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Mais le roi a voulu connaitre à quelle somme s'éleveraient les indemnités calculées daus la même proportion que les secours accordés par la loi du 15 mai 1818, en y ajoutant les trois premières classes qui, ayant éprouvé les mêmes pertes que les trois dernières, ne devaient pas continuer d'être exclues des mêmes dédommagemens.

« Il a vu que ces indemnités monteraient à environ 1,800,000 fr.; et considérant que les revenus présumés de la partie libre de l'ancien domaine extraordinaire ne promettaient pas plus de 1,400,000 fr., il a décidé que, pour compléter la compensation, les 400,000 fr. de rentes qui sont restés affectés aux grandes charges de la couronne, par suite du décret du 13 février 1810, seraient rendus au domaine extraordinaire à compter du 22 mars 1822.

«Le domaine extraordinaire n'existe plus : la loi l'a réuni au domaine de l'État; mais les effets de cette constitution ne cesseront entièrement que quand les affectations des biens de ce domaine auront cessé elles-mèmes par l'extinetion des pensions, ou par l'ouverture du droit de retour qui appartient à l'État, à l'exception des parties que la loi du 5 septembre 1814 restitue aux anciens propriétaires des canaux.

Le principe consacré par l'article 95 de la loi du 15 mai 1818 est maintenu par ces dispositions. Les restes du domaine extraordinaire sont seulement substitués aux portions de ce domaine, qui n'existent plus; et les serviteurs de l'Etat qui, dans le partage des récompenses, ont eu des lots plus périssables que les donataires dotés en France, ne seront plus tout-à-fait déshé

rités

• Ils pourront encore transmettre à leurs fils une partie du prix des services par lesquels ils ont honoré leur carrière.... C'est une concession qui, proposée par le roi, et votée par les chambres, aura le caractère d'une récompense reconnue avec la solennité de la loi.»

Ce projet de loi, renvoyé à une commission spéciale, donna lieu à de vives discussions sur la question de savoir si la loi proposée avait pour objet de reconnaître un droit ou de sanctionner un acte de libéralité du gouvernement. On y examina si la perte des dotations ne devait pas être mise au rang des pertes immenses causées par la révolution, et dont la réparation était impossible; ou si, dans l'intérêt de l'ordre et de la tranquillité publique, et dans le but d'une réconciliation générale, on ne devait pas reconnaître un droit particulier dans la situation des donataires. Le rapport, fait par M. le marquis de Bouthilliers dans la séance du a avril, expose, à cet égard, les sentimens de la commission.

En résumé, il était résulté de faits constatés dans l'examen de la question,

Que les dotations ont été assignées sur des biens dont la pro priété avait été reconnue ;

Que le domaine extraordinaire s'était dessaisi de ces biens dans la seule réserve de l'exercice de son droit éventuel de retour;

Que l'usufruit en appartenait aux donataires et la nue propriété à l'appelé à recueillir la dotation;

Et voie de conséquence, que les donataires seuls avaient des droits sur les biens dont ils étaient dépossédés; qu'il y avait eu propriété pour eux et pour leurs descendans mâles par ordre de primogéniture; qu'ils avaient des titres à l'indemnité proposée; qu'il paraissait convenable d'imprimer à cette indemnité le même caractère qu'avait reçu la dotation perdue, en ce qui concerne les héritiers directs des donataires; et qu'enfin l'intervention des chambres était indispensable pour sanctionner la répartition de cette indemnité.

On ne s'arrêtera point aux renseignemens, aux calculs, aux raisonnemens contenus dans ce rapport sur l'état ou l'emploi du domaine extraordinaire, ni aux raisons qui auraient pu faire exclure du partage des indemnités les donataires des premières classes, comme n'éprouvant pas les mêmes besoins, ou n'ayant pas éprouvé les mêmes pertes. Il suffit de remarquer que la commission ne pro posait au projet de loi d'autres changemens que d'admettre aux indemnités, comme dans la loi de 1818, les militaires des armées royales de l'ouest ou du midi, amputés, ou mis hors d'état de service, et d'affecter le produit des dotations, majorats et indemnités qui viendraient à faire retour, à former un fonds spécialement affecté à des pensions en faveur des personnes qui auraient rendu des services à l'État et au roi, mais qui, d'après la législation actaelle sur les pensions, n'auraient pu les obtenir sur les fonds généraux du trésor, ou sur les fonds de retenue.

D'ailleurs la commission n'altérait pas le principe essentiel de la loi de l'hérédité ni du majorat. Elle réservait à la couronne le retour des dotations, dans l'espérance d'en faire emploi au profit d'une autre classe de personnes et de services.... Mais dans l'intervalle qui s'écoula encore de la lecture du rapport à la discus

sion, espace de temps marqué par des événemens si importans au dehors, les partis qui divisent la chambre s'échaufferent davantage, et l'on va voir comment elle fut amenée à des changemens dont on n'avait même pas eu d'abord l'idée.

( 22 mai. ) M. le comte Dubotderu (du Morbihan), connu par les services qu'il avait rendus à la cause royale dans la guerre de la Vendée, parut le premier à la tribune.... En remontant à l'origine des dotations, il y voit de véritables majorats que le projet de loi tend à consolider, à perpétuer d'âge en âge par une inscription sur le grand-livre, quoique les fonds qui y étaient assignés, situés dans les pays étrangers, soient à jamais perdus.

« Ainsi, dit-il, après mille ans, les familles des donataires conserveront encore avec orgueil le souvenir de grandes récompenses données par l'ex-empereur leur maître, pour des services rendus sous les enseignes révolutionnaires en haine des Bourbons!

• Ne sentez-vous pas la monstruosité d'admettre que ce soit le roi de France, souvent trahi, quelquefois trompé, qui devienne tout à coup le dispensateur des récompenses inouïes concédées par Napoléon à ses compagnons d'armes, au nombre desquels il s'en trouve malheureusement encore qui, par leurs discours, par leurs actions, leurs conseils et leurs propos, ne tendent qu'au renversement du trône légitime? Et si l'on prétendait que je m'égare, que je sors de la question, je vous prierais de jeter un coup-d'œil sur le tombeau du malheureux duc de Berri et sur le dégoûtant procès qui se juge maintenant à la chambre des pairs.....

« En supposant qu'en 1814 le gouvernement ait pris des engagemens positifs sur l'objet en question, il me semble que les événemens du mois de mars 1815 l'en ont complètement délié...........

« Quant à cette prétendue spécialité de 1,833,200 fr. de rente qui, suivant le tableau de répartition annexé au projet de loi, devraient former, à perpétuité, une création de majorats, principalement en faveur des donataires de Buonaparté, et en commémoration de ce dernier, je ne saurais la reconnaître, parce que des hommes parjures aux sermens les plus saints, courbés sous le faix des bontés infinies du roi, qui se sont révoltés et ont appelé de nouveau les armes étrangères du fond de l'Ukraine et des bords du Tanaïs, ne peuvent établir leurs droits sur des fonds qui, réunis, ne seraient que de trop faibles indemnités des sommes payées par la France aux souverains alliés. ........`

Veuillez bien remarquer que je n'entends combattre que l'établissement immédiat des dotations proposées, et nullement parler contre la possession des biens situés en France, quelle qu'en soit l'origine, donnée à titre gratuit par Napoléon à ses serviteurs; car ceci est une propriété réelle, et vous ne devez dépouiller personne, tandis que l'autre espèce n'a jamais été qu'idéale, et a complètement disparu depuis que la France a perdu ses conquêtes, en conservant néanmoins l'honneur et la gloire de ses armées.

• Mais que se propose-t-on dans ce projet de loi? On fait une nouvelle noblesse transmissible, à part de celles qui ont été établies par la charte. Je trouve cette mesure aussi dangereuse qu'inconvenante....

«La justice ne doit être que distributive, ou elle cesserait de l'être. Elle se trouve absente, suivant moi, dans la loi que nous discutons, puisqu'elle ne s'applique qu'à une classe de Français constamment privilégiée à toutes les époques présentes et passées.'

• En effet, messieurs, les donataires de Buonaparte, en général, sont comblés de richesses et d'honneurs par les divers emplois qu'ils occupent dans les administrations quelconques, comme dans l'armée; si l'on compare leur existence actuelle à ce qu'elle devait être originairement, à ce qu'elle aurait pu être, sans doute on la trouvera heureuse et considérablement améliorée : je veux dire enfin qu'aucune circonstance, aucun événement ne leur a été funeste collectivement depuis trente ans....

⚫ Jetez maintenant vos regards sur les Vendéens de l'Ouest et du Midi; sur presque tous les officiers de l'ancienne armée émigrés avec le roi, d'après l'appel d'honneur qu'il leur fit alors; voyez les champs de la Vendée jonchés des ossemens de ses fidèles habitans, et parcourez les villages du Morbihan ensanglantés par le massacre de Quiberon, où le corps entier de la marine française, de glorieuse mémoire, fut exterminé, ainsi que tant d'autres braves, sans cependant que leurs dépouilles mortelles, encore à découvert, aient mérité, jusqu'à ce jour même, les honneurs d'une sépulture convenable, et du tombeau le plus mesquin!

< Vous savez comment ont été accueillies dans cette session même les réclamations en faveur des fidèles serviteurs du roi que les confiscations révolutionnaires ont dépouillés; `vous savez qu'on a passé froidement à l'ordre du jour sur les réclamations les plus justes.

Puisque vous parlez de justice distributive, ne nous ordonne-t-elle pas de demander aux ministres du roi qu'ils apportent, à la session prochaine, une loi beaucoup plus générale, qui satisfasse, autant que possible, tous les intérêts lésés par la révolution; enfin qui tranquillise les uns et console les autres. Ce ne peut être qu'ainsi que ces deux grands mots union et oubli, restés sans effet, reprendront leur véritable acception en faisant chérir la charte et crier d'une voix unanime: Vivent le roi et les Bourbons sur le trône de saint Louis, d'Henri IV et de Louis XIV! Par ces motifs, je rejette le projet de loi.» Après ce discours, souvent interrompu par de violentes improbations du côté gauche, M. le général Donnadieu, repoussant l'idée de comprendre dans les secours «< ces fortes donations, prix des services personnels rendus à l'homme de l'usurpation, prix de la servilité de cour», appelle la sollicitude de la chambre sur ceux de ces donataires qui possédaient de petites dotations gagnées au prix de leur sang; et développant la pensée que M. Dubotderu n'avait fait qu'indiquer, il demande que l'on s'occupe du sort des émigrés.

« Certes, dit-il, s'il n'est pas en notre pouvoir de leur rendre ce que personne au monde n'avait droit de leur ravir, si l'impérieuse nécessité, l'interét public, l'intérêt de tous, vous obligent à consacrer une telle violation des droits sacrés de la propriété...... réparez, réparez autant qu'il est en vous, autant que les ressources de l'Etat pourront vous le permettre, ce grand acte d'iniquité..... Les émigrés ont servi la cause du roi : la patrie et le roi sont une même chose pour les Français; c'est une dette du roi, une dette de la patrie que nous devons payer en compensant, puisque nous ne pouvons pas restituer. Nous avons payé nos dettes avec le prix du manoir des émigrés, nous devons restituer ce prix qui a servi à nous libérer; la confiscation du bien des émigrés fut un crime public, il faut le réparer. La restauration ne serait autre chose que la confirmation du désordre, si l'on ne faisait succéder le juste à l'injuste, si l'on n'effaçait de l'esprit du peuple l'idée funeste qu'il puisse y avoir des spoliations légitimes.

« Voilà, messieurs, les principes qu'il faut que vous consacriez en confessant cette grande injustice et en la réparant. Les plus hautes considérations de morale et de politique vous en font une loi: en indemnisant les émigrés, vous rassurez les acquéreurs ; en rassurant les acquéreurs, vous brisez dans les mains des factieux le levier le plus puissant dont ils se soient servis jusqu'à ce jour pour troubler l'ordre et exciter la sédition et la révolte. »

De l'autre côté de la chambre, on peut bien penser que la vieille armée ne manqua point de panégyristes et de défenseurs qui rappelèrent avec chaleur et souvent avec éloquence ses exploits, ses malheurs et ses droits.

M. Etienne, repoussant surtout l'analogie que le rapporteur avait cherché à établir entre les donataires et les victimes de nos discordes civiles, rappelle « la terrible situation de la France, condamnée à vaincre où à n'être pas. » Il expose que le principe de la confiscation, quoiqu'injuste, avait été admis; qu'il s'était exercé de mille manières dans le cours de nos révolutions; qu'il avait fondé la fortune de plusieurs grandes familles. - Venant à la question du domaine extraordinaire, il demande si dans les traités passés depuis 1814, il n'était pas d'article secret qui pût déroger à des traités patens, et anéantir les réclamations des donataires.... Il ne peut croire que ceux qui étaient possesseurs à titre onéreux aient été dépossédés, et il espère que le ministère réclamera leurs droits; et, comme M. Favart de Langlade, il combat l'amendement relatif au retour éventuel des dotations qui doivent servir d'accroissement aux fonds des survivances.

Ensuite le général Foy rappelle, dans les mêmes vues, qu'aux

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