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étaient remplis d'une foule prodigieuse : les fenêtres, les balcons, et jusqu'aux sommets des toits, couverts de monde, décorés de drapeaux blancs et de tentures fleurdelysés et ornés d'emblèmes et devises analogues à la circonstance. Partout S. M. et la famille royale furent saluées par les plus vives acclamations de la foule assemblée sur leur passage. La métropole, décorée au-dedans et audehors avec autant de goût que de magnificenee, était déjà remplie par des députations des bonnes villes et des premières autorités, par le corps diplomatique, par tout ce que la ville offrait alors de personnes de distinction, et par une multitude de femmes éclatantes de beauté ou de parure, lorsque S. M. y arriva.

Après le Veni Creator, chanté par la musique de la chapelle du roi, l'enfaut royal, qui avait été ondoyé le jour même de sa naissance, fut présenté, pour recevoir le supplément des cérémonies du baptême, à S. Em. M. le cardinal de Périgord, archevêque de Paris, par MONSIEUR, représentant le roi des Deux-Siciles, parrain, et par MADAME, duchesse d'Angoulême, représentant Mme la duchesse de Calabre, princesse héréditaire du royaume des Deux-Siciles, marraine.

Cette cérémonie achevée, S. Em. présentant l'enfant à S. M., lui fit un discours terminé en ces mots : « La religion, Sire, remet entre vos mains ce dépôt si précieux, chargé de ses bénédictions et de ses espérances; elle le confie à votre majesté pour lui apprendre, par ses leçons et par ses exemples, ce que l'église doit se promettre d'un roi très-chrétien.»—A quoi S. M. répondit en invitant tout le clergé à prier pour l'auguste enfant, afin qu'il se rende digne, ajouta S. M., du bienfait que le ciel nous a accordé par sa naissance, et que sa vie soit consacrée au bonheur de la France et à la gloire de notre sainte religion. »

Un Te Deum termina la cérémonie religieuse, après laquelle on procéda à la signature de l'acte du baptême, où furent appelés à signer après le roi et les princes et princesses de la famille royale et du sang, les présidens des deux chambres, le plus ancien des maréchaux de France (M. le duc de Conegliano), celui des ministres d'État ( M. le prince de Talleyrand) et des conseillers d'État,

les premiers présidens.des cours de cassation, des comptes, du conseil royal de l'instruction publique et de la cour royale de Paris, M. le préfet du département de la Seine et MM. les maires ou présidens des députations des bonnes villes du royaume.

A la même occasion et dans cette même journée, furent célébrés seize mariages de jeunes filles dotées sur les revenus de la ville de Paris, avec des soldats ou des ouvriers. Deux de ces mariages avaient été laissés au choix du consistoire des communions protestantes ; les autres à celui des maires de la ville et du préfet du département.

Des illuminations générales, des feux d'artifice, une fête particulière, offerte à la famille royale à l'Hôtel de Ville, des repas donnés aux corporations (c'est ainsi qu'on les a qualifiées) des dames des marchés, des forts de la Halle, des charbonniers... ; des divertissemens populaires de toute espèce, occupèrent pendant plusieurs jours une population immense, avide de spectacles, d'émotions et de mouvement. On en retrouvera les détails dans une autre partie de cet ouvrage. (Voy. la Chronique.)

Mort de Napoléon Bonaparte. Tandis que la capitale et toutes les communes de France célébraient un événement si important pour leur avenir; tandis que l'enfant royal, salué à sa naissance comme l'enfant de l'Europe, et destiné à renouer le fil interrompu de la race de Louis XIV, recevait au milieu des pompes de l'église et du trône les eaux salutaires du baptême, un homme qui avait fait si long-temps les destinées de plusieurs peuples, celui dont toutes les gloires du monde n'avaient pu remplir le cœur et rassasier l'orgueil, Napoléon enfin, recevait des mains d'un prêtre obscur, sur un rocher stérile, au milieu des solitudes de l'Océan, entouré de quelques amis fidèles au malheur, et dans les fers de l'Angleterre, l'huile sainte des agonisans : il allait sortir de la vie, disparaître de la face de la terre, en y laissant, sous quelque rapport qu'on le considère, et le souvenir immortel de son nom, et la trace ineffaçable de ses pas.

Depuis plusieurs années, l'illustre captif de Sainte-Hélène était

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frappé d'une mélancolie poire et profonde; la conversation des compagnons de sa captivité et des étrangers, qui obtenaient rare ment de lui ou du gouvernement de l'ile la permission de le visiter, la lecture des livres qu'il affectionnait le plus, et la composition de ses mémoires ne pouvaient l'en distraire. Il ne trouvait plus de remède à ses maux et à l'ennui, le pire de tous, que les travaux du jardinage... Le docteur Barry-Omeara l'avait jugé attaqué d'une maladie du faie; il avait même assuré que si on persistait à le laisser dans l'île, sous l'influence d'un climat contraire à son état, et où il ne pouvait trouver ni les remèdes ni l'exercice nécessaire à sa santé, il périrait infailliblement et en peu de temps d'une affection hépatique. On ne tint pas compte de ces prédictions; on soupçonna que le docteur qu'on avait retiré de Sainte-Hélène, comme ayant servi d'intermédiaire pour une correspondance secrète de l'ex-empereur avec ses amis ou sa famille, avait donné des conseils intéressés, On ne s'arrêta pas davantage aux plaintes que Bonaparte fit parvenir au gouvernement britannique. (Voy. chapitre de la GrandeBretagne.) Il fut tenu par sir Hudson Lowe sous la surveillance la plus rigoureuse. Il se plaignit même, dans les derniers temps, qu'on le laissât manquer des choses nécessaires, qu'on ne fit point bonneur à ses, traites, qu'on ne remplit pas les stipulations faites pour son entretien. Cependant on venait d'achever sa maison de Longwood, mais le bâtiment de la compagnie des Indes, le Wa terloo, chargé de son ameublement, n'est arrivé que deux jours avant sa mort..

Déjà, vers le commencement de l'année, Bonaparte avait perdu beaucoup de l'embonpoint trompeur qu'on lui trouvait; il avait considérablement maigri, il souffrait, il éprouvait des indispositions, un malaise plus importun que des douleurs. Au milieu de mars (le 17), il fut obligé de garder la chambre. A la fin d'avril, son état empira; on crut convenable d'adjoindre deux chirurgiens et trois médecins au docteur Antomarchi, son médecin ordinaire. Il n'est pas suffisamment établi, d'après les rapports anglais sur lesquels on a donné les détails de sa mort, à

quelle époque de sa maladie on a découvert qu'il avait un cancer à l'estomae, mal dont on a dit que son père était mort à l'âge de 35 ans. Quoi qu'il en soit, cette maladie n'avait paru dangereuse que le mardi 1o mai; le lendemain, les symptômes en furent alarmans, et le 3 jour on désespéra de sa vie. Le vendredi, des lueurs d'es pérance revinrent, parce qu'il avait pris quelques rafraîchissemens; mais le samedi à trois heures du matin, il perdit connaissance. Dans ses dernières paroles, que l'amitié épiait attentivement, on a plusieurs fois entendu.... Mon Dieu.......... La nation française.... Mon fils: et enfin.... Téte.... Armée.........., derniers mots qu'on entendit distinctement, mais sans pouvoir se faire une idée de la liaison qu'ils avaient dans son esprit. Enfin, après une agonie calme, sans convulsions et probablement sans douleurs, il rendit le dernier soupir, le même jour, 5 mai, à six heures moins dix minutes du soir, âgé de cinquante-un ans, huit mois et vingt jours (1).

Des signaux donnés de Longwood à l'hôtel du gouvernement informaient le gouverneur des progrès de la maladie. Dès le lendemain à sept heures du matin, cet officier, accompagné du com→ mandant de la station navale et de M. de Montchenu, commissaire de la France et de l'Autriche, se rendit avec une suite nombreuse au lieu même du décès, à l'effet de le constater. De suite, comme on dit que le défunt en avait manifesté le désir, pour que l'on pût connaître la véritable cause de sa maladie et en prévenir son fils, on fit procéder à l'ouverture du corps en présence du docteur Antomarchi, de plusieurs chirurgiens, des comtes Bertrand et Montholon; et suivant le procès-verbal (auquel nous renvoyons

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(1) On a dit qu'il était né en 1768 ; — qu'il avait caché la date exacte de sa naissance, dans la crainte du reproche de ne pas être né Français, la Corse n'ayant été réunie à la France qu'en 1769. Le fait n'est pas assez constant pour l'admettre ici, — On n'est pas d'accord non plus sur la manière dont il faut écrire son nom. Il est certain qu'au début de sa carrière il signait ses dépeches Buonaparte, mais par une licence commune aux Italiens, qui écrivent indifféremment buona ou bona,-dès sa fameuse campagne de 1796, il a supprimé l'u, qui lui donnait un air plus étranger.

le lecteur (V. l'appendice), on trouva l'estomac rongé par une large ulcération dont la cure n'était pas au pouvoir de l'art.

Cette opération faite, le corps fut exposé à Longwood, reveta d'un uniforme vert à paremens rouges, décoré du grand aigle de la Légion-d'Honneur; toute la population s'y transporta et vint contempler ce qui restait de l'homme qui avait rempli le monde du bruit de son nom. Ses restes furent mis, sans être embaumés, dans une bière de plomb, recouverte de deux cercueils, l'un de chêne, l'autre d'acajou garni d'ébène noir, cloués avec des vis d'argent. Les comtes Bertrand et Montholon désiraient rapporter le cœur en Europe, le médecin voulait garder l'estomac, ils ne purent les obtenir: on mit l'un et l'autre dans deux boîtes d'argent remplies d'esprit-de-vin, qui furent enfermées dans la bière, avec une collection de monnaies frappées sous le gouvernement consulaire et impérial.

Suivant une dépêche officielle du gouverneur Sir Hudson Lowe à lord Bathurst, Bonaparte avait formellement exprimé, avant de mourir, le vœu d'être enterré à Sainte-Hélène. D'autres ont ajouté qu'il avait marqué la place de sa sépulture, s'il venait à mourir à Sainte-Hélène, au fond d'un petit vallon romantique, à une demi-lieue de Longwood, près d'une source d'une eau excellente dont il faisait usage, source ombragée de deux saules, là où il s'était souvent reposé dans ses promenades. On a suivi son vou, ou véritable, ou supposé.

Le neuf mai au matin, jour choisi pour ses funérailles, tout ce qui n'était pas indispensable à la garde de la ville et des bâtimens de la marine, environ 3,000 hommes, furent mis sous les armes. Le gouvernement anglais n'avait jamais reconnu l'ex-empereur, mais il avait ordonné qu'on lui rendît les honneurs affectés à l'officier général du grade le plus élevé.

La célébration du convoi eut lieu suivant les rits et les usages de l'église catholique, avec la pompe religieuse et militaire que l'ile pouvait fournir. Sur le châr funèbre, traîné par quatre chevaux, s'élevait le cercueil, couvert d'un manteau bleu brodé d'argent, le! même, dit-on, que ce grand capitaine avait porté à la bataille de

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