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Après avoir prouvé que la liberté de la presse est en France le résultat nécessaire de l'état actuel de la société, il me reste à établir ma seconde proposition: qu'un gouvernement s'expose quand il se refuse obstinément à ce que le temps a proclamé ane nécessité.

Les sociétés les plus tranquilles, et qui devraient être les plus heureuses, renferment toujours dans leur sein un certain nombre d'homines qui aspirent à conquérir, à la faveur du désordre, les richesses qu'ils n'ont pas, et l'importance qu'ils ne devraient jamais avoir. Est-il prudent de mettre aux mains de ces ennemis de l'ordre des motifs de mécontentement sans lesquels leur perversité serait éternellement impuissante? Pourquoi laisser dans leur bouche l'exigeance d'une promesse reçue? Ils ne peuvent qu'en abuser; et, dans cette occasion, ce n'est pas, comme dans tant d'autres, un bien chimérique qu'ils demandent.

La société, dans sa marche progressive, est destinée à subir de nouvelles nécessités; je comprends que les gouvernemens ne doivent pas se hâter de les reconnaître et d'y faire droit; mais, quand il les ont reconnues, reprendre ce qu'on a donné, ou, ce qui revient au même, le suspendre sans cesse, c'est une témérité dont, plus que personne, je désire que n'aient pas à se repentir ceux qui en conçoivent la commode et funeste pensée. Il ne faut jamais compromettre la bonne foi d'un gouvernement: de nos jours, il n'est pas facile de tromper long-temps. Il y a quelqu'un qui a plus d'esprit que Voltaire, plus d'esprit que Buonaparte, plus d'esprit que chacun des Directeurs, que chacun des ministres passés, présens, à venir; c'est tout le monde. S'engager, ou du moins persister dans une lutte où tout le monde se croit intéressé, c'est une faute, et aujourd'hui toutes les fautes politiques sont dangereuses.

« Quand la presse est libre, lorsque chacun peut savoir que ses intérėts sont ou seront défendus, on attend du temps une justice plus ou moins tardive, l'espérance soutient et avec raison, car cette espérance ne peut être longtemps trompée. Mais quand la presse est asservie, quand nulle voix ne peut s'élever, les mécontentemens exigent bientôt, de la part du gouvernement, ou trop de faiblesse ou trop de répression.

. Mais ceci me mènerait trop loin; je finis dans l'intérêt du roi et de la France, je demande une loi répressive et je vote contre la censure, »

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M. le comte de Ségur, en combattant le projet, s'était élevé contre l'amendement introduit par l'autre chambre pour soumettre à la censure tous les ouvrages périodiques, comme étant une atteinte à l'initiative royale, au droit de la propriété, au succès de cent trois entreprises scientifiques et littéraires qui honorent la France.-M. le vicomte de Châteaubriand, qui, l'année dernière, s'était prononcé contre la censure, combattit aussi l'article II, comme une loi nouvelle introduite dans une loi.

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« Lorsqu'on a improvisé cet amendement, dit-il, a-t-on bien vu tout ce qu'il renfermait? Il embrasse par ses conséquences le système entier des let

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tres, des sciences et des arts. Il faudra que le gouvernement multiplie les censeurs à l'infini; il faudra que ces censeurs soient compétens dans la cause qu'ils auront à juger. Je supprime les réflexions qui se présentent en foule à mon esprit, dans la crainte d'être trop sévère : je me contenterai de dire que nous devons éviter de tomber, par la 'censure, dans les fautes qui sont devenues un objet de triomphe pour les ennemis de la religion. S'il doit naître encore des Copernics et des Galilées, ne permettons pas qu'un censeur puisse, d'un trait de plume, replonger dans l'oubli un secret que le génie de l'homme aurait dérobé à l'omni-science de Dieu......

« On nous fait entendre, messieurs, qu'on se montrera facile, qu'on ne fera pas peser la censure sur les journaux véritablement consacrés aux scienees, aux arts et aux métiers. On usera donc de l'arbitraire dans l'arbitraire : et selon le caprice des subalternes de l'autorité, qui protégeront ou ne protégeront pas un journal, ce journal sera censuré ou non censuré...... ›

C'est à regret que nous passons si légèrement sur ces discours, auxquels répondirent M. le ministre des affaires étrangères et M. le baron Mounier, qui insista sur la nécessité de soumettre à une surveillance spéciale des journaux littéraires par leur titre, politiques par leur objet ( et ici le noble pair nomma le Miroir et le Caducée), « dans lesquels il est impossible de méconnaître un but politique trop clairement indiqué par le soin constant des rédacteurs à favoriser de coupables opinions, à rappeler de fâcheux souvenirs, à flétrir le courage et la vertu partout ailleurs que dans certains rangs.... « C'est à ce danger, dit le noble pair, que pourvoira l'art. 2 du projet de loi. Il donnera au gouvernement, à la société les moyens d'atteindre un ennemi qui se dérobait à leur poursuite.... On a parlé des nécessités du temps; c'en est une aussi que d'armer le gouvernement d'une force de résistance égale aux attaques dont il est l'objet.......

Enfin, après une délibération dont personne n'attendait un résultat contraire aux conclusions de la commission, le projet fut adopté à une majorité relativement égale à celle de l'autre chambre par 83 voix sur 128 votans.

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(10-11 juillet.) DEs que la chambre des députés eut adopté la prorogation de la censure, elle reprit la discussion du budget de 1821 pour la partie des recettes. Plusieurs orateurs, MM. Richard, Sapey, Humbert de Sesmaisons, de Castelbajac, s'élevérent contre le mode de dégivement de la contribution, foncière, soit à cause de la classification, soit à cause de l'injustice de la répartition; quelques-uns sous le rapport de la diminution qui devait en résulter dans le nombre des électeurs; quelques autres à cause de la surcharge que ce dégrèvement portait sur les impôts indirects. M. Ternaux, comparant les revenus de l'État avant et depuis la révolution, en attribue l'accroisssement à l'augmentation du travail, à la suppression des priviléges, des jurandes, maîtrises, corporations et monastères, à l'abolition de plusieurs fêtes, à la vente des biens nationaux, à la division des grandes propriétés, et à la réduction de l'armée de ligne...., « toutes causes qui ont augmenté le nombre des productions et la masse des produits, et élevé la propriété financière de la France, au point de pouvoir supporter sans en être écrasée, le poids énorme de 889 millions de contributions.... » Que deviendrait cette prospérité, que deviendraient nos recettes, s'écrie-t-il, si, méconnaissant les sources de l'amélioration de la fortune publique, il était possible que l'on songeât à faire revivre les abus, les préjugés et les priviléges détruits par la révolution ?.... L'orateur en craint le re

tour,

et signale les causes de ces craintes » ; les discours prononcés à la tribune, la faveur dont jouissent tant de personnages qui ne cachent point leur mépris et leur haine pour nos nouvelles institutions; les obstacles que l'on oppose sans cesse au développement de ces mêmes institutions : la direction qu'on cherche à leur

donner, en opposition avec l'esprit et le texte même de la charte; l'attachement que l'on affiche pour les abus les plus intolérables de l'ancien régime; la complaisance et la faiblesse avec lesquelles MM. les ministres entretiennent et caressent ces ridicules prétentions au lieu de les combattre. Et en preuve du mépris où l'on veat faire tomber le commerce et l'industrie, M. Ternaux cite une ordonnance du 20 janvier 1820, qui accorde des lettres de relief à un sieur Gabriel Hervier de Charrin, qui les avait sollicitées, parce que, son père et son aïeul ayant fait le commerce, il craint que ce fait ne lui soit imputé à dérogeance, et d'être privé par-là des prérogatives réservées à la noblesse, tant en jugement que hors de jugement.

En revenant à la question générale des finances et du budget, M. Ternaux se plaignait qu'il n'y eût aucune amélioration, qu'on restât dans le provisoire, qu'on n'eût pas supprimé quelques impôts indirects, tels que la loterie, etc; il exposait que ce dégrèvement annoncé sur l'impôt foncier n'était pas une amélioration, puisqu'il en résultait une augmentation sur l'impôt de consommation qui atteint la subsistance du pauvre et les produits de son travail..... Il attribuait la perpétuité des abus aux changemens de ministères, à la formation des commissions composées dans un intérêt de parti, et moins occupées du bien public que de vues particulières, et il désirait qu'il fût adjoint aux ministres une commission temporaire d'hommes d'Etat, pris, soit en dedans, soit en dehors des chambres, versés en agriculture, conmerce, manufacture et administration, connus et distingués par leur désintéressement, par leur impartialité, leur moderation, leur dévouement au roi et à la charte, qui examinerait le budget sous toutes ses faces et dans tous ses rapports avec notre nouvelle organisation sociale, nos mœurs, nos habitudes et notre position.

Un autre orateur du même côté, M. Tronchon, demandait qu'au lieu d'un dégrèvement particulier, qui ne lui paraît aussi qu'un déplacement d'impôt, on diminuât les droits d'enregistrement; il attribue la décroissance progressive de leurs produits aux inquiétudes élevées sur la possession des biens nationaux. Du côté

opposé de la chambre, M. de Bouville demanda à M. le ministre des finances, des explications sur la vente des 12,500,000 fr. de rentes et sur l'emploi des autres crédits accordés avec une confiance illimitée qu'il ne croit pas sans danger, « puisqu'elle pourrait placer les ministres dans une sorte d'indépendance entièrement contraire au système du gouvernement représentatif ». — A quoi le ministre répondit qu'il n'y avait aucune partie de ces rentes dont le crédit n'eût été spécialement ouvert, qu'il avait droit d'en disposer par un simple acte de son administration, et que l'ordonnance du 8 juillet n'avait été rendue que pour donner plus de solennité et de publicité à cette opération, dont la légalité fut en effet reconnue par le rapporteur de la commission.

(12 juillet.) La discussion particulière des articles ramena les considérations, les objections et les amendemens indiqués dans des discours plus ou moins empreints de l'opinion des orateurs. Ainsi M. Labbey de Pompières, demandant la suppression de l'impôt du sel, à dater du premier juillet 1821, observe que la grande propriété, qui veut le dégrèvement de l'impôt foncier, paye à peine le 10 de la contribution foncière, et moins du centième des contributions indirectes....

« Et cependant, dit-il, il n'est aucune place supérieure, civile et militaire, qui ne soit dévolue à cette portion de la grande propriété; aucune même dans les grades inférieurs qu'elle ne sollicite et qu'elle n'obtienne; on peut évaluer a 300 millions la part qui lui est adjugée dans les émolumens publics, en sorte qu'elle reçoit 60 pour chaque écu qu'elle verse au trésor.... Mais comment espérer quelques réductions sur nos énormes budgets, quand cinquante membres de cette chambre ont part au produit, et cent cinquante autres aspirent à être admis au partage.... Voilà comme se votent des budgets de neuf cents millions; voilà ce que le peuple a à espérer de cette chambre de grands propriétaires.

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Après ce discours, dont nous supprimons les apostrophes les plus violentes, et dont l'impression fut rejetée, M. de la Bourdonnaye, le signalant comme n'ayant d'autre but que d'attirer l'animadversion publique sur la majorité de la chambre, en accusant les grands propriétaires de chercher à se débarrasser des impôts qui pesaient plus particulièrement sur eux, s'attache surtout prouver que les impôts de consommation étaient plus particulie

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