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cessaire d'un sentiment auquel vous ne pouvez échapper, et de la position dans laquelle on vous a placés. Comment en pourrait-il être autrement? Le clergé et la noblesse ont été renversés en même temps que le trône; le trône s'est relevé ; n'est-il pas juste, n'est-il pas naturel que le clergé et la noblesse se relèvent avec lui? Et combien ces prétentions deviennent plus naturelles encore, lorsque le trône, ou du moins ses conseillers, ont fondé son existence sur le principe de la légitimité, c'est-à-dire sur cette règle, que ce qui était il y a trente ans n'a pas discontinué d'exister, que le roi n'a pas cessé d'être roi, que l'ancienne monarchie a toujours duré! Si tout a été bouleversement pendant ces trente années, si rien de ce qui a été fait par la révolution n'est reconnu, il est tout simple, tout naturel que les nobles et le clergé nous disent: On m'a pris mes biens, je dois les recouvrer. Voilà le résultat nécessaire des principes sur lesquels on a d'abord basé la restauration..... >

Après ces inculpations, que nous ne rappelons ici que pour faire voir la divergence des opinions dans la chambre, M. Manuel expo-sait que, pour donner des indemnités aux émigrés, il faudrait en donner aussi à tous ceux qui ont souffert, qui ont perdu leur fortune dans la révolution, réparation dont l'impossibilité avait été déjà démontrée et avouée par la commission.

Relativement à la question nouvelle soulevée par M. Manuel, MM. de Castelbajac et de Bourienne firent observer qu'il ne s'agissait point ici de restitution à faire aux émigrés ; «qu'il y a deux mois on ne demandait d'indemnités pour personne, mais aujourd'hui qu'on en demande pour une classe d'individus, il a pu paraître qu'une autre classe avait aussi des droits à en réclamer, d'autant plus que les biens dont elle a été dépouillée ont servi à soudoyer les instrumens de ces conquêtes sur lesquelles se fondent les droits et les titres des donataires. »>

Au milieu de ces querelles de parti, M. le ministre des finances, reprenant la défense du projet de loi, démontra qu'il était fondé sur l'exécution des lois précédentes; que les droits des donataires avaient été reconnus par des traités; qu'ils pouvaient justement prétendre à des indemnités de leurs pertes sur ce qui restait du domaine extraordinaire; que d'après la loi du 15 mai 1818 (art. 97), le ministre avait dû mettre sous les yeux de la chambre le nom de tous les donataires sans distinction; que quand il s'agissait de droits, l'administration devait reconnaître tous ceu

qui résultent du texte des lois; que par cela seul que la mesure proposée était un acte de justice, on avait dû faire participer à cette justice toutes les classes indistinctement.. Et dans sa péroraison, le ministre invitait les divers partis, « surtout ceux qui avaient été si long-semps et si souvent flétris par le sentiment de Pinjustice et de la violence, qui plus que tous autres avaient la volonté de maintenir la stabilité du trône, à se réunir au gouvernement pour faire disparaître toute semence d'agitation et de discorde, et rendre par cette union la monarchie forte et puissante. Cette exhortation ne produisit pas l'effet, c'est à-dire, l'accord désiré. Après quelques autres discours, le rapporteur de la commission, dans un résumé où il releva des expressions de certains orateurs de la gauche, sur le milliard promis à l'armée par la convention, conclut au maintien de l'amendement qu'elle avait proposé sur le retour des dotations; il reconnut que la plupart des autres changemens proposés changeraient entièrement la loi, et qu'alors il serait peut-être plus à propos de laisser le domaine extraordinaire dans l'état provisoire où il se trouve. Ainsi le projet du ministre ne paraissait sérieusement menacé que relativement à la clause du retour. La discussion des articles y fit bientôt admettre un changement plus grave.

(25 mai.) Des amendemens. proposés ou annoncés dans le cours de la discussion générale, les uns (ceux des membres du côté droit) tendaient à restreindre les droits des donataires, à mettre le domaine et la désignation des donataires à la disposition du roi; les autres (ceux des membres du côté gauche) à fonder les dotations d'une manière stable, à en faire une répartition égale, à faire profiter aux survivans la clause du retour..

A l'appui d'un amendement de la première classe, M. Piet déclara, au nom de ses honorables amis, qu'ils ne voulaient pas reconnaitre les droits des prétendus donataires, dont la dotation avait péri suivant l'axiome res perit domino..., mais seulement continuer des secours à titre de bienfaisance aux donataires tombés dans l'indigence; ce que M. le ministre des affaires étrangères combattit (26 mai), surtout en ce qu'on détruirait ainsi le

«

principe de la loi, « celui de l'hérédité des dotations, principe « fécond, qui tend, pour certaines parties de la propriété, à luí donner une stabilité qui importe à tous les intérêts de l'État, « à l'intérêt du pouvoir lui-même... » Comme, après avoir été débattu pendant deux jours, l'amendement défendu par M. Piet ne paraissait pas réunir une grande faveur, parce qu'il donnait trop ou trop peu aux intérêts du parti, M. Piet se réunit de luimêine à un autre amendement, sur lequel se porta bientôt toute l'attention de la chambre, c'est celui de M. Forbin des Issarts, ainsi rédigé :

« Les donataires français des quatrième, cinquième et sixième classes, entièrement dépossédés de leurs dotations situées en pays étrangers, et qui n'auraient rien conservé en France, recevront une inscription au grand-livre des pensions viagères, avec jouissance du 22 septembre 1821. Le montant de chaque inscription sera réglé, pour chaque classe, conformément au tablean annexé no 9. »

A la première lecture de cet amendement, il se manifesta du côté gauche un vif mécontentement, sur les bancs du ministère une franche opposition, dans le côté droit une espèce d'incertitude. Dans cette lutte, où l'on semblait provoquer l'avis de la commission, la séance s'étant déjà fort prolongée, M. le rapporteur proposa la continuation de la discussion au lundi suivant. Un orateur du côté gauche, M. Casimir Perrier, comprenant que, d'après les liaisons nouvelles du ministère, le délai ne pouvait être que fatal aux donataires, demanda (chose bien nouvelle du côté gauche) la clôture de la discussion et la mise aux voix de l'art. 1. Après des débats orageux, des contestations animées sur deux épreuves par assis et levé, l'ajournement de la discussion fut prononcé par appel nominal à la majorité de 154 voix contre 138.

( 28 mai. ) Les craintes du côté gauche n'étaient que trop bien fondées. D'abord la commission admit à l'unanimité le principe de convertir en pensions viagères les dotations; et ensuite, par un autre changement fait après l'impression de l'amendement, elle

remit, à la majorité des voix, l'inscription des pensions à la volonté da gouvernement; et à l'ouverture de la séance du lundi, le rapporteur annonça que la commission adoptait le sous-amendement suivant, corrigé à la main :

Les donataires français entièrement dépossédés de leurs do«tations situées en pays étrangers, et qui n'avaient rien conservé en France, eux et leurs enfans pourront recevoir en indemnité de leurs pertes une pension viagère.... »

A ces mots, plusieurs membres de l'opposition (MM. Girardin, Foy, Benjamin Constant, Perreau, Etienne, Casimir Perrier, Sébastiani, Lameth, etc....) s'écrièrent à la fois que c'était une loi nouvelle et d'autres conclusions substituées aux conclusions précédentes de la commission; qu'il y avait violation du règlement, usurpation de pouvoir de la commission; que ce sousamendement était le résultat d'une transaction entre la commission et le ministère, qui reculait devant la majorité qu'il avait formée, et déviait des principes qu'il avait posés.... M. le ministre des affaires étrangères, rappelant les principes qu'il avait exposés dans la séance précédente, déclara que si la proposition de la commission tendait à l'exclusion pour quelques-uns des donataires, il proposerait au roi de ne pas l'accepter; mais, en témoiguant qu'il eût préféré le système des dotations, il ne reconnaît dans l'amendement imprimé aucun principe d'exclusion. Alors M. Casimir Perrier, relevant vivement ces concessions, observe que l'amendement renverse la loi de fond en comble.

Il faut que le gouvernement prenne une détermination plus formelle et plus loyale, s'écrie-t-il. Ou le ministère ne veut pas de la majorité et de ses prizèipes, alors il faut qu'il dissolve la chambre; ou la majorité qui opprime le ministère ne veut pas de lui, et il faut qu'elle le force à se retirer, en rejetant ses propositions.

« Jusqu'ici, qu'avons-nous vu dans les ministres? une réunion d'hommes incertains dans leurs principes, dans leur conduite et dans leur marche; qui ne savent ni ce qu'ils font, ni où ils vont; et lorsque momentanément ils ont l'air de défendre nos institutions et les principes qui les consacrent, ils trompent et ils égarent et la nation et les chambres; car tous ces efforts, ils ne les font pas dans l'intérêt du pays, mais dans l'intérêt de l'existence de leurs places.

. Cette situation ne peut durer, ni pour la nation, ni pour la chambre. On

vient ici avec un grand apparat de principes, et à la première résistance on lâche le pied. Comment pourrait-on appuyer les ministres? au moment où l'on se présente sur le terrain pour combattre avec eux, on les aperçoit dans le camp ennemi. »

Seul de tous les ministres, M. Roy combattit ouvertement l'amendement, comme ne donnant qu'une simple faculté au lieu de consacrer un droit, et comme étant en opposition formelle avec le principe de la loi. M. le général Sébastiani demanda en vain le rétablissement du mot recevront, à la place duquel on avait mis pourront recevoir. Il fut rejeté à l'appel nominal.

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(29 mai.) Un jour se passa dans l'incertitude et dans des débats plus vifs encore que la veille. Enfin le ministre des finances, après en avoir conféré avec quelques membres du côté droit et de la commission, y proposa quelques modifications au moyen desquelles l'article passa tel qu'on le voit au texte de la loi. Les autres, moins l'article 7, qui se trouvait naturellement supprimé par le rejet du système des dotations, furent adoptés (30 mai) presque sans opposition, mais sans le concours du côté gauche, qui refusa de prendre part au vote. Cependant les généraux Sébastiani et Foy n'en proposèrent pas moins encore des amendemens sur la publicité de la liste des donataires, dans la vue de donner aux chambres le droit de discuter les comptes du domaine extraordinaire. Mais leurs efforts furent inutiles, et l'ensemble du projet amendé, soumis à l'épreuve du scrutin, réunit 203 suffrages sur 328 votans.

CHAMBRE DES PAIRS.

(9 juin.) En portant ce projet à la chambre des pairs, le ministre des finances annonça que le roi avait consenti les amendemens, et que, comme le principe de justice, qui est la base de la loi, avait été conservé, ce principe en concilierait l'application avec les lois

existantes.

La commission spéciale chargée de l'examen de ce projet ne l'envisagea point avec la même faveur. Le rapport que M. le comte d'Orvilliers fut chargé d'en faire (17 juillet) offre des notions positives à relever sur l'origine et l'état du domaine extraordinaire. On y voit qu'en 1810 ce domaine réunissait deux milliards ny

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