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avait dans tout le discours que les principes de l'immense majorité de la nation, l'impression en fut rejetée par les trois quarts de

l'assemblée.

Néanmoins M. le baron Pasquier, ne croyant pas qu'il fût permis à un ministre du roi de garder le silence après un tel discours, dont il récapitula successivement les divers points, au milieu de quelques précautions oratoires, de quelques éloges ironiques sur la constance du préopinant dans ses anciennes opinions, lui reprocha de rappeler cette époque « où l'on venait à la barre d'une assemblée législative demander, au nom du genre humain, la liberté de toutes les nations. » Passant ensuite de ces considérations sur la révolution française aux résultats de la révolution napolitaine, aux reproches qui ont été faits au gouvernement français sur l'attitude qu'il a tenue et qu'il tient encore, le ministre trouve bien de l'imprudence dans de tels reproches.

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« A Dieu ne plaise, dit-il, que j'insulte aux vaincus! mais quand on nous parlait de leur langage si fier, quand on nous présentait ces peuples animés de l'esprit d'indépendance, comme prêts à verser jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour cette liberté si chère et si précieuse, sans doute, c'était une expérience douloureuse à faire. A Dieu ne plaise que j'en appelle une semblable; mais enfin elle a été faite, et il est permis de penser que les peuples qui n'ont pu soutenir que de si faibles combats n'étaient pas bien sincèrement animés de ce sentiment, qui, quand il est fort et unanime, rend une nation invincible; il est permis de penser que les soldats qui les premiers avaient favorisé les mouvemens n'étaient pas les organes de la nation, taient pas même les organes de l'armée dont ils faisaient partie; car celle armée tout entière les aurait défendus. Et c'est après de tels événemens qu'on reproche à France de n'avoir pas pris d'autre attitude! La France, messieurs, a pris la seule attitude qui pût lui convenir. Elle a fait des voeux pour la paix; elle y a concouru autant qu'il dépendait d'elle; elle savait et elle sait encore, elle ne peut oublier, que les souverains dont on parle avec un si profond mépris étaient assurément au nombre des souverains dont l'histoire consacrera la mémoire, pour l'esprit de justice, d'équité et de respect pour les droits des nations, dont ils sont si animés. Certes, les actes qui ont eu lieu depuis quelque temps le justifient assez.

Au reste, je l'ai déjà dit à cette tribune, ce n'était pas une alliance qu'on demandait il faut bien le dire, c'était la guerre; oui, c'était la guerre, et toutes les fois qu'on parle à cette tribuue des affaires étrangères, la question ramenée à ses plus simples expressions est celle-ci : les affaires étrangères ne nous donnent pas la guerre, nous la voulons pour défendre celui-ci, pour combattre celui-là; ici pour combattre la liberté, là pour détruire ce qu'on appelle la tyrannic.

« Mais, messieurs, tels ne sont pas les sentimens de la France. La nation ne veut pas une guerre injuste, ne veut pas s'immiscer dans les intérêts des autres peuples; elle ne s'occupe que de ses propres intérèts, et sa modération mème est le gage de l'énergie qu'elle saurait développer encore, si en effet son indépendance pouvait être menacée. »

D'autres orateurs furent encore entendus dans la discussion générale. — M. de Saint-Géry, qui traita principalement des cadastres et du dégrèvement; - M. Delessert, qui indiqua plusieurs améliorations à faire dans le système des finances; -M. de Beauséjour, qui, après une critique plus amère, se résuma à dire, comme M. Labbey de Pompières, qu'on pourrait retrancher cette année da budget 200 millions sans nuire au service; -M. Crignon d'Auzouer, qui s'éleva contre le despotisme des bureaux, et M. de Mirandol, qui proposa des amendemens au mode d'opérer le dégrèvement. On avait hâte d'arriver à la discussion des articles, elle ne commença que le 6 juin..

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Il faut se rappeler que le rapport de la commission n'avait proposé que de faibles réductions, entre autres celle d'un quarantième sur les frais généraux d'administration. Sur le premier chapitre, M. Piet avait demandé que la dotation de la caisse d'amortissement (40 millions ) fût réduite à 20 millions; cette proposition ne fut pas même appuyée.-M. Benjamin Delessert avait proposé d'autoriser le gouvernement à délivrer de petites inscriptions de rentes (de 5 fr. et au-dessus), amendement motivé sur l'avantage d'intéresser au crédit public un plus grand nombre de créanciers et d'exciter l'économie dans les classes inférieures. Cet amendement, appuyé par MM. Casimir Perrier et Dudon, en limitant à 25 fr. le minimum des inscriptions, ne fut point adopté, par la crainte de jeter le désordre et la confusion dans les opérations da trésor.

Plusieurs fois, dans le cours des discussions précédentes, on s'était élevé contre la création de la présidence du conseil des ministres sans portefeuille. Arrivé à cet article de la dépense publique, M. de Girardin attaqua le conseil actuel, composé d'élémens différens, comme viciant le principe de la responsabilité, comme une composition monstrueuse, contraire à la charte et au

texte de l'ordonnance royale du 9 juillet 1815; et la création d'un président du conseil irresponsable, comme ayant été faite uniquement pour M. le duc de Richelieu, non pas dans des vues d'intérêt public, mais « par des motifs bien connus, quoique bien étrangers. »

Ce discours, mêlé de réflexions épigrammatiques sur la situation « des députés ministres sans portefeuille, qui n'avaient pas encore cru devoir prendre le costume ministériel » et « sur ce qu'on n'osait plus faire l'éloge de la charte depuis qu'on savait qu'elle 'était mal à la cour» (allusion à une brochure du temps), avait excité quelques murmures. La chambre en refusa l'impression, comme de celui de M. Demarçay, qui attaqua ensuite les dépenses de l'administration générale, « moins en tant qu'elles aggravaient le poids de l'impôt, disait-il, que parce que l'argent que répand un mauvais gouvernement a presque pour but de séduire et de payer ceux qu'il emploie à priver un peuple de l'exercice de ses droits et à le rendre indigne de la liberté ; » idée que M. Étienne développa bientôt après dans la critique des dépenses de la justice. A propos de la dépense de 40,000 fr. allouée pour le traitement d'un sous-sécretaire d'État au département de la justice, place dont il demandait la suppression, comme abusive et peu en rapport avec nos institutions constitutionnelles, il s'éleva contre le abus de l'olygarchie salariée », contre la différence qui exist entre le traitement affecté aux fonctions inamovibles (de juges) et celui des places amovibles (de sous-sécretaire d'État, de pro dit-il cureurs généraux, etc., etc.) « On ne paye pas assez, celui auquel il est impossible d'âter sa place pour qu'il en désir sans cesse une meilleure, et on paye beaucoup trop celui qui pet perdre la sienne pour qu'il ne soit pas tenté de mettre en balant l'argent qu'il reçoit du trésor, quand il sert le pouvoir en aveugle et l'estime de ses concitoyens, quand il pense que les inspiration de la conscience peuvent s'allier avec les devoirs de l'homme p blic... Il en résulte que moins un gouvernement protége les inté rêts du pays, plus l'administration est coûteuse. »

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M. le garde des sceaux fit à ce discours une réplique vive,

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bord quant à l'utilité de la place de sous-sécretaire d'État, puis quant à la nécessité de maintenir la hiérarchie dans l'ordre judiciaire.« Je ne ferai pas de grands efforts, dit-il, pour repousa ser plusieurs attaques téméraires hasardées contre la magistra

« tare.

■ Des orateurs qui professent des principes anarchiques, et qui « cherchent continuellement à les mettre en action, sont conséquens avec eux-mêmes quand ils attaquent la magistrature... » A ces mots, échappés dans la chaleur de l'improvisation, tout le côté gauche se soulève; on crie à la calomnie! on demande le rappel à l'ordre du garde des sceaux, qui déclare « ne répondre aux injures que par le mépris. » On n'entreprendra pas de réprésenter cette scène tumultueuse, où les explications données de part et d'autre sont des injures nouvelles. La lassitude de l'assemblée la suspendit; on rejeta les amendemens proposés, autres que celui de la commission (reduction de 16,000 fr.).

(7 juin). Ici se reproduisit, comme tous les ans, la question de Fexistence du conseil d'État, dont M. Labbey de Pompières demandait la suppression, et que M. Manuel attaque de nouveau comme une institution vicieuse et une conséquence fuueste du système conçu de ramener tout à l'arbitraire. M. Cuvier la défendit de ces reproches.-M. de Lameth se bornait à demander positivement que le ministre présentât dans la session prochaine une loi qui statuât sur l'organisation et la composition du conseil d'État, dont M. le garde des sceaux démontra l'existence légalé confirmée depuis la charte, et l'utilité pour éviter le despotisme le plus insupportable, celui des administrations départementales el municipales. Plus d'une fois à ce sujet, et surtout à l'occasion des frais de justice en matière criminelle, la querelle faillit se rallumer entre M. le garde des sceaux et des orateurs de la gauche, mais l'adoption du chapitre de la justice y mit tout-àfait fin.

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Le budget des affaires étrangères fournissait ample matière aux digressions politiques. On en a largement profité.

M. Bignon (ancien ministre & Dresde, à Varsovie, etc.), pas

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sant en revue les articles de la dépense, arrive à celui des traite mens d'inactivité, et, s'excusant de prendre la défense des intérêts qu'il a dans cette cause, il expose que les lois antérieures ont affecté à ce département une somme de 200,000 fr. destinée à faire des traitemens d'inactivité en faveur de ceux des agens consulaires et politiques qui, par force majeure ou par des circonstances fortuites, se trouvaient alors et se trouveraient plus tard déplacés des fonctions qu'ils avaient remplies.

« Ces deux cent mille francs, dit M. Bignon, sont en grande partie distribués en pension, de dix, douze, quinze mille francs et plus entre des hommes fort estimables sans doute, mais auxquels ils n'étaient point destinés par la loi,

« On se récrie lorsqu'il nous arrive de prétendre qu'il y a deux nations en France. Nous pouvons dire avec vérité qu'il y en a deux dans le département des affaires étrangères. Tout dans ce département est pour les hommes qui ont compté quelques mois de service avant la révolution ou depuis 1815, tandis que les services rendus dans l'intervalle de ces deux époques sont méconnus, éconduits et privés, soit de la pension due à l'agent qui ne peut plus servir, soit du traitement d'inactivité dû à l'agent qui peut servir encore. »

En examinant la liste des nouveaux agens diplomatiques actuels, M. Bignon observe que, de tous les agens employés dans les vingt dernières années, il n'y en a qu'un très-petit nombre qui ait continué à l'être;-qu'ils ont été pris la plupart dans l'ancienne noblesse; « quoiqu'il soit très-bien démontré à l'Europe, dit-il, qu'en fait de talent, d'habileté et d'instruction, entre un gentilhomme et un plébéien, il y a en faveur du gentilhomme vingt chances contre une... »

Ces observations, et surtout la critique amère que M, Bignon fit ensuite de nos missions diplomatiques à Rome, dans le Levant et au congrès de Laybach, avaient fort indisposé la droite. Mais quand il en vint à l'article des dépenses secrètes, qu'il signala comme un moyen de corruption et un expédient pour créer des pensions sans publicité, ou donner des gratifications rarement

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