, de rappeler ses prédictions et ses avis. Il critiqua le rapport des médecins après l'ouverture du corps, en observant qu'il n'était point signé du docteur Antomarchi: et sans affirmer lui-même rien de positif sur la cause réelle de la mort, il soutint que l'affection cancéreuse n'était point héréditaire et ne devait pas emporter le malade en six semaines. Mais ces débats n'ont rien produit qui pût affaiblir l'autorité des documens officiels.... On ne s'y arrêta qu'un moment, et le résultat de cet événement pour l'Angleterre fut la réduction immédiate de l'établissement de Sainte-Hélène (1), petite île à laquelle s'attachera désormais la

(1) Nous voyons, dans un compte rendu au parlement, que l'établissement de Sainte-Hélène, coûtait 415,000 liv. sterl.

célébrité d'un tombeau. On y a laissé quinze hommes pour le garder.

En Autriche, et dans les états soumis à l'influence autrichienne, la mort de Napoléon Bonaparte. fit peu de sensation. On y était occupé d'intérêts trop importans. On lui fit un, service à Schoënbrunn, où habitait son fils, et on porta son deuil pendant trois mois à Parme, résidence de sa veuve.

En France, cette nouvelle, annoncée d'abord par un courrier extraordinaire, et publiée par tous les journaux, ne trouva pas tous les esprits disposés à y croire; mais quand il ne fut plus possible d'en douter, la tristesse se peignit sur le front des vieux guerriers, qui ne pureut refuser des larmes à leur illustre capitaine, douleur noble dout le monarque lui-même permit l'expression qui s'échappa devant lui (Voyez la Chronique )........ Peu de jours après, les étalages des libraires étaient couverts de brochures et d'estampes qui représentaient la mort et le convoi. Quelques-unes avaient été publiées sans les formalités prescrites par les lois, elles furcnt saisies par la police. - Une seule fut l'objet d'un jugement. Quelques autres étaient injurieuses à la mémoire de Bo naparte; elles n'eurent aucun succès.

Peu de mois après arrivèrent d'Angleterre en France les comtes Bertrand et Montholon, et M. Marchant, légataires et exécuteurs testamentaires de ses dernières volontés, dont on trouvera les détails dans une autre partie de cet ouvrage.

Les arrivés de Sainte-Hélène furent reçus en France avec des sentimens honorables pour tous les partis. Le comte Bertrand, déclaré compris dans l'amnistie, fut rétabli dans ses grades, ses honneurs et son traitement de disponibilité ( ordonnance du 14 octobre). En général, les haines mêmes que l'ex-cmpereur avait soulevées se turent à la nouvelle de l'accomplissement de ses destins ; la pitié publique s'est assise un moment sur sa tombe.

Un jour seulement, à la séance des députés du 6 juillet, dans la discussion de la censure, à la fin de cette session, si mémorable par l'exaltation des partis, le mot d'usurpateur, qui était échappé à M. Duplessis Grenédan, fut couvert par une voix du côté gauche qui dit: Il est mort. L'orateur reprit : Il y a des gens qui peu

vent'crier: L'empereur est mort, vive l'empereur!..... Cette réflexion occasionna quelque rumeur; mais elle ne donna lieu à ancune réplique; et comme presque tous les députés quittaient leurs places, l'orateur interrompu remit la suite de son discours sur la censure au lendemain.

Puisque cette circonstance nous a reportés à la session, il faut, pour en achever l'histoire, remarquer qu'à la fin des dernières discassions, le mécontentement du côté droit était si évident, que sa rupture prochaine avec le ministère, et par conséquent une scission du ministère, était inévitable.

Les nouveaux ministres, quoique sans portefeuille, placés comme ils l'étaient, chefs ou représentans d'un parti considérable, avaient eu, dans la chambre, une allure plus libre, une existence plus forte, une iufluence plus grande que celle des anciens ministres. Ils étaient déjà, pour une bonne partie du centre, ce soleil levant vers lequel, dans tous les régimes, on aime tant à se tourner. Mais des que la session fut finie, les querelles ministérielles commencerent, Tout le monde se retirait mécontent; on n'avait laissé la victoire à personne, et chacun voulait partager le batin. La position des nouveaux ministres n'avait plus rien que de gênant et d'incommode pour eux, pour leur parti, pour leurs collègues. I fat bientôt question de les en faire sortir. Un seul, M. Corbière, était pourvu d'une place à laquelle pouvait s'attacher un grand titre. On dit qu'il fut question de joindre à la présidénce du con seil royal de l'instruction publique le département des cultes, et de donner à M. de Villèle celui de la marine. Mais il s'agissait moins ici de satisfaire des ambitions particulières que de changer le système politique, et d'assurer pour la session prochaine l'accord da ministère et de la majorité.

Plusieurs jours avant la clôture de la session, il s'ouvrit entre les membres du ministère, avec ou sans département, des négociations de la nature la plus délicate, surtout relativement au ministère de l'intérieur, auquel on voulait rattacher la police générale et l'administration dont il était en effet dépouillé. Enfin, de ces né❤ gociations essentiellement secrètes, où l'amour-propre - propre des per

sonnes n'était pas moins engagé que l'intérêt des partis, le résultat connu est que, peu de jours avant la clôture de la session, MM. de Villèle et Corbière donnèrent leur démission, cessèren de paraître au conseil des ministres, et partirent le premier pour Toulouse (27 juillet), et le second pour Rennes (1er août).

Malgré l'embarras où cette retraite jetait le ministère actif, il est remarquable qu'il ne changea pas de système, même dans l'instruction publique, où la présidence du conseil royal, abandonnée par M. Corbière, fut provisoirement exercée par M. le baron Cuvier. Il n'y eut aucun changement dans la haute administration, ni dans les préfectures, ni dans l'armée, où l'on vit appeler encore des généraux qui en avaient été éloignés. D'ailleurs il n'y a rien à relever dans l'histoire militaire de cette année, que la formation d'un cordon sanitaire de 15 à 20,000 hommes de Perpignan à Bayonne, sur la frontière d'Espagne, où la fièvre jaune vint à se déclarer et menaça Marseille. On en verra plus tard les résultats.

Quant à la marine française, d'après les rapports officiels, il a été armé, cette année, 76 bâtimens, portant dix mille hommes d'équipage et 1,029 canons (trois vaisseaux, onze frégates, etc....), répartis entre les stations que l'intérêt du commerce, la répression de la contrebande et de la traite des noirs, ont fait juger nécessaire de garder sur les côtes de l'Amérique méridionale, de l'Afrique et de la Méditerranée. Partout le pavillon français s'est montré avec honneur.... A la Guayra, il a servi d'asile à une garnison espagnole reduite à la dernière extrémité.... Dans l'archipel grec et sur les côtes de l'Asie mineure, il a sauvé des milliers de malheureux des fureurs d'une guerre d'extermination....

Quant à l'histoire de la diplomatie française, il n'en a paru cette année aucun document à citer, qu'une convention avec les Pays-Bas pour l'extraction des déserteurs, convention ratifiée le 20 octobre.

De toutes les parties de l'administration publique, les finances sont celles où le succès est le mieux constaté. Malgré les prédic tions sinistres de l'opposition, les annuités émises pour le rem

boursement des reconnaissances de liquidation avaient été reçues avec empressement par les créanciers. La vente des 12,514,220fr., apnoncée dès le 8 juillet avec la plus grande publicité, s'opéra le 9 août par adjudication, sur des soumissions cachetées, au prix de 85 fr. 55 cent., et présenta peu de jours après aux preneurs un bénéfice considérable. On peut en juger par la progression du cours, qui, de cette époque jusqu'au mois de novembre, s'est élevé au plus haut degré qu'il eût encore atteint, depuis la restau

ration.

Au fait, quoi qu'en eût dit la double opposition, malgré les discordes et l'embarras de l'intérieur, le malaise des propriétaires, résultant du bas prix des grains, et la diminution progressive du commerce extérieur, la France, par la circulation abondante et rapide des capitaux, par l'emploi de sa population laborieuse, par le perfectionnement de son industrie et de sa navigation intérieure, par l'accroissement de ses consommations, par la perception facile des impôts et l'amélioration graduelle du crédit public, offrait les symptômes de la prospérité générale : et comme on ne peut juger de Padministration publique que par ses résultats, l'histoire ne pourra lui refuser d'y avoir eu quelque part.

Telle était aussi la confiance du ministère dans sa durée, confiance inconcevable sous d'autres rapports, qu'il crut pouvoir devancer l'époque ordinaire de la session législative, dans l'espoir de faire voter le budget de 1822 avant la fin de l'année, et de sortir enfin du provisoire. Il fit convoquer les assemblées électorales; pour les colléges d'arrondissement, le 1er octobre, et pour ceux de département, le 10 du même mois ( ordonnance du 6 septembre); et, dans le choix des présidens, il ne s'écarta presqu'en rien du système de l'année dernière. On y voit figurer, entre beaucoup de députés royalistes sortans, quelques-uns de ses antagonistes les plus connus.

Les élections de cette année furent plus calmes, moins agitées que les dernières, soit que les partis connussent mieux leurs forces, soit que le ministère y eût exercé moins d'influence. On ne s'en plaignit pas moins des efforts qu'il avait faits dans cette lutte;

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