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Le gouvernement du roi a déjà travaillé au bien de la religion et de l'église; ila proposé ce qu'il a cru juste et suffisant ; et si l'indispensable nécessité ou l'utilité evidente d'un plus grand nombre de siéges lui était démontrée, il serait prêt à accueillir toute augmentation qui lui en serait deman dée.... Mais il tient à la limite légale du nombre.... L'acte par lequel le pouvoir politique concourt à la formation d'un siège épiscopal doit intervenir dans la forme la plus solennelle, et qui présente le plus de garanties. La nél cessité de l'attache de la puissance législative, en pareil cas, n'est pas unre règle nouvelle: Elle remonte aux principes et aux usages constamment suivis dans la monarchie, où le roi est toujours intervenu dans l'établissement des siéges épiscopaux, comme législateur, et dans les formet législatives.

« La circonscription de 1801 est, annexée à la loi du 22 avril 1802, dont elle fait partie. Il faut un acte législatif pour y déroger. Le gouvernement du roi l'a solennellement reconnu durant la session de 1817. C'est cette dérogation que le roi propose pour doaze évéchés: votre commission est loin de la refuser, mais elle veut la donner pour un nombre indéfini. Là est da difficulté. Le roi peut accepter les pouvoirs qui lui sont nécessaires et qu'il demande; mais il est de sa sagesse, de son attachement aux règles et de sa solicitude à conserver soigneusement les limites qu'il à tracées aux divers pouvoirs, de ne pas accepter ceux qui ne lui sont pas utiles, et qui pourraient attenter au droit public du royaume. La prérogative du roi est de régner avec la charte qu'il a dotrnée, d'exercer à lui seul l'administration intérieure et extérieure de l'Etat, d'exercer le pouvoir législatif avec les chambres qu'il a appelées à le partager..... Le projet de la commission rejette à jamais hors du domaine de la législation les actes qui doivent régler la circonscription des diocèses : il place l'église de France sous le régime des ordonnances... La même nécessité de ne pas donner un pouvoir indéfini avait dicté la proposition que l'établissement des nouveaux évéchés aurait lieu sans qu'il y en eût plus d'un par de partement.... Cet inconvénient est de même nature que si l'on plaçaît deux cours d'appel dans un mème département... Le sentiment qui porte des villes à réclamer leurs anciens honneurs ecclésiastiques est louable, sans doute, mais ce sont les besoins et les ressources qu'il faut consulter, encette occasion, plutôt que les sentimens. On ne peut doter des établissemens publics pour conserver des souvenirs. Le temps déplace les populations et les influences, il faut céder à son empire....>

Ainsi le ministre déclarait en finissant que l'état de l'église de France devait être fonde sur la loi, et que le gouvernement devait surtout tenir à la limitation légale du nombre des siéges épisco

paux.

Immédiatement après ce discours, dont quelques passages excitèrent les murmures du côté droit, la discussion générale com

mença.

M. Kératry, inscrit le premier contre le projet, combattit surtout les amendemens de la commission, comme favorisant la reli

gion du privilége plus que la religion de l'État, comme tendant à couvrir la France d'évêchés et de couvens, dont les dotations absorberaient les revenus publics, et enfin comme inconstitutionnels, contraires aux lois de l'État et aux usages de la monarchie.-M. de Corcelles, voyant dans les concessions que réclame le ministère le désir de ramener les couvens et les jésuites, lui demande ce qu'il entend par des engagemens anciens et nouveaux.

M. Bignon, après un exorde sur la nécessité de la religion comme élément de l'ordre social, sur le danger de chercher à fortifier la servitude politique par la servitude religieuse, et sur les libertés de l'église gallicane si bien défendues par saint Louis, Charles VII et Louis XII, et si bien établies par Bossuet dans les quatre articles de la déclaration de 1682, combat l'art. er du projet, en ce que son effet est de detruire l'accroissement actuel qui à eu lieu au profit du trésor public par l'extinction des pensions ecclésiastiques existantes, et de transporter au clergé, par une affectation prononcée une fois pour toutes, le montant des fonds qui doivent successivement provenir de ces extinctions; article qui aurait pour résultat, d'abord, de transformer en dépense permanente une dépense qui jusqu'à présent avait été considérée comme temporaire ; en second lieu, d'établir comme une législation spéciale, une disposition qui deviendrait obligatoire pour les chambres à créer pour le clergé une liste civile qui, comme celle de la royauté, serait hors la portée de la discussion annuelle des chambres, avec cette différence que ce serait un privilége plus étendu encore, puisque l'affectation faite au clergé serait perpétuelle, tandis que la fixation de la liste civile royale n'a d'effet que pour la durée d'un règne.

L'orateur, relevant ensuite plusieurs expressions ou passages du rapport de la commission, fait observer que la religion ne sera ni remise en discussion, ni traduite à la barre des chambres, ni réduite à tendre la main, parce que la puissance législative sera appelée à déterminer les fonds que ses besoins exigent, comme ceux de la justice. Il examine l'utilité de la multiplication des siéges religieux au-delà de ce que le gouvernement a cru nécessaire. - Il observé que le pays de l'Europe où la morale de la 'religion est le

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moins pratiquée est précisénient cette capitale du monde chrétien, cet état romain dont les établissemens religieux couvrent toute la surface, où tout est livré aux cardinaux, aux prêtres et aux moines... Il représente que, d'après le mode actuel de la composition des conseils généraux, il s'en faut de beaucoup qu'un vou exprimé par cax puisse être considéré comme un vœu national; qu'on ne peut y voir que le vœu d'une classe, que le vœu d'un parti. « Il est tout naturel en effet, dit-il, qu'un parti qui veut établir les majorals et les substitutions, en même temps qu'il s'apprête à dépouiller les fils paînés de leur part de droits dans l'héritage paternel, songe leur préparer une sorte de dédommagement dans une création de places pour lesquelles la faveur de la cour sera plus utile que le mérite et les talens. »

Quant à la partie politique du projet, l'orateur se plaint que la rédaction du premier paragraphe soit équivoque et incomplète, qu'elle offre une réticence que la commission a interprétée en ce sens, qu'à l'avenir les bulles de circonscription ou autres relatives à des questions d'ordre ecclésiastique devraient avoir leur effet sans le concours de la puissance législative, et il en fait voir les conséquences; le danger qui pourrait en résulter, que des bulles du saint-siége vinssent, par la collusion d'un ministre perfide, agiter toutes les consciences, soulever tous les intérêts et bouleverser le royaume. Il rappelle que l'un des griefs qui furent généralement élevés contre le concordat de 1817 était de n'avoir pas reproduit l'article 13 du concordat de 1801, article qui, sous le rapport religieux, était une garantie de plus pour les possesseurs des biens ecclésiastiqnes. Il est vrai, dit l'orateur, qu'alors le saint-père fit dans une de ses bulles une déclaration qui avait le même but; mais si désormais les bulles peuvent être soustraites à l'examen de la puissance législative, qui nous répond que dans quelques mois des bulles du saint - siége ne renfermeront pas des maximes toutes contraires? Qui vous répondra que bientôt des esprits fanatiques, armés des expressions plus ou moins équivoques de quelques bulles, n'iront pas secouer dans nos départemens les flambeaux de la guerre civile? Et n'est-il pas permis de tout

craindre quand le ministre vient, dans l'exposé de ses motifs, vous parler d'engagemens anciens et nouveaux qui existent entre le gouvernement et la cour de Rome? N'est-il pas permis de craindre que, parmi ces engagemens anciens et nouveaux, il ne faille compter d'une manière plus ou moins directe le concordat du 11 juin 1817 ?.. »

De l'autre côté de la chambre, M. général Donnadieu, prévenant l'assemblée qu'il est désintéressé dans la question, puisqu'il est de la religion réformée, soutient les amendemens de la commission, par la nécessité de rendre à la religion catholique son éclat, son influence et son empire. Il s'élève contre les dégoûts suscités aux missionnaires. « Si l'on veut que la religion protége la société, dit-il, il faut commencer par donner au sacerdoce l'existence honorable qu'il doit avoir dans l'état ; que dans nos cités comme dans nos plus petites communes, l'homme de Dieu soit le premier en considération, comme le premier par l'élévation de son sacré caractère.-M. Chifflet, considérant le projet amendé par la commission dans les règles du droit public et ecclésiastique, en France, établit que le roi seul, comme protecteur souverain de l'église de France de concert avec le souverain pontife, a le droit de régler ce qui concerne la création et la limite des siéges; que les parlemens n'ont jamais eu le droit reconnu de les consentir, de s'y opposer; et qu'enfin les chambres ne peuvent être appelées à délibérer que sur des dotations, parce qu'elles sont alors dans le droit qui leur appartient de voter l'impôt.

(14 mai). La question de droit qui venait de s'élever entre la commission et le gouvernement était peut-être la partie la plus difficile et la plus délicate à résoudre.-M. Corbière, l'un des nouveaux ministres et président du conseil royal de l'instruction publique, ne la regardant que comme un malentendu, essaya de l'éclaircir.-II représenta qu'anciennement le roi n'intervenait en cette matière que législativement et dans les formes législatives; que le but du gouvernement et sans doute aussi celui de la commission avait été, dans la divergence même de leurs moyens, de donner plus de fixité aux mesures à prendre pour la circonscrip

tion des évêchés; mais que le meilleur moyen n'était pas sans edoute de réduire le concours de l'autorité civile à de simples actes administratifs... De ce que la commission a reconnu que les chambres doivent, comme pouvoir pécuniaire, intervenir pour doter les siéges, M. Corbière en conclut qu'il vaut mieux que le pouvoir législatif adopte par un acte exprès et direct l'établissement des nouveaux siéges que le réduire chaque année à délibérer sur la dotation de siéges dont l'établissement leur aurait été étranger.... Ainsi l'orateur, en relevant quelques expressions de M. de Bonald avec plus de ménagement que celles de M. Bignon, persiste penser que le projet du gouvernement donne plus de fixité à l'établissement des siéges épiscopaux, et il ne suppose pas « qu'une mesure reclamée par les besoins les plus manifestes de la religion' de l'état, et proposée pour y satisfaire, rencontre dans cette chambre de déplorables obstacles, qu'elle puisse être compromise par un malentendu fâcheux sans doute, mais sur lequel il était si nécessaire de s'expliquer publiquement et si facile de se comprendre. »

Cette opinion, qui parut plutôt étonner que satisfaire le côté droit, fut suivie de celle de M. Benjamin Constant. Il releva ce que la divergence des opinions du ministère et de la commission offrait de contraire à la nature, des deux pouvoirs. Ensuite, regardant le projet de loi comme vicieux sous le point de vue constitutionnel, en ce qu'il est motivé par des engagemens anciens et nouveaux contractés avec le saint-siége, il demande, dans le cas où on rejetterait la loi, si ces engagemens perdraient leur force ou subsisteraient malgré le rejet. Quant aux raisons alléguées en faveur du projet, de la nécessité de consolider l'influence et d'ajouter à la puissance morale de la religion, l'orateur remarque qu'elle n'a jamais été plus forte et plus puissante, plus respectée que quand elle était persécutée durant la révolution. D'ailleurs il désire qu'on améliore le sort des pasteurs, mais il voudrait aussi associer la religion à la liberté. Il désire aussi qu'on la laisse indépendante de la politique, et qu'on n'en fasse pas un instrument du pouvoir.

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