Page images
PDF
EPUB

chambre deux ordonnances du roi : l'une concernant un projet de règlement judiciaire, sur lequel le roi appelait la chambre à lui présenter les observations dont divers articles lui paraissaient susceptibles: l'autre destiné à fixer le costume dont à l'avenir MM. les pairs seraient revêtus dans leurs fonctions judiciaires. Telle parut la répugnance de la chambre à la lecture de ces ordonnances, que, contre l'usage où elle est de faire imprimer les communications royales, un membre, M. le duc de Broglie, se leva pour s'opposer à l'impression de la première, qui lui paraissait un acte aussi contraire aux priviléges de la chambre qu'aux principes du gouvernement représentatif. Cette demande ne fut pas appuyée, mais la chambre s'ajourna au 24 avril pour déterminer en assemblée générale par quels moyens et dans quelle forme seraient recueillies et présentées les observations dont la première de ces ordonnances paraissait susceptible.

(24 avril.) Quoique la seconde, relative au costume, parût mise hors de discussion, un noble pair (M. le comte Cornet) demanda que l'exécution en fût différée jusqu'après le procès actuel : un autre, M. le duc de Choiseul, observant que l'ancienne pairie était une magistrature d'épée, ne croyait pas qu'on dût faire prendre à la pairie nouvelle la robe longue des conseillers au parlement. Finalement on se borna à ordonner la transcription de la seconde ordonnance, et il s'ouvrit sur la première une discussion plus délicate et plus importante.

M. le marquis de Catelan et M. le comte de Ségur en attaquèrent sans ménagement le principe et les conséquences dans le droit des chambres et dans l'esprit du système représentatif. M. le général marquis Dessolles, examinant plus particulièrement la nature de l'acte soumis à la discussion de la chambre, expose qu'une ordonnance royale est une disposition obligatoire faite pour assurer l'exécution d'une loi existante. « C'est un acte d'autorité, dit-il, qui n'a besoin, pour être complet et acquérir toute sa force, que de la signature du roi et du contre-seing d'un ministre. Aucun assen timent étranger ne lui est nécessaire, aucune objection ne peut l'atteindre; et devant un acte de cette nature, les chambres n'ont

d'autre alternative que de s'y soumettre, ou de l'attaquer comune inconstitutionnel. » Appliquant ces principes à l'ordonnance présentée, le noble pair se demande si le règlement judiciaire qu'elle contient pouvait être imposé à la chambre par cette voie, et il ne trouve dans la charte rien de favorable à ce système... Les seuls articles où il s'agisse de régler, soit les attributions, soit les formes judiciaires de la chambre, sont les articles 33 et 56. Tous deux parlent d'une loi, non d'une ordonnance, pour opérer ce règlement... Prétendrait-on regarder l'ordonnance présentée comme un simple projet ? Alors à quel titre la chambre en pourrait-elle délibérer? Jusqu'ici la chambre a marché par une suite de précédens, en attendant qu'elle reçoive par la loi même un système complet d'organisation définitive... » Et de ces observations le noble pair conclut que l'ordonnancedont on s'occupe doit être écartée; et si la chambre se déterminait pour le renvoi à une commission, il pense que, dans ce cas, le travail des commissaires devrait avoir pour objet moins les dispositions mêmes de l'ordonnance que la question de savoir s'il y a lieu de procéder par cette voie à T'organisation judiciaire de la chambre.

Plusieurs autres orateurs (MM. les comtes Fabre de l'Aude et de Pontécoulant, le duc Decazes, le comte Molé et le duc de Lévis) énoncèrent des opinions mitigées où dominait la crainte d'offenser la prérogative royale, et la chambre se décida, d'après leur avis, à renvoyer à la commission, déjà nommée pour la rédaction d'un projet de règlement judiciaire, la nouvelle ordonnance dont on n'a plus parlé dans cette session.

Toute grave que fût cette question, elle occupait à peine le public dans l'attente de l'affaire dont la procédure publique fut enfin ouverte le 7 mai dans la grande salle des pairs, où l'on avait ménagé environ 200 places distribuées par billets. Les femmes n'y furent point admises.

La première audience avait attiré un concours de personnages les plus distingués. Elle s'ouvrit avec une solennité digne de cet auguste tribunal. Il ne manqua au premier appel que quarantequatre pairs, y compris ceux de MM. les ministres qui, étant re

vêtus de la pairie et faisant partie du gouvernement, ne pouvaient en effet paraître en qualité de juges au procès.

On n'a donné l'année dernière (Annuaire hist. pour 1820, page 225) qu'une idée superficielle de cette conspiration; voici comment l'acte d'accusation, dont il fut d'abord fait lecture, en représentait les principaux acteurs et les principales circonstances.

« Il s'était formé à Paris, rue Cadet, no 11, un établissement appelé Bazar français. Cet établissement paraissait destiné à une exposition publique des objets d'arts et de commerce dont les artistes et les marchands désireraient obtenir la vente. Sauzet, colonel en non activité, et Mallent étaient au nombre des administrateurs de cet établissement.

« Parmi les personnes qui fréquentaient le Bazar, était le capitaine Nantil, dans la légion de la Meurthe (absent au procès), qui éprouvait des embarras pécuniaires, et qui était fort mécontent de n'avoir pas encore la croix de la Légion-d'Honneur. Il y rencontra Bérard, chef de bataillon (légion des Côtésdu-Nord), lia conversation avec lui, l'entretint des injustices qu'il prétendait éprouver dans son régiment, l'invita à déjeuner, lui annonça, pour l'irriter, qu'une nouvelle organisation militaire était décidée par le gouvernement, et qu'on renverrait tous les anciens militaires. Père de famille, Bérard fut consterné. Nantil lui déclara que le seul moyen de se tirer d'affaire était de se réunir à eux. Il lui fit connaître qu'il existait un complot contre le gouvernement; que l'on comptait sur les troupes, sur la garde, et particulièrement sur la légion des Côtes-du-Nord, si Berard voulait exercer l'influence que le commandement dont il était revêtu devait lui avoir acquise....

« Maziau, ancien chef d'escadron de l'ex-garde, fréquentait aussi le Bazar. Il exprima le désir de connaître Berard. Ce dernier et Maziau furent invités à déjeuner par Mallent et Sauset au Bazar. Après le déjeuner, pendant lequel Nantil se montra, Maziau s'ouvrit à Bérard. Il lui révéla, comme l'avait déjà fait Nantil, qu'il existait une conspiration contre le gouvernement, et qu'il s'agissait de ramener le roi de Rome, et de remettre les choses dans l'état où elles étaient en 1815. Maziau quitta Bérard en lui annonçant qu'il partait pour Cambrai, pour disposer les troupes qu'il avait déjà travaillées...

Tandis que ceci se passait au Bazar, Nantil fomentait la révolte dans la fégion. Il initiait au complot les adjudans sous-officiers Robert et Gaillard, et leur recommandait de voir le soldat pour savoir ce qu'il pensait. Il les entretenait des ressources pécuniaires des conjurés, et les faisait monter à 4,000,000. Il se vantait d'obtenir, sur sa simple signature, tous les fonds dont il avait besoin. Il assurait qu'un seul particulier avait souscrit pour 500,000 fr. Rocelui-ci bert ayant demandé à Nantil ce que deviendrait la famille royale, répondit qu'elle resterait comme elle était, qu'on ne ferait point de mal au roi, mais que le roi ferait ce que ces messieurs voudraient.....

« Des semences de corruption ne tardèrent pas à être jetées dans la légion du Nord, qui tenait également garnison à Paris. Dans cette légion servaient Loritz et Bredard (lieutenant et sous-lieutenant ), qui, cherchant à entrainer leurs camarades dans le complot, dans plusieurs diners ou conciliabules

tenus à cet effet, assuraient, entre autres choses, que toutes les légions, les 2e et 5me régimens de la garde royale et l'artillerie de Vincennes étaient gagnes; qu'on avait éprouvé de grandes difficultés pour Vincennes ; que cette place avait coûté un million; qu'on avait dû assurer à un seul capitaine dix mille francs de rentes....

◄ Nantil était lié avec Lavocat, officier démissionnaire', qui l'était avec Lacombe, garde-du-corps du roi. Lavocat et Lacombe firent confidence du complotà Gauthier de Laverderie, officier dans la garde royale ( 2me régiment ); ils s'appliquèrent à le séduire, en lui remettant plusieurs fois sous les yeux, pour l'aigrir, le tableau de son père destitué de sa place de directeur de la poste aux lettres à Marseille.

• De Laverderie ne voulut prendre un parti qu'après avoir consulté un personnage dont il n'a pas voulu dire le nom. Ce personnage abonda dans le sens de Lavocat. Laverderie succomba alors. Il fut mis en communication avec Nantil, qui lui réitéra des promesses d'avancement, qui lui offrit jusqu'à 100,000 fr.: il se contenta d'accepter un billet de 500 fr.

‹ Dans ses divers entretiens avec Nantil et Lavocat, de Laverderie apprit le plan et les détails de la conspiration. Suivant eux, il existait trois comités : le premier était connu sous la dénomination de comité impérial ; il travaillait à porter sur le trône le fils de Napoléon Bonaparte, et à confier, pendant la minorité de cet enfant, les rênes du gouvernement au prince Eugène de Beauharnais, sous le titre de régent de l'empire.

Le second comité était le comité républicain; le troisième, appelé le comité de Grenoble, était sous l'influence du comité républicain, et recevait sa direction du président de ce comité. Au nombre de ceux qui dirigeaient le troisième comité, était Rey, avocat, d'abord à Grenoble, puis à Paris, homme connu par des écrits où éclatent les plus pernicieuses doctrines et la haine la plus profonde contre le gouvernement, et dont l'un a déterminé sa propre compagnie à le rayer du tableau des avocats de la capitale.

[ocr errors]

Après bien des difficultés, ces trois comités s'étaient réunis; on n'était plus divisé que sur le cri de ralliement qu'on proférerait au moment de l'insurrection; les uns voulaient que l'on criât vive Napoléon II! et les autres vive la constitution! On entendait parler de celle de 1815. Un gouvernement provisoire devait être établi. On avait envoyé proposer au prince Eugène de se mettre à la tète du mouvement; mais il avait refusé, en disant que cela ne convenait pas à un prince de Bavière. C'était Dumoulin, officier d'ordonnance pendant les cent jours, qu'on avait député pour faire cette proposition. Un général, qui était sur la frontière, devait jouer un grand rôle; sa mission était de pratiquer des intelligences en Autriche, et d'y enlever le jeune Napo→ léon. Des émissaires avaient été envoyés en Angleterre pour y juger de l'esprit public, et observer les événemens. Maziau était chargé de se rendre en Franche-Comté, puis à Cambrai, pour y organiser le mouvement, et à Hesdin, pour en presser l'exécution. A Cambrai, Delamotte, capitaine dans la légion de la Seine, et une autre personne, dont Laverderie a qublié le nom, devaient se mettre à la tête de l'insurrection. Le colonel Sauset, aidé d'une seconde personne, devait, de son côté, diriger le mouvement à Vitry, où était placée une compagnie de vétérans, dont on avait tenté d'ébranler la fidélité. • De nombreux moyens de correspondance et de séduction étaient à la dis

position des auteurs du complot. Des émissaires parcouraient la France. Si leurs tentatives obtenaient quelques succès, ils écrivaient que la récolte était abondante, et l'on comprenait le sens de ces expressions. Des banquiers de Paris et de plusieurs autres villes procuraient des fonds. L'argent était fort abondant. Nantil a reçu 15 ou 20,000 fr. à la fois. Il l'a dit un jour devant De Laverderie en lui faisant voir des billets de banque. C'est Nantil qui fit à de Laverderie l'offre de cent mille fr....

<< Nantil fit en outre à de Laverderie une multitude d'autres confidences sur des personnages plus ou moins connus qui devaient, dans l'intérêt de la conspiration, agir, soit à Paris, soit dans les départemens.

<< Dans ses entrevues avec de Laverderie et de Trogoff, Nantil leur apprend la manière dont le mouvement allait s'effectuer. Retardé, dit-ik, par les hésitations des personnages les plus importans, on l'a enfin fixé à la nuit du 19 août au dimanche 20. Des généraux et des colonels à demi-solde prendront le commandement des légions et des régimens en garnison à Paris : Nantil commandera en personne la légion de la Meurthe ; un ancien colonel, celle du Bas-Rhin; Bérard, la légion des Côtes-du-Nord, où il est chef de bataillon. Aucun commandement n'est désigné pour le 2e régiment de la garde, et cependant Nantil assure qu'un grand nombre d'officiers y ont été gagnés. Les conjurés comptent sur beaucoup de généraux. Peu d'heures avant l'exécution, l'un d'eux sera prévenu par un exprès envoyé à sa campagne. A onze heures, les chefs désignés pour le commandement des divers corps de la garnison de Paris se réuniront dans les cafés voisins des différentes casernes, pour pénétrer dans les casernes mêmes au moment de l'exécution, s'y faire reconnaître, haranguer les soldats, et leur distribuer des cocardes tricolores. Des conjurés se rassembleront aussi à l'extérieur du faubourg SaintAntoine, où la classe ouvrière a été travaillée. Les ouvriers se joindront aux troupes sous la direction d'un chef. Tout le faubourg sera entraîné. Les conjurés viendront se ranger en bataille sur la place du Carrousel. Des troupes pénétreront dans les Tuileries par la galerie du Louvre. Le gouvernement provisoire s'établira à Vincennes, qui sera facilement surpris par un coup de main, à cause de deux hrèches existant du côté du polygone, et d'un pont de service pratiqué sur les fossés. Des hommes de lettres seront appelés dans cette place pour y rédiger des proclamations. Un ancien général a été d'avis de proclamer la constitution de 1791; mais on lui a représenté que les soldats ne s'inquiétaient guère de constitutions, et qu'il valait beaucoup mieux proclamer Napoléon II; et c'est ce parti qu'on a adopté.

<< Toutes ces choses annonçaient que le complot était près d'éclater; mais déjà, depuis plusieurs jours, l'autorité avait été avertie successivement et en différens temps, par les sieurs Petit et Vidal, sergens-majors du 2o régiment de la garde royale; Henri, caporal du 5e régiment de la garde royale ; Amelloo, Drappier et Questroy, officiers de la première légion du Nord. Plusieurs mesures avaient été prises pour observer les démarches des conjurés. Lorsque le gouvernement vit que l'exécution allait avoir lieu, pensant qu'il était sage de prévenir des désordres qui pouvaient être sanglans, il déploya, pendant la soirée du 19 août, des mesures qui firent échouer les projets des conjurés dans la capitale. Plusieurs furent arrêtés dans la nuit même. »

« PreviousContinue »