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telle modération contrariait les passions de troubler subitement les esprits par de nouvelles terreurs ; quand ils ont pu s'abuser même sur la criminalité de la tentative, par l'espérance que nul danger véritable ne devait en résulter... Prenez garde, messieurs, je suis loin d'affirmer que de telles conjectures soient fondées; je suis loin de voir qu'elles n'aient aussi de graves inconvéniens; qu'on ne puisse cruellement en abuser pour chercher à compromettre dans l'opinion, des serviteurs fidèles, des hommes vénérables, placés par leur rang et leur vertu au-dessus de tous les soupçons; mais je dis que vous les provoquez par vos conjectures précipitées et téméraires dans un autre sens; je dis que vous leur donnez une sorte d'autorisation, et je vois là un nouveau et pressant motif d'imiter la sage réserve du message de S. M., d'attendre en paix les résultats de l'instruction judiciaire.... »

Examinant le projet d'adresse dans ce qu'il a de relatif au ministère, l'orateur ajoute :

« N'avez-vous pas entendu le jour précédent un autre honorable député commencer à faire retentir cette tribune de ses plaintes amères contre les manquemens du ministère? ne doutez pas que d'autres accusations succèdent bientôt à la sienne..... Mais quelles accusations? vous en remarquerez la tendance... Est-ce pour ses fautes véritables que le ministère est à la veille d'être ainsi poursuivi? pour s'être placé dans la dépendance d'un parti, pour avoir déployé le luxe de l'arbitraire?........ Non, mais précisément pour n'avoir pas assez prévariqué dans ce genre, pour ce qu'on appelle la faiblesse et la mollesse de son administration.

« Oui, on osera vous dire qu'un tel gouvernement n'est pas suffisamment armé contre les factieux, quand à ses pouvoirs ordinaires, déjà si étendus, il joint tant de pouvoirs extraordinaires et inconstitutionnels; quand nous avons laissé déposer dans ses mains la liberté individuelle, la liberté dè la presse, presque tous nos droits électoraux; quand il se voit entouré et secondé par une garde si nombreuse, une police si active, des fonctionnaires si dévoués ou plutôt si dépendans !

« On osera ajouter que si une grande autorité lui fut confiée, au moins il ne s'en est pas servi assez largement, assez énergiquement... lorsqu'il a fait de la censure l'usage que vous savez, lorsqu'il a employé la force militaire comme vous l'avez vu dans les troubles de juin; lorsque les inquisitions de sa police s'étendent sur nos relations les plus intimes et les plus sacrées; lorsqu'il s'est assuré, par ses menaces corruptrices de destitution, la dépendance servile de tant de fonctionnaires publics, soit dans leurs votes électoraux, soit dans leurs votes législatifs; lorsque surtout, dans l'enceinte de l'administra tion judiciaire, il nous inonde depuis un an de procès politiques, toujours dirigés dans le mème sens, et néglige les poursuites les plus indispensables dans un sens opposé; lorsque, dans la plupart de ces causes, et les réquisi toires des avocats généraux, et les résumés de ses présidens d'assises, et le choix arbitraire des jurés par ses préfets, et l'admission inouïe d'agens provocateurs au nombre des témoins, ont semblé se réunir pour former contre de malheureux accusés la conspiration la plus redoutable... tout cela n'est point encore assez; c'est de la mollesse administrative, de la négligence, presque de l'impunité... Bon dieu! messieurs, que veulent-ils donc, ceux qu'un tel systéme de répression n'a pas encore satisfaits?... apparemment, sans doute,

qu'on sacrifie les dernières formes de la justice, les derniers restes de nos libertés; qu'on érige des tribunaux extraordinaires, ou plutôt que, cessant même de juger, on recommence à proscrire, à déporter... Vous avez beau frémir, vous avez beau désavouer de telles conséquences, elles peuvent n'être pas dans vos cœurs, elles sont au fond de vos opinions; c'est à de tels excès que conduisent inévitablement vos accusations sans fondement et sans mesures; telle est l'infaillible pente de l'esprit de parti, que votre adresse tend à exalter. »

Ce discours fit une sensation profonde. C'était le dernier effort d'une voix impressive, généreuse, qui ne devait plus retentir dans cette enceinte (1).

MM. Benjamin Constant, Alexandre Lameth, Foy, Girardin, Demarçay et Casimir Perrier demandèrent le retranchement des expressions déjà signalées. MM. Benoist, Donnadieu, de Curzay, Berlin de Vaux, d'Ambrugeac soutinrent la rédaction de l'adresse surtout par la considération de la nécessité « de signaler à la «France, à toute l'Europe, l'audace d'une faction qui poursui<< vait si obstinément le cours de ses criminels attentats. » Enfin l'adresse, votée par paragraphe, fut adoptée dans son ensemble à une très-grande majorité, par 244 voix sur 266 votans. (V. l'appendice.)

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Outre l'explosion du 27, dont la recherche et la responsabilité semblaient spécialement appartenir à la police intérieure du château, quelques autres détonations furent entendues les jours suivans dans le voisinage des Tuileries, et jusque dans un corridor de la Trésorerie royale (le 31 janvier), en plein jour, à l'heure où les bureaux sont le plus fréquentés, comme en dérision des inquiétudes et des recherches de la police. Malheureusement encore un individu soupçonné à tort ou à raison du premier attentat (Neveu), qu'elle venait d'arrêter, se coupa la gorge au moment où on allait procéder à son interrogatoire, et sa mort accrédita tous les bruits répandus sur son compte. Néanmoins la saisie de ses papiers n'apprit rien de relatif au sujet qu'on avait en vue et le dérangement de ses affaires paraît avoir eu plus de part que la politique à son suicide. (Voy. la Chronique.) Plusieurs

(1) M. Camille Jordan était déjà gravement attaqué de la maladie dont il est mort le 19 juin suivant.

autres arrestations, plusieurs autres interrogatoires eurent lieu, même à l'égard de quelques personnes attachées au service du château. Mais malgré les recherches que fit la police, si intéressée à découvrir les auteurs de cet attentat, il est resté couvert des ombres du mystère, en sorte que les partis opposés ont pu se renvoyer impunément pendant plusieurs mois les soupçons et les injures. Les débats de la chambre des députés en ont offert plus d'un exemple (12 février, 7 avril, 8 mars).

CHAPITRE II.

PÉTITIONS, et débats qu'elles excitent.

Pétition du colonel Simon Lorieres sur sa radiation du contrôle de l'armée. - Pétition du sieur Chrétien pour un arriéré de solde, du colonel Alix pour le rapport des lois d'exception. Questions incidentes sur les révolutions de France, d'Espagne et d'Italie.

PLUSIEURS pétitions, présentées à la chambre des députés avant ou pendant la discussion des lois, amenèrent des débats plus orageux et non moins intéressans que ceux qui s'élevèrent des lois elles-mêmes.

Il faut mettre au premier rang celle de M. Simon Lorières, chef de bataillon, qui demandait à être rétabli sur le contrôle de l'armée, d'où il avait été rayé sans être admis à la pension de retraite, et à rentrer dans son traitement de non-activité, bien à être mis en jugement.

ou

(5 février.) En rapportant cette pétition, au nom de la commission, M. Forbin - des - Issarts fit d'abord observer qu'elle intéressait vivement la discipline de l'armée et l'ordre social tout entier.

« Il ne s'agit pas ici d'une simple destitution, dit-il, ni des causes plus ou moins graves qui ont pu la motiver; le pétitionnaire n'attaque pas sa destitution sous le rapport de la justice ou de l'injustice; mais il conteste au gouvernement le droit de destitution, il attaque la prérogative royale qui a constitué le Roi seul chef des armées de terre et de mer, seul juge suprême du choix de ses officiers...... Le texte de la charte (art. 14) ainsi que son esprit, l'application constante qui en a été faite à la discussion et à la décision de la chambre constatent d'une manière positive que le droit attribué au Roi par la charte est, sans altération, de choisir ou de destituer les officiers de l'armée..... Tous les gouvernemens qui se sont succédés depuis la révolution, ceux mêmes qui ont le plus affecté les formes républicaines, ont destitué administrativement et arbitrairement les militaires des plus hauts grades. ( Art. 41 de la constitution de l'an 8.)

«Vainement voudrait-on invoquer ici l'article 69 de la charte, et prétendre qu'il a restreint ou atténué l'art. 14 en établissant des droits inviolables en faveur des officiers de l'ancienne armée; vainement dirait-on que cet article consacre l'inamovibilité de leurs grades: l'erreur est palpable. Il est facile de

voir en effet que l'art. 69, placé là où il est, et par son énoncé même, renferme seulement une reconnaissance, une acceptation des officiers alors existans, mais sous les mêmes conditions auxquelles les grades avaient été acquis, avec les mêmes droits et réserves que la législation existante et les gouvernemens antérieurs avaient consacrés.

< Toute autre interprétation, en changeant le sens exprès de l'article, renferme la plus dangereuse inconstitutionnalité. »

Quant à la demande du pétitionnaire, pour avoir des juges, M. le rapporteur, résumant les lois, les décrets et les ordonnances sur la matière, s'attache à prouver que la destitution du sieur Simon a été légale, et, en conséquence, laissant à la chambre le soin de peser les différentes considérations d'ordre public qui peuvent se rattacher à la question, il déclare que la commission, n'ayant voulu s'occuper de la pétition que sous le rapport des lois existantes, a proposé de passer à l'ordre du jour.

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M. le vicomte Donnadieu, se levant le premier pour appuyer la pétition, attire toute l'attention de l'assemblée. Il avait luimême à faire une proposition, dont l'objet se rattachait à la réclamation du sieur Simon Lorières; il était dans une situation à peu près semblable (1), et sa position politique dans la chambre rendait son opinion plus remarquable. En voici quelques traits:

< Les lois sont établies pour garantir à chacun la fortune qu'il a légitimement acquise : nul ne peut être privé de ses droits que par l'effet d'un jugement légal. Quelle est la fortune, la propriété plus légitimement acquise que celle d'un militaire qui, par vingt et trente ans de services tout entiers au bénéfice de l'état, a obtenu un grade que la loi lui a dévolu pour prix fort souvent d'une jeunesse tout entière, de son indépendance, de sa santé, de son sang qu'il a généreusement sacrifié en le versant pour la patrie? Cherchez, messieurs, dans toutes les classes de la société un bien aussi chèrement payé!

Eh bien! comment pourriez-vous admettre qu'on pût le perdre, qu'il pût étre enlevé par l'effet d'un caprice', sans raison ni motifs autres que la volonté de celui qui l'exerce? L'état de l'officier français se présente sous deux rapports'qu'il faut savoir bien distinguer, le grade et l'emploi, à chacun sont affectés deux traitemens particuliers : le grade ne peut se perdre que pár suite d'une condamnation légale; l'emploi est à la disposition du prince.

« Le roi, chef suprėme des armées de terre et de mér, donne des commissions d'emploi, ou les retire à ceux qu'il juge convenable d'appeler ou de

(1) Il venait d'être rayé dé la liste des lieutenans-généraux en dísponibilité. (Moniteur, 22 janvier.)

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