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Tels sont en abrégé les faits qui ont déterminé l'accusation, et de ces faits, M. le procureur général déduisait l'existence d'un complot formé contre la personne et la vie du roi et de la famille royale, dont le but aurait été de changer le gouvernement et l'ordre de successibilité au trône, ou d'exciter les citoyens à s'armer contre l'autorité royale; accusation sur laquelle l'arrêt du 21 février avait mis en accusation vingt-quatre individus comme coupables et complices, et dix comme non révélateurs du complot.

(8 mai.) La lecture de toutes les pièces relatives à la mise en accusation étant terminée, M. le procureur général présenta à la noble cour un réquisitoire tendant à joindre la cause des accasés absens (Nantil, Lavocat, Rey, Lamy, Maziau) à celle des accusés présens, pour être statué sur l'un et sur l'autre par un seul et même arrêt. Mais, sur l'observation des avocats des accusés présens que la jonction serait défavorable à l'intérêt de leurs cliens, qui seraient ainsi passibles des griefs ou même des soupçons qui pourraient rester sur le compte des contumaces, la noble cour, sans s'arrêter au réquisitoire de M le procureur général, ordonna qu'il serait passé outre aux débats de l'accusation intentée contre les individus présens, sauf à procéder ultérieurement au jugement des contumaces.

(9 mai.) A des révélations qui n'avaient été qu'indiquées dans l'acte d'accusation, M. le procureur général ajouta quelques faits nouveaux sur Nantil, sur le colonel Sauset, parti du Bazar le 15 août pour se rendre à Vitry-le-Français, où se trouvaient des vétérans qu'on se flattait de gagner, et où Mallent se réunit bientôt à lai ; et enfin sur Bérard, qui, compris dans une note comme l'un des principaux agens du complot quelques jours avant les arrestations, ne fut pourtant arrêté qu'à la fin du mois suivant. C'est le personnage le plus embarrassant à juger dans cette affaire. Dès le 20 août, Bérard avait fait à M. le vicomte de Montélégier des révélations qu'il consentit ensuite à répéter devant M. le duc de Raguse, et ces révélations aidèrent à suivre le fil du complot, où, dans le système d'accusation, il y a deux époques bien distinctes à considérer, celle qui précéda les premières arrestations dans les

régimens de la garde, et celle qui se prolongea jusqu'à la fin de septembre, qu'on pourrait en quelque sorte appeler la partie civile de la conspiration. C'était la plus délicate et celle qui attira le plus l'attention de la cour et l'intérêt du public.

Entre ces nombreuses dépositions, qui occupèrent près d'un mois (du 10 mai au 9 juin), et où furent entendus cent quatrevingt-deux témoins, l'histoire ne peut, ni tenir compte des détails, ni conserver l'intérêt des débats auxquels plusieurs dépositions ont donné lieu. Il suffit d'en consigner ici les principaux résultats.

Les sous-officiers de la garde (Edme Petit et Vidal), qu'on avait engagés dans le complot, et que leurs chefs avaient ensuite autorisés à le suivre, répétèrent à peu près ce qu'ils avaient déjà dit dans leur première déclaration. Il s'établit entre Chenard, agent de la police militaire qu'on leur avait adjoint, et les officiers accusés, quelques difficultés sur des circonstances ou des propos rapportés. Chenard soutint que Nantil lui avait nommé, comme chefs du complot, les généraux Merlin et Lafayette. M. le vicomte de Montélégier, rendant compte à la cour des révélations que Bérard lui avaient faites à différentes époques, affirma que, dans une des réunions du Bazar, on avait fait circuler une lettre de M. Le Voyer d'Argenson, dont les expressions faisaient allusion au complot, aux dispositions des provinces à le seconder ; — qu'il avait été question de mettre M. Lafayette à la tête du gouvernement provisoire; que lui, Bérard, avait offert de l'aller chercher à la campagne ; qu'après la découverte du complot, les réunions n'avaient pas cessé; qu'on y avait amené le général Merlin et M. de Corcelles ; que des circulaires avaient été envoyées à Rennes, à Nantes, où le mouvement devait éclater le 3 septembre, ensuite en Franche-Comté, déclarations dont Bérard reconnut la vérité, sauf quelques points peu importans. D'ailleurs des contradictions s'élevèrent entre les témoins et les accusés, soit quant à l'argent remis, soit quant aux conférences particulières que Bérard 'disait avoir cues avec le colonel Fabvier, qui, appelé comme témoin dans la cause, persista toujours à signaler Bérard comme ayant fait dans toute cette affaire le rôle d'agent provocateur.

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Une des plus importantes dépositions pour l'histoire du complot, est celle de M. le maréchal duc de Raguse. Informé le 19 août au matin que l'intention des conspirateurs était d'exécuter leur complot la nuit prochaine, il s'était rendu chez M. le duc de Richelieu, où les ministres étaient assemblés à quatre heures de l'après-midi..... On y agita la question de savoir si on laisserait commencer l'exécution du complot, ou si on le préviendrait par l'arrestation des principaux conjurés. On se décida pour le dernier parti, et à cinq heures M. le maréchal fut chargé de l'arrestation de ceux des inculpés qui faisaient partie de la garde royale. Elle fat effectuée avant neuf heures. L'état-major de la place et M. le préfet de police reçurent la mission de faire arrêter les autres personnes désignées.

A cet égard, il est à noter qu'on ne se présenta chez Nantil que vers dix heures du soir, et que deux jours après il était encore dans Paris, malgré toutes les recherches de la police. (On sait. qu'il s'est réfugié en Espagne.) Les débats qui ont eu lieu à ce sujet sont une des parties piquantes de la procédure.

En résultat, les propos tenus dans des conciliabules, les séductions déjà opérées dans les légions de la Meurthe, du Nord et de la Seine, furent évidemment démontrés. Il fut aussi constaté que des individus avaient reçu de l'argent. Trogoff déclara que Laverderie lui avait fait accepter 1000 fr., mais à titre de prêt, sur lesquels il n'avait encore dépensé que 80 fr. au moment où il fut arrêté. D'ailleurs, ni les dépositions, ni les débats n'apprirent rien de positif sur la réalité de ce crédit de 500,000 fr. que Nantil avait annoncé pour appuyer la rébellion. Le but du voyage de Maziau à La Fère et à Cambrai fut assez clairement prouvé, comme on le verra tout à l'heure, mais non celui des voyages du colonel Sauset à Vitry, et de Caron à Epinal.

(9 juin.) Enfin, dans la trentième séance publique, M. l'avocat général, de Vatisménil, abandonnant lui-même une partie des charges contre plusieurs accusés, M. le procureur général présenta immédiatement son réquisitoire, qui, conformément au résumé des charges, concluait à l'acquit de Sauset et de Lacombe,

et à la peine capitale contre Laverderie, de Trogoff, Robert, Gaillard, Eynard, Delamotte, Varlet, Monchy et Bérard; au bannissement contre Caron, et à l'emprisonnement avec amendes contre plusieurs autres.

( 13-26 juin.) Les accusés avaient pour défenseurs, de choix ou d'office, les avocats les plus distingués du barreau de Paris. Leurs plaidoyers, presque tous remarquables sous le rapport du talent oratoire, offrent, sur l'examen de la question de droit, des faits et des témoignages, des détails qu'on ne peut rapporter. Mc Hennequin, défenseur de Bérard, après avoir repoussé l'accusation de complicité, s'efforça particulièrement de relever l'accusation morale (d'agent provocateur) élevée contre son client par les coaccusés, et surtout par M. le colonel Fabvier. Me Rumilly, plaidant pour Sauset, n'eut qu'à faire l'éloge de sa vie militaire. Me Coffinières, défenseur de Mallent, examinant la signification légale du crime défini par l'art. 2 du code pénal, et celle du complot d'après les art. 86, 87, 88 et 89 du même code, établit que le commencement d'exécution, sans lequel il n'existe pas de crime, n'a pas eu lieu, et qu'il n'y a pas même eu entre les conjurés de véritable résolution d'agir, condition inséparable du complot, puisqu'en fait il n'y a eu ni conformité d'intention, ni concert dans le choix des moyens et dans le but de la conspiration prétendue... Dans ce peu de mots est le fond de la défense des principaux accusés. Me Odillon Barrot, défenseur de Dumoulin, et ensuite Me Berville, y ajoutèrent pourtant des développemens nouveaux, en distinguant de l'esprit de révolte l'esprit d'opposition, qu'ils regardent comme l'élément nécessaire du gouvernement représentatif, et les attaques contre l'essence de l'autorité royale de celles contre la forme de cette autorité.

Il échappa plus d'une fois aux avocats des insinuations critiques sur l'emploi des agens provocateurs, à quoi M. le procureur général répliqua que ce complot n'était pas l'effet des provocations antérieures de la police, et que les provocations postérieures au fait du délit, dont le but était d'en procurer une plus ample connaissance, étaient utiles à la justice et ne pouvaient être reprochées à

l'autorité, ni servir d'excuse aux conspirateurs. M. le procureur général s'attacha d'ailleurs à réfuter les doctrines appliquées à la défense des accusés; il soutint que le complot ne différait pas des autres crimes, et qu'il y avait complicité dès qu'on a concouru à un fait préparatoire de l'exécution, quand même le complot n'aurait pas encore été organisé; d'où M. le procureur général, résųmant de nouveau ses preuves, déclara qu'il persistait dans ses conclusions sur les accusés présens, et conclut contre les contumaces (Lamy excepté) à la peine capitale.

Les plaidoiries de cette procédure, déjà si longue, n'étaient pas terminées, lorsqu'un incident imprévu, l'arrestation de Maziau, l'un des contumaces, faite le 22 juin à Vilverde près de Louvain, faillit encore les prolonger. On avait demandé son extradition au gouvernement des Pays-Bas, qui l'accorda, et à son arrivée à Paris, la question de savoir s'il fallait recommencer la procédure ou faire une procédure particulière paraît avoir retardé de quelques jours la décision de la cour sur les autres accusés.

Enfin, après une délibération secrète et particulière sur chacun d'eux, la noble cour rendit, à la majorité qu'elle s'était imposée d'un huitième de voix en sus pour la condamnation, l'arrêt géné ral, qui fut prononcé dans la séance publique du 16 juillet. Il importe de remarquer qu'elle y reconnaît l'existence d'un complot dont le but était de détruire ou de changer le gouvernement et l'ordre de successibilité au trône, et d'exciter les citoyens et habitans à s'armer contre l'autorité royale, etc., etc.... Quant aux prévenus, trois des contumaces, Nantil, Lavocat et Rey, sont condamnés à la peine de mort,-Lamy acquitté,-Maziau renvoyé à une session prochaine.-Des accusés présens, de Laverderie, de Trogoff, Delamotte, Robert et Gaillard sont condamnés, les cinq premiers, à cinq ans d'emprisonnement fet à une amende de 2,000 fr., pour les trois premiers, de 500 fr.: pour Robert, Gaillard et Loritz, à un an de prison et 300 fr. d'amende : et tous sont condamnés ensemble solidairement aux frais du procès.-Les autres accusés furent acquittés et mis de suite en liberté; et M. le chancelier

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