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premiers jours de la guerre de la révolution, lorsque l'Europe armée était près d'engloutir la France, la convention nationale décréta que des biens-fonds de la valeur d'un milliard seraient distribués, après la guerre, aux soldats qui resteraient vivans après que la patrie serait sauvée ; et cette promesse solennelle lui paraît avoir reçu une espèce d'accomplissement par le sénatus-consulte du 30 janvier 1811, qui institua le domaine extraordinaire.

Le domaine, dit le général Foy, possédait au 30 mai 1814, en biens affectés ou non affectés, un revenu de 40,895,000 fr. Il avait en outre en caisse ou en recouvrement un capital de 358,800,000 fr., et en répétitions valables à exercer, 42,000,000 fr.

« Le domaine extraordinaire, formé des dépouiiles de l'étranger, dut se ressentir des échecs de nos armes.

Mais c'était au moins un devoir de faire ressortir le classement qu'établis saient entre les dotations leurs origines différentes: les unes, fruit immédiat de la conquête et périssant avec elle; les autres légitimées par des actes diplomatiques; certaines acquises par le trésor à titre onéreux; d'autres enfin situées dans nos départemens, long-temps réunis, et concédées d'après le droit inhérent à la puissance publique de disposer du domaine de l'Etat. Cependant le naufrage a été universel: tout, tout indistinctement a péri.

On ne révoque plus en doute l'existence des stipulations clandestines dont nous parlait, il y a peu de temps, un de nos collègues qui a fait partie des commissions mixtes (1). Elles expliquent l'obstination avec laquelle ont été repoussés les droits qui, indépendamment des intérêts privés, acCroissaient la richesse française d'un revenu supérieur à celui que procurent les plus riches colonies. Elles expliquent comment notre gouvernement n'a pas osé reprendre un dépôt de vif-argent appartenant au domaine extraordinaire, et qui existe encore dans les provinces autrichienne's d'Italie, sans que personne en réclame la propriété. Tout le monde sait que les réclamations de nos vieux guerriers, souvent adressées à cette chambre, souvent renvoyées par elle au ministre, ont rencontré dans les bureaux des adversaires plus déclarés que ne l'étaient les Autrichiens et les Russes.

< Vous dirai-je, messieurs, que le congrès d'Aix-la-Chapelle ayant arrèté que les donataires seraient payés de leur arriéré jusqu'au 26 mai 1814, époque du traité de Paris, cet acte du congrès est resté enseveli pendant plus d'une

(1) Allusion à une déclaration faite par M. le baron Dudon, dans la séance du 27 janvier, à l'occasion d'une nouvelle pétition du chevalier Salel au nom des donataires, que, par un article secret annexé au traité de 1814 ( M. Méchin a dit que c'était l'art. 18 bis ), la France avait été obligée de renoncer à toutes les réclamations sur les biens que possédait encore le chef du gouvernement, ou qu'il avait distribués à titre de dotations.

année dans les cartons des affaires étrangères, sans que les intéressés afent pu en avoir connaissance, et qu'au moment où je parle, les donataires n'ont encore rien reçu? »

D

Nous passons å regret sur des détails purement oratoires ou financiers, pour arriver à des discours qui donnèrent à la discussion, et à la loi ensuite, une face nouvelle.

On a déjà vu MM. Dubotderu et Donnadieu s'élever contre une certaine classe de donataires, et réclamer des récompenses pour une autre espèce de services; M. Clausel de Coussergues ouvrit un champ plus large aux discords politiques :

Si les fonds qu'on veut affecter aux donataires, dit-il, étaient employés à secourir d'anciens serviteurs du roi, à soulager les familles des proscrits, le nom du roi serait béni dans une multitude de chaumières; tandis que le projet, tel qu'il nous est proposé, n'est qu'une véritable dérision. Si vous l'adoptiez, vous sembleriez dire à la jeunesse : « S'il arrive des troubles politiques et que vous preniez le parti de votre roi, vous serez dépouillés de tous vos biens, vous serez exilés, persécutés; et lors même que votre parti sera victorieux, vos enfans traineront leur vie dans l'indigence: ils seront condamnés au supplice d'entendre sans cesse tourner la fidélité en dérision. D'un autre côté, si vous embrassez le parti de la révolte, vous partagerez les dépouilles de vos concitoyens, vous partagerez les biens de l'église et ceux des hôpitaux ; et quand bien même le roi reviendrait sur son trône, vous n'auriez rien à craindre. Bien loin de là, on vous décernerait des récompenses nationales. » D'ailleurs, M. de Coussergues, après avoir soutenu que le projet de loi a été surpris à S. M., proposait cinq nouveaux articles destinés à remplacer ceux du projet de loi. Ces articles auraient pour but d'accorder, sur les fonds du domaine extraordinaire, des pensions viagères aux pères et mères des conscrits qui ont péri dans les guerres de la révolution. A mesure que ces pensions s'éteindraient, les fonds rentreraient au domaine extraordinaire ; et alors le roi en disposerait suivant les dispositions du sénatus-consulte cité plus haut.

Ce discours, où M. Clausel de Coussergues s'abandonna à des interpellations injurieuses aux ministres qui avaient été membres du conseil de Bonaparte, à des reproches injurieux sur la composition de la liste des donataires, occasionna dans la chambre un grand scandale.

Nous ne nous arrêterons ici qu'à ce qui touche à la question générale.

(23 mai.) Le lendemain, M. le ministre des affaires étrangères (baron Pasquier), après avoir répondu aux apostrophes outrates de la veille par une distinction ingénieuse entre la condiBear

pour re

tion d'un usurpateur qui ne pouvait écouter les conseils généreux, et la situation d'un roi légitime, assez fort de ses droits garder ses ennemis en dédain du haut de son trône, aborde l'objet réel de la proposition de M. Clausel de Coussergues.

Elle ne tendrait à rien moins, dit S. Ex., qu'à rejeter en quelque sorte hors du mouvement des affaires politiques de la France tous les hommes qui, pendant 30 ans, y ont joué un rôle plus ou moins important. Quelles qu'aient pu étre les circonstances, messieurs, il n'appartient à personne d'oser attaquer la conscience de lant d'hommes de bien, qui ont cru qu'il fallait toujours servir leur pays, quelle que fut la situation difficile dans laquelle ils pouvaient se trouver, qui ont cru que cette difficulté même était une raison de plus pour le dévouement qui seul pouvait peut-être sauver la patrie, et la mettre en position de recevoir le bonheur que la Providence lui destinait un jur. Etici, messieurs, je dois m'expliquer d'autant plus clairement que, placé dans cette situation qui appelle sur un homme public les regards de tous ses concitoyens, j'ai besoin de ne laisser aucune incertitude sur mes sentimens. Oui, sans doute, j'ai servi sous le dernier gouvernement: non-seulement je n'en rougis pas, mais encore je me félicite d'avoir pu rendre ainsi quelques services à mon pays. Ces services n'ont même pas été inutiles à mon ri; car, sans doute, il n'a pas été indifférent sur l'état dans lequel il retrouvait son royaume....

Si l'on voulait suivre le principe qui semble avoir dicté l'opinion de M. Clausel de Coussergues, voici quelles en seraient les conséquences, et je le pre de vouloir bien les peser. Quels que puissent être les vertus, le mérite, les taleas des hommes qui ont été absens des affaires pendant trente ans, je suppose qu'on puisse un moment vouloir les mettre seuls à la tête de ces memes affaires, les isoler de ceux qui, pendant ce inėme laps de temps, ont consacré leurs services à l'Etat ; je vous le demande, messieurs, ceux qui voudraient favoriser une telle doctrine n'auraient-ils pas contre eux, je ne dis pas seulement les individus qu'ils excluraient ainsi, non pas seulement un parti, mais les 99 centièmes de la nation. Loin donc de chercher, messieurs, á séparer, à isoler, à désunir tous les mérites que peut renfermer la France, efforçons-nous au contraire de les réunir, et c'est ainsi que nous aurons bien

mérité d'elle.»

De ces graves observations qu'il était important de recueillir pour la leçon de l'avenir au sujet des hommes qui, pendant trente ans, ont joué un rôle dans nos affaires civiles, le ministre orateur passe à leur application à ceux qui se sont consacrés à la carrière des armes; et à cette occasion il fait un magnifique éloge de la valeur et de la gloire de l'armée française, mais en annonçant qu'il ne cessera de combattre et de repousser de toutes ses forces • ces séducteurs des peuples qui voudraient s'en faire un moyen pour les entraîner dans l'abîme des révolutions. »

Quant au projet de loi, le ministre, laissant le soin de sa défense à son collègue qui l'a présenté, observe seulement qu'il y a justice et générosité tout à la fois, et il termine son discours en assurant de nouveau la chambre que le gouvernement ni les ministres du roi dans les pays étrangers n'ont rien négligé pour faire valoir par tous les moyens en leur pouvoir les justes prétentions des donataires; et que si le paiement des arrérages a éprouvé des difficultés, c'est parce qu'en général il dépend d'un compte à faire avec les fermiers débiteurs, qui trouvent dans les autorités du pays une faveur qui est dans la nature des choses.

Il faut observer qu'à la suite, et en réplique à ce discours, M. Clausel de Coussergues déclara qu'il avait lui-même été, sous Bonaparte, nommé membre d'une assemblée législative, et qu'il s'honorait d'avoir pu y trouver l'occasion de servir l'autorité légitime à l'époque de la restauration. - Néanmoins la question importante pour le point de vue sous lequel on devait considérer, sous le roi légitime, les services rendus à la révolution ou au gouvernement impérial, fut remise un moment après sur le tapis par M. Duplessis Grenédan.

« Si vous parcourez, dit l'orateur, cette liste qu'on nous a distribuée et qu'on intitule : État des donataires qui ont droit à l'indemnité fixée par la loi proposée aux chambres, quels noms y trouvez-vous? Ce sont les généraux des armées de Buonaparte, toute sa maison civile et militaire, et ses préfêts et ses ministres, ses intendans et ses écuyers, et toute sa cour, jusqu'à ses médecins et ses chirurgiens, jusqu'à la dame d'honneur de sa femme et la gouvernante de son enfant. Parmi tout ce monde, cherchez-en qui, après avoir juré fidélité au roi, ne se soient parjurés pour leur ancien maître! Il y en a, sans doute, et l'on ne saurait trop honorer leur vertu; mais c'est le petit nombre. A côté de leurs noms, qui semblent n'être là que pour faire supporter les autres, se trouvent ceux de la plupart des hommes désignés dans l'ordonnance du 24 juillet 1816, comme les principaux auteurs et fauteurs de la rébellion des cent jours.... >>

Ici M. Duplessis Grenédan, nommant plusieurs personnages

distingués, dont quelques-uns sont encore en place, les signale presque tous comme des fauteurs de la tyrannie ou de la rébellion. Il passe en revue des anciens ministres, des généraux, des conseillers d'état, des préfets, des conventionnels; quelques-uns sont morts, d'autres exilés. — On le lui fait observer; un veut en vain interrompre la lecture de cette liste accompagnée de qualifications injurieuses, l'orateur la poursuit à travers les réclamations qu'elle excite, et le côté droit l'écoute, sans avoir l'air de l'appuyer....

Enfin M. André d'Aubières, ramenant l'attention de l'assemblée à la question spéciale, demande que les inscriptions de rentes données en remplacement des dotations soient viagères, et qu'elles soient confirmées par le roi à chaque mutation en ligne directe. Il faut regarder sa proposition comme le germe du changement du projet.

Mais auparavant il fut encore combattu par M. de Vaublanc, qui, rappelant la proposition faite en 1814 par le maréchal Macdonald, demanda pour les émigrés des indemnités qui n'étaient pas des restitutions : par M. de Kergorlay, qui proposa de remettre le domaine extraordinaire à la libre disposition du roi, pour être employé à récompenser les services rendus à l'État. L'une et l'autre de ces propositions, plus ou moins déguisées jusque-là, tendaient à changer l'ancienne application du domaine. Elles furent vivement attaquées par M. Manuel ( 24 mai), dans un discours où il célébra la gloire militaire et même civile acquise par la France dans le cours de la révolution. A l'égard des indemnités pour les émigrés, dont on feignait naguère de repousser l'idée, l'orateur observe que depuis deux mois ou a bien changé de langage. Il n'en est pas surpris :

On se taisait alors, dit-il, parce que les circonstances l'exigeaient, et on parle aujourd'huj', parce qu'elles paraissent plus favorables. On se taisait alors,, parce qu'on doutait du triomphe de la sainte-alliance sur les gouvernemens constitutionnels, et on parle aujourd'hui, parce qu'on croit aveuglement à ce triomphe. (Murmures à droite.) On se taisait alors, parce qu'on croyait avoir besoin du ministère, et on parle bien haut aujourd'hui, parce qu'on est convaincu qu'on est nécessaire a ministère.

• Au surplus, continue l'orateur, pren ons les choses telles, qu'elles sont : vos prétentions sont très-simples, très-naturelles; elles sont le résultat né

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