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journaux fussent libres, qu'ils fussent censurés, et de nouveau qu'ils fussent libres.

« Nous n'aurions pas connu ces négociations que cette discussion nous les is aurait apprises. Aucune vérité n'est restée secrète; aucune confidence n'a été refusée. On nous a confirmé ce que dès long-temps nous soupçonnions, la division du ministère et de ceux qui naguère l'appuyaient, et la division non Bimoins importante des ministres entre eux. On nous a confirmé que cette majorité dont nous nous étonnions quelquefois n'appartenait point au ministère entier, mais à deux miniștres seulement, honorés d'une bienveillance exclusive et spéciale, sur qui reposaient de grandes espérances, et qui, dépèrachés en éclaireurs, devaient préparer les logemens et annoncer le corps d'armée. On ne nous a point caché que les espérances n'étaient point remplies. Trop de silence a nui peut-être aux nouveaux arrivans. Ils ont oublié que Pinaction n'était pas conquérante, et que des expectances n'etaient pas des sinécures. Nous avons pu deviner alors pourquoi la censure, naguère défendue et protégée quinze mois, était tout à coup l'objet d'une indignation tardive, et nous avons découvert facilement la source d'où s'élançait soudain ce torrent d'auxiliaires en faveur de principes long-temps désavoués. × Quant à nous, dit en terminant M. Benjamin Constant, nous votons contre la censure, parce que nous voulons la liberté de la presse telle que la charte nous la consacre. Mais nous voulons cette liberté réelle avec ses sauvegardes légales, avec le jugement par jurés, sans lequel aucune liberté ne peut exister. Nous votons contre la censure, mais ce n'est point pour rendre la condition des écrivains plus fâcheuse; ce n'est point faute de pouvoir nous emparer de cet instrument de tyrannie; ce n'est point parce que nous craignons qu'elle ne soit tournée contre nous par un ministère timide que nos imprudences épouvanteraient. Nous votons contre la censure, ainsi que nous avons voté contre les excès de la police, non comme des prétendans avides. qui brisent ce qu'ils ne peuvent saisir, mais comme des hommes qui ne veulent ni souffrir, ni posséder des moyens d'oppression; comme des hommes qui reulent, pour les autres comme pour eux-mêmes, la liberté, la sûreté, la justice.

On avait déjà demandé plusieurs fois la clôture de la discussion générale : ce discours la termina. M. de Vaublanc, rapporteur de la commission, he reparut à la tribune que pour justifier les expressions attaquées de son rapport, et annoncer que la commission persistait dans ses conclusions.

Sept amendemens avaient été proposés à ce projet de loi. L'un, par M. Méchin, avait pour objet de susprendre l'effet de la loi, lors de la convocation des assemblées électorales, motivé sur la nécessité « de préserver les élections d'une oppression devenue intolérable. » Il fut combattu par M. Benoît et appuyé par MM. de la Bourdonnaye et de Castelbajac, qui dit, à ce sujet, qu'on n'a

vait besoin ni de la censure, ni des ministres, pour royaliser la France et les élections. Cet amendement rejeté, étant reproduit dans un sous-amendement de M. Casimir Perrier, M. de Villèle, qu'on n'avait pas encore enterdu dans la discussion, exposà qu'il avait combattu l'année dernière un amendement présenté dans le même sens par M. Méchin, parce qu'on sortait d'une époque où, loin d'avoir la liberté des élections par le moyen des journaux, on avait l'oppression produite par le parti qui s'était emparé de la direction des journaux. Et pour répondre au reproche de contradiction, il déclara que lui et ses amis avaient toujours voulu la liberté des journaux, mais avec des garanties suffisantes pour qu'elle ne dégénérât pas, comme il était arrivé sous la loi de 1819, 'débordée et vaincue par la licence des journaux... « D'ailleurs, ajoute M. de Villèle, la censure est un fardeau pour les ministres. Si votre conscience ne vous la montre pas comme indispensable à la sûreté du pays, rejetez-la, ne l'adoptez pas pour les ministres, car je ne connais pas de joug plus intolérable pour eux, puisqu'ils deviennent responsables d'une chose qu'ils ne peuvent diriger enxmêmes. Ce qui convient aux ministères, c'est une loi répressive, dont l'exécution, confiée aux tribunaux, n'impose aucune responsabilité aux ministres. >>

(9 juillet.) La difficulté la plus sérieuse pour les ministres était l'amendement de M. de Courtarvel, tendant à limiter l'effet de la loi à l'expiration du troisième mois qui suivra l'ouverture de la session de 1821, amendement auquel s'étaient réunis M. Josse de Beauvoir et ses amis. M. le garde des sceaux, M. le ministre des affaires étrangères, plusieurs orateurs du centre essayèrent en vain de le combattre par l'inconvenance d'imposer à la couronne, et dans un délai déterminé, la nécessité de présenter une loi répressive, très-difficile et très-compliquée dans ses dispositions. L'amendement fut adopté par la réunion des deux côtés opposés de la chambre.

Cette étrange réunion (prélude d'un accord plus funeste au ministère) ne fut pas de longue durée. Un instant après, M. de Bonald proposa une disposition additionnelle qui appliquait la cen

sare à tous les journaux ou écrits périodiques paraissant à jour fixe, soit irrégulièrement et par livraisons, quels que fussent leur titre et leur objet... Cette proposition avait pour but d'atteindre un journal littéraire (nouvellement établi, le Miroir) déjà poursuivi par le ministère public comme ayant inséré des articles politiques, ou plutôt des allusions critiques injurieuses au gouver

nement.

« Il est notoire, disait M. de Bonald, que des journaux dont le titre très-innocent semblerait devoir leur ouvrir l'entrée des boudoirs plutôt que celle d'un cabinet de lecture, glissent, sous divers déguisemens dans leurs colonnes, des articles de morale ou de politique, des articles souvent très-répréhensibles. Je ne les cite que parce que, quand ils ont attiré l'attention de la justice et les poursuites du ministère public, ils n'ont échappé à la rigueur des lois qu'à la faveur de leur titre, et pour n'avoir pas été, à ce qu'on croit, compris dans les attributions de la censure. »

Cet amendement fut vivement combattu par M. Manuel, en ce qu'il allait mettre la littérature même sous l'influence du ministère; par MM. de Girardin et de Corcelles, comme étant un véritable projet de loi mis en discussion sans les formalités prescrites, contre les règles de la chambre et l'initiative royale... Les ministres ne se levèrent ni pour le sontenir, ni pour le combattre, ni pour l'appuyer de leur vote; mais il fut adopté par une grande majorité de la droite et du centre, au milieu des murmures du côté gauche, où l'on se récria contre le silence des ministres, comme une transaction de la nuit dernière, «nouvelle preuve de leur faiblesse.»

Après cet article additionnel, M. Benjamin Constant en proposait un autre, portant que les censeurs seraient tenus de signer l'article censuré, et que le nom du censeur serait imprimé avec l'article. On en devine les raisons; mais la majorité n'en tint pas compte, et enfin l'ensemble du projet, qui avait souffert tant d'opposition, n'en réunit pas moins à peu près les deux tiers des suffrages. (Nombre des votans, 326. Boules blanches, 214. Boules noires, 112.)

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CHAMBRE DES PAIRS.

(17 juillet. ) Le ministre de l'intérieur, en portant ce projet à la chambre des pairs, appuya moins sur la résistance qu'il avait trouvée, sur l'amendement qu'il avait subi, que sur la justification de la censure, et sur la tâche imposée au ministère de présenter une nouvelle loi répressive à l'ouverture de la session prochaine comme un nouveau motif d'adopter le projet de loi tel qu'il était présenté.

( 23 juillet. ) Dans le rapport fait au nom de la commission, M. le vicomte de Montmorency, rappelant les principaux moyens allégués pour ou contre la censure, pour ou contre la liberté des journaux, expose que le rejet de la loi replacerait la France sous l'empire de la loi du 26 mai 1819, dont l'esprit de faction a triomphe, et que la commission avait reculé devant une pareille hypothèse.

Quant aux perfectionnemens que pourrait recevoir cette loi « déjà amendée et si heureusement amendée dans le temps de sa durée », la commission a reconnu qu'après une session de huit mois, le temps et la puissance manqueraient, quand même on en aurait la volonté...; qu'un amendement serait le rejet de la loi, ce qui mettrait la société en péril : aussi elle était d'un avis unanime pour l'adopter... Quant à la disposition additionnelle sur laquelle il avait été adressé à la chambre des pairs une pétition signée par les directeurs et rédacteurs de plusieurs feuilles scientifiques et littéraires, la commission, en témoignant le juste et profond in térêt que lui inspire tout ce qui peut contribuer à la propagation des lumières, aux progrès des sciences et des lettres, regrettait. que des écrivains téméraires, en dépassant les limites posées par le titre de leurs journaux, eussent entraîné dans une solidarité fâcheuse ceux qui les avaient respectées. « Mais nous avons la confiance, dit le noble rapporteur, que dans l'exécution de la loi, on respectera l'intention bien connue de ceux qui l'ont amendée : les principes de justice et de modéraiion ne seront pas méconnus; la censure, comme par le passé, ne s'appliquera pas aux journaux purement littéraires et scientifiques qui jouissent de toute la pro

tection du gouvernement; et son action n'atteindra que ceux qui, sous un voile trop fransparent, sortiraient du paisible domaine des Muses ponr usurper celui de la politique,

(23 juillet.) Entre les discours prononcés contre la loi, on a remarqué sous plus d'un rapport celui de M. le prince de Talleyrand. Après avoir déploré l'impuissance réelle où la chambre des pairs était de rejeter le projet de loi, et même d'y faire ancun amendement, à l'époque tardive où l'on était arrivé, ce qui réduisait la chambre des pairs à n'être plus qu'une cour d'enregistrement, le noble orateur se présentait « moins, dit-il, pour combattre la loi proposée que pour l'empêcher de reparaître lors< qu'elle aurait parcouru sa période légale. » Il expose donc :

1o Que la liberté de la presse (qui, appliquée à la politique, n'est autre chose que la liberté des journaux), est une nécessité du temps;

2° Qu'un gouvernement s'expose quand il se refuse obstinément et trop long-temps à ce que le temps a proclamé nécessaire. Après avoir tracé en quelques coups de pinceaux l'esquisse de Ja marche, des progrès et des conquêtes de l'esprit humain dans les deux derniers siècles, l'orateur, arrivé à l'époque de 1789, de-. mande quelles étaient alors les nécessités du temps.

⚫ Ouvrez les cahiers des différens ordres, dit-il, tout ce qui était alors le vœu réfléchi des hommes éclairés, voilà ce que j'appelle des nécessités. L'assemblée constituante n'en fut que l'interprète lorsqu'elle proclama la liberté des cultes, l'égalité devant la loi, la liberté individuelle, le droit des juridictions (nul ne peut être distrait de ses juges naturels ), la liberté de la presse.

Elle fut peu d'accord avec le temps lorsqu'elle institua une chambre unique, lorsqu'elle détruisit là sanction royale, lorsqu'elle tortura les consciences, etc., etc., etc. Et cependant, malgré ses erreurs, dont je n'a cité qu'un petit nombre, erreurs suivies de si grandes calamités, la postérité, qui a commencé pour elle, lui reconnaît la gloire d'avoir établi les bases de notre droit public; et l'auguste auteur de la charte, ce roi digne de la France, comme la France est digne de lui, a consacré dans son bel ouvrage les seuls grands principes fournis par le temps à l'assemblée consti

tuante.

Tenons donc pour certain que ce qui est voula, que ce qui est proclamé bon et utile par tous les hommes éclairés, d'un pays, sans variation, pendant une suite d'années diversement remplies, est une nécessité du temps. Telle est, messieurs, la liberté de la presse.

Annuaire hist. pour 1821.

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