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mains....... mais, jusque-là, unis invariablement dans la ligne de leurs devoirs, ils resteront fermes et dévoués au poste dont la confiance du souverain a daigné les honorer. »

Sur la fin de cette discussion, les partis se dessinèrent plus nettement. M. de Corcelles se répandit en critiques amères sur le système du ministère, sur l'exagération des dépenses actuelles comparées à celles de 1811, sur l'organisation et l'état de l'armée, sur la solde des Suisses, sur l'emploi du domaine extraordinaire, et sur les lois d'exception, dont il demandait surtout l'abrogation. Dans une opinion tout opposée, M. de Lalot (nouveau député de la Marne), et M. le comte de Vaublanc (ministre en 1815), votant pour l'allocation des six douzièmes, mêlèrent tous deux à leur vote des conseils sur la marche que le ministère devait suivre dans un gouvernement représentatif, qui exigeait une action ferme, décidée, ouverte, et sans oscillation. « Assez long-temps, disaient-ils, nous avons fait des lois pour les hommes, il est temps enfin d'avoir des hommes pour les lois »; et, dans leurs digressions contre le ministère, ils n'épargnaient pas le côté gauche, qu'ils signalaient comme en état d'hostilité permanente contre les principes monarchiques. Mais M. de Girardin, réclamant pour lui et ses amis le titre de royaliste constitutionnel, n'en poursuit pas moins, dans un autre sens, la critique du système suivi par les ministres (de la bascule politique ). Il leur reproche d'avoir introduit le privilége dans les élections ; d'avoir anéanti par le fait l'article premier du droit public des Français; d'avoir reproduit sous une nouvelle forme les lettres de cachet, et remplacé la torture par la mise au secret; d'avoir transformé le jury en commissions où l'esprit de parti s'est substitué partout à l'esprit de justice; d'employer la police à provoquer des désordres au lieu de les réprimer, et la censure à diffamer à son gré les meilleurs citoyens, à outrager chaque jour les anciens et, fidèles alliés de la France, Naples et l'héroïque Espagne...... On se souvient de l'agitation, du scandale, du tumulte que cette expression, regardée comme l'apologie de la révolte, excita dans l'assemblée ; elle s'y reproduira plus d'une fois...... En revenant à la question, M. de Girardin se

bornait à voter trois douzièmes, mais en déclarant qu'il en voterait volontiers six à l'instant même, s'il croyait que le roi dût faire usage de sa prérogative pour dissoudre la chambre.....

Nous nous sommes arrêtés à cette discussion plus que le sujet ne semblait le comporter, parce qu'elle nous a paru clairement établir, à l'ouverture de la session, la situation respective des partis qui composent la chambre et celle du ministère entre eux,

Il nous suffit maintenant de faire observer qu'après ces débats, qui avaient duré deux jours, tous les amendemens qui tendaient à réduire l'allocation demandée à 2, 3 et 4 douzièmes, furent successivement rejetés, et l'ensemble du projet adopté à une majo rité considérable (le 9 janvier).

(Résultat du scrutin.-Votans 333.-Boules blanches 268.Boules noires 65.)

Les questions incidentes traitées dans la chambre des députés ne pouvaient exciter le même intérêt dans la chambre des pairs, où le projet fut porté dès le lendemain. La commission spéciale nommée pour l'examen n'y fit aucune objection. Le rapport fait par M. le comte Mollien (12 janvier) reproduisit les doléances ordinaires sur les inconvéniens du provisoire, avec quelques réflexions sur les moyens de le prévenir et l'espérance de le voir cesser. Aucane réclamation ne s'est élevée ni contre le rapport, ni contre le projet, qui dans la même séance a été adopté.

(Nombre des votans 151.-Pour la loi 146.-Bulletins nuls 2. -Contre la loi 3.)

En revenant à la chambre des députés, nous la trouvons occupée de pétitions, dont nous rapporterons tout à l'heure les plus intéressantes, où venaient souvent se rattacher des questions incidentes relativement à la direction des affaires, à l'état de la France, aux révolutions de la péninsule Espagnole et de l'Italie, objets qui chaque jour aigrissaient les partis, dont un incident étranger à la chambre vint encore irriter les passions.

Le 27 janvier, vers quatre heures trois quarts après midi, une forte explosion se fit entendre dans l'intérieur du château, du côté des appartemens du Roi et de Madame. Elle provenait d'un baril

de poudre d'environ six livres placé entre la muraille et un coffre à bois, sur un pallier de l'escalier dérobé destiné au service des appartemens de Madame et des appartemens du roi. La détonation fut forte. Plusieurs des portes et fenêtres qui donnaient dans l'escalier furent arrachées de leurs ferremens, tous les carreaux de vitre en furent brisés avec fracas. Heureusement personne ne fut blessé. Quelques instans après l'explosion, le préfet de police, le procureur-général et le premier avocat général se transportèrent sur les lieux; on fit des recherches dans l'intérieur, on interrogea tous les employés de service sans découvrir d'abord d'autres indices de cet attentat que les débris du baril restés sur la place, et cette incertitude donna ainsi matière à tous les bruits que l'esprit de parti fit répandre.

( 29 janvier.) Dès l'ouverture de la séance des députés du lundi, M. le garde-des-sceaux y porta, de l'ordre du Roi, un message où, après avoir rendu compte de l'événement, S. G. ajoutait :

«

L'explosion, dans la direction qu'elle a prise, ne pouvait heureusement atteindre ni la personne sacrée de S. M. ni l'auguste personne de MADAME. Toutefois un tel attentat, commis au milieu du palais de nos rois, au milieu des fidèles serviteurs dont S. M. et la famille royale sont constamment entourées, signale un excès de perversité et d'audace qui s'attaque à tout ce que la France a de cher et de sacré, qui voudrait perpétuer les inquiétudes et les alarmes trop justifiées par l'effroyable catastrophe que l'intervalle d'une année n'a pas encore séparée de nous.

« Le roi, convaincu que tout ce qui touche à la sûreté de sa personne et à celle de sa famille, ainsi qu'au respect qui doit protéger leur demeure, intéresse vivement la chambre et la nation, desirant calmer les craintes que cet événement a naturellement excitées, nous a prescrit d'en mettre les circonstances sous vos yeux. Les auteurs de cet attentat sont recherchés avec autant de soin que d'activité; et quant à l'esprit perturbateur qui inspire de tels crimes, il sera vaincu par la certitude que tous ses efforts échoueront contre Pinaltérable fidélité de la nation et des chambres, contre l'union durable qui existe entre elles et le roi. »

Après ce message, suivi des cris de vive le roi! vivent les Bourbons! il fut proposé et résolu de faire une adresse à S. M. pour lui témoigner la douleur et le dévouement de la chambre. Les commissaires choisis pour la rédiger siégeaient tous au côté droit. Cependant, comme ils ne paraissaient pas s'accorder sur la rédaction, et que la chambre en témoignait son impatience, M. de la

Bourdonnaye fit entendre que le retard apporté à cette communication résultait d'une conférence entre les membres de la commission et quelques ministres; que l'adresse avait paru susceptible de quelques corrections, et que la commission avait été obligée de la retoucher. « Quant à moi, dit M. de la Bourdonnaye, je pense que, dans une circonstance aussi grave, il ne serait pas du tout inconvenant qu'une adresse de la chambre au' roi fut un peu hostile contre les ministres; car on peut être fondé à croire que c'est la faute de l'administration, s'il se commet de nouveaux attentats contre le roi et contre la France. Je trouve assez étrange qu'une adresse émanée de la chambre ait été confiée aux ministres avant d'avoir été soumise à vos délibérations... Cette proposition et les réflexions auxquelles elle donna lieu n'eurent pas dans le moment d'autre suite.

Le lendemain (31), à l'ouverture du comité secret, M. Manuel demanda le rapport et la discussion de l'adresse en séance publique, attendu que s'il était possible que l'attentat du 27 janvier pût être imputé aux opinions que lui et ses amis se font gloire de professer, il leur importait que cette accusation téméraire fût publiquement réfutée. Cette demande rejetée, M. le comte Charles de Bethisy, rapporteur de l'adresse, tout en infirmant les assertions de M. de La Bourdonnaye, ne désavoue point qu'une des phrases de cette adresse, ayant éveillé l'inquiétude de MM. les ministres, la commission n'avait pu refuser de les entendre, et qu'elle en avait délibéré pour ne pas risquer par des expressions violentes de compromettre l'union qui fait la force des royalistes et d'affliger le cœur du roi, à qui on voulait porter des consola

tions. »

Malgré les précautions oratoires du rapporteur, la lecture de l'adresse donna lieu, s'il faut en croire à ce qui a transpiré du comité secret, à une discussion vive et souvent mêlée de déclamations véhémentes sur la conduite du ministère.

M. le genéral Sébastiani se plaignit de ce que la commission avait dirigé ses attaques sur les idées nouvelles qu'on rendait responsables de l'attentat commis, et demandait qu'on fit disparaître. Annuaire hist. pour 1821.

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de l'adresse les mots de conspiration permanente, comme étant une imputation injuste et impolitique. M. le général Foy, voulait qu'on rayât ceux: ils ont voulu insurger l'armée, ou du moins qu'on leur substituât les mots : on a voulu insurger l'armée. M. de Chauvelin, observant que le message lui-même était rédigé dans un esprit de prévention, réprouvait l'adresse comme pouvant répandre la division dans toute la France, déchaîner les passions les plus violentes, comme étant pleine de déclamations outrées et de l'esprit des proclamations et des adresses de 1815. M. Camille Jordan, après l'expression touchante de son dévouement à la cause royale, à la famille des Bourbons, développa plus que tout autre « l'imprudence de se livrer à des spéculations précipitées et téméraires sur l'origine et l'exécution de l'attentat dont on voulait signaler les auteurs, et l'inconvenance impatriotique de présenter sans cesse notre France à l'Enrope dans cet état de conspiration permanente, étendue, redoutable...

« Doutez-vous, dit-il ensuite, que des conjectures téméraires dans un sens ne provoquent des conjectures également téméraires dans un sens opposé? Doutez-vous qu'une partie de la population ne fasse la remarque si naturelle, que s'il est une faction révolutionnaire capable de tels attentats, il se trouve aussi des intrigans, des hommes de parti, très-capables à leur tour de provoquer à ces attentats, de les créer au besoin pour les attribuer à des adversaires, pour exploiter les alarmes qui doivent en naître, pour faire adopter sous leurs auspices des idées anti-nationales, que l'opinion repousserait dans des temps plus tranquilles ?

Combien de circonstances singulières dans le dernier attentat qui semblent indiquer la mystérieuse influence de semblables directeurs ! le choix du lieu, un intérieur de palais sévèrement gardé, où il devait être si difficile à des révolutionnaires de s'introduire, tandis que des intrigans d'un autre genre pouvaient plus facilement s'en ménager l'accès; la nature même de l'explosion qui, destinée à effrayer l'imagination plutôt qu'à menacer l'existence, ne devait pas remplir les vues du génie révolutionnaire, mais pouvait pleinement suffice à celles de l'esprit d'intrigue; la coïncidence enfin très-remarquable d'un tel attentat avec plusieurs événemens politiques dont les hommes de parti se montraient alors fort occupés; c'était au moment même où la conspiration du 19 août s'agitait à la chambre des pairs, où sa poursuite n'y marchait pas au gré de certains esprits impatiens, où un supplément d'instructions qui devait compromettre d'importans personnages était rejeté, où cette cour des pairs, par son impartialité, sa sagesse, se montrait de plus en plus digne de sa haute destination ; quand il a pu paraitre utile à des hommes dont une

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