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particulières, je vous dirais que vous pouvez sans danger modérer ce vif empressement à prodiguer l'argent aux ministres ; ils n'en ont pas besoin, puisqu'ils sont à même d'offrir cent mille francs à celui de vous qui serait disposé à trafiquer de son honneur, de son indépendance..... >

A ce soupçon, jeté sur les ministres en face de la chambre et du public, il s'éleva au centre et sur les bancs ministériels des murmures d'indignation. M. le garde des sceaux porta au général le défi le plus formel de prouver le fait qu'il semblait dénoncer, et d'accuser franchement les ministres. Il se donna de part et d'autre des explications dont les détails sont peu dignes de la gravité de l'histoire. On les retrouvera dans les journaux du temps (1).

A la fin, le tumulte qu'occasion'nèrent la philippique et l'apos trophe du général étant un peu apaisé, M. de Villèle, l'un des nouveaux ministres, montant à la tribune « pour y essayer, dit-il, les accens de la raison en opposition avec l'appel aux passions que l'on vient d'entendre », n'hésite pas à signaler le discours du préopinant comme une série de récriminations tellement dangereuses, qu'il en résulterait pour le pays une guerre éternelle et une perte inévitable. Il expose comment l'opposition royaliste, qui ne faisait la guerre.qu'aux choses et non aux personnes, avait dû se rallier au gouvernement, réuni dans la voie qui devait opérer son salut. Il déclare qu'il ne répondra pas à toutes les allégations entendues; cependant il repousse de toute sa force l'idée qu'on ait ordonné une nouvelle organisation de l'armée parce qu'on en était mécontent et qu'on craignait d'en être trahi, puisqu'elle a répondu å l'appel qui lui a été fait et repoussé les exemples les plus dangereux.... Et, revenant à la question principale, c'est-à-dire à la demande du renvoi des ministres, quoique la loi sur leur responsabilité n'existe pas, la charte suffit pour autoriser leur mise en accusation. «< Attaquez-les, dit S. Ex.; alors on viendra vous répondre, alors vous serez obligé de produire des preuves; et serait-ce sous un tel prétexte que vous pourriez vous opposer à un vote indispensable, sans lequel la marche de l'administration serait

(1) Voyez le Moniteur du 15 janvier 1821, etc.

arrêtée?.... Il ne fut jamais plus que cette année commandé par la nécessité. »

L'extrême droite venait de donner le signal de l'attaque contre les ministres, la gauche ne tarda point à y répondre. D'abord M. Benjamin Constant, examinant les doctrines tout à l'heure émises par M. de Villèle, sur ce que la chambre n'aurait pas le droit de témoigner son mécontentement contre les ministres en refusant leurs projets, mais qu'elle ne pourrait que les mettre en accusation:

« La mise en accusation, dit-il, est un moyen violent dont il répugne long-temps aux amis du repos et de la monarchie de se servir, et ensuite la loi sur la responsabilité ministérielle n'existe pas. Les articles de la Charte qui la constituent sont susceptibles d'interprétations diverses; d'où il est probable qu'une accusation n'aurait' aucun résultat. D'ailleurs, lorsque les ministres suivent un système général qui paraît dangereux, ils peuvent bien ne pas s'être rendus pour cela coupables de délits qui motivent la responsabilité; alors il est clair que le moyen le plus doux, et le plus constitutionnel d'avertir le Gouvernement que les ministres s'égarent, est de refuser, ou au moins de restreindre la concession de l'impôt. Ce moyen, je le répète, est plus doux que celui d'une accusation; il est très-constitutionnel : et qu'on ne dise pas qu'en refusant l'impôt, c'est mettre l'Etat en danger ou forcer le roi à céder; car les ministres peuvent changer de système, et l'Etat marcher sans ces moyens violens, aussi dangereux pour le Gouvernement que pour la liberté. Il est donc clair que tout ce qu'a dit le préopinant ne s'applique pas à la question. »

De là, passant à l'examen de la conduite du ministère, qu'il accuse d'exciter les partis, d'envenimer les haines, de dénoncer ses amis d'hier à ses amis d'aujourd'hui, l'orateur se réduit à n'accorder que deux douzièmes, pour donner aux ministres le temps de s'amender, en les avertissant de songer qu'il arrive tôt ou tard une époque où les deux partis qu'on a dénoncés tour à tour s'aper çoivent qu'ils sont joués l'un et l'autre, et qu'ils se réunissent tous les deux contre leurs dénonciateurs.

M. Etienne (de la Meuse), abordant pour la première fois la tribune avec des précautions oratoires, et mêlant les questions incidentes à la question principale, rappelle les promesses faites chaque année par les ministres de sortir du provisoire : il leur reproche de passer en négociations avec les partis le temps qu'il faudrait employer à la formation du budget: il fait vivement sentir

la position où l'on met la chambre, de voter la plus grande partie de l'impôt sans examen préalable; d'ouvrir un crédit à l'aide duquel on va faire des dépenses que dans trois mois la chambre aurait pu rejeter comme superflues, et qu'elle sera forcée alors de voter. Après un tableau des sacrifices demandés au peuple français, qu'il voit frappé d'exhérédation politique pour toute compensation, l'orateur témoigne qu'il hésitera toujours à voter un budget, et surtout un budget provisoire, en faveur d'une administration composée de douze personnes, dont la moitié est exempte de toute espèce de responsabilité.

« Le ministère tel qu'il se composait il à deux jours, ajoute M. Etienne, était une émanation de la minorité de 1815. Il a provoqué, signé, approuvé l'ordonnance du 5 septembre, et mille fois il a proclamé qu'elle avait sauvé la France.

< La plupart des ministres qu'il vient de s'adjoindre sont au contraire une émanation de la majorité de 1815; ils furent les plus ardens, les plus infatigables ennemis de l'ordonnance du 5 septembre, et mille fois ils ont répété qu'elle avait mis en danger la monarchie. Maintenant, messieurs, je me fais une question, parce que je la ferais probablement sans succès à messieurs les ministres ; les anciens membres de l'administration ont-ils renoncé à leurs principes, ou les nouveaux ont-ils changé d'opinion?

Et si par hasard tous les ministres anciens et nouveaux persistaient dans leurs opinions précédentes, s'ils n'étaient disposés à rétracter aucun des actes auxquels ils ont pris part comme ministres, aucun des principes qu'ils ont émis comme députés, quel accord pourrait régner dans les conseils du gouvernement? qu'elle unité de vues, de système serait-il possible d'en

attendre?

‹ Aussi, messieurs, voyez dans quelle politique vague et mystérieuse le ministère s'enveloppe jusqu'à présent; voyez comme son attitude est embarrassée, et sa démarche incertaine. Nous ne connaissons pas bien encore le secret d'une transaction dont, de part et d'autre, l'amour seul du pouvoir semble avoir fait tous les frais; transaction qui du reste pourraît n'être que provisoire, comme tout ce qui émane de l'administration. Le ministère actuel ne présente, selon moi, aucune garantie de durée, et en votant six douzièmes de confiance, vous devez être à peu près convaincus que vous les votez en faveur d'une autre administration. »

Ici l'orateur, ne voyant dans l'avenir que des sujets de crainte, dans le parti dominant que des intentions de remettre la France sous la tutelle d'une aristocratie orgueilleuse, examine la question du crédit public et de la prospérité de la France, et il en trouve la cause, non pas dans l'administration, mais dans l'établissement

du gouvernement représentatif, dans le sentiment que le peuple français a de sa force, et dans la confiance qu'il resterait debout au nilieu de tous les naufrages ministériels.

« Non, messieurs, poursuit l'orateur, le crédit, la confiance ne sont point l'ouvrage du ministère; j'irai plus loin je soutiens que le crédit s'est maintenu malgré lui, car il n'a oublié rien de ce qu'il fallait pour le faire tomber. En effet, le crédit n'est-il pas surtout le résultat de la stabilité, et, de bonne foi, y a-t-il jamais eu quelque constance dans la marche de l'administration? Non, messieurs, la discussion actuelle en est une nouvelle preuve; depuis six ans, il n'y a eu en France de permanent que le provisoire.

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« Des systèmes contraires qui se succèdent et se heurtent sans cesse ; des lois qu'on détruit lorsqu'à peine elles sont portées ; des ministres qui changent de principes pour ne pas changer de place; des doctrines aujourd'hui constitutionnelles, demain séditieuses; des régimens convertis en légions, et des légions converties en régimens ; des officiers renvoyés des cadres dans leurs domiciles, puis rappelés de leurs domiciles dans les cadres, et congédiés de nouveau lorsqu'à peine ils y sont de retour; des organisations dont la plus récente est toujours définitivé et n'est jamais la dernière; des administrations mobiles qui se renouvellent tellement, qu'on ne fait pour ainsi dire plus que les traverser; des fonctionnaires toujours en route, dont les citoyens ont à peine le temps d'apprendre les noms, et qui ne sont pour la plupart que des voyageurs du fise et que des commissaires aux élections; des intérêts toujours menacés, des espérances toujours déçues, des promesses toujours trahies! N'en est-ce pas, messieurs, mille fois trop pour faire tomber tout crédit, pour ébranler toute confiance.....?

Après ce tableau, qui caractérise l'éloquence de l'orateur, il vote, afin de ne pas compromettre le service du trésor, pour qu'il soit accordé trois douzièmes au ministère sur les contributions de 1821.

A ces nouvelles attaques parties du côté gauche de la chambre, et souvent appuyées par les murmures approbateurs de l'autre M. le ministre des affaires étrangères, prenant la parole, examinant d'abord la mesure en elle-même, exposa que les ministres avaient proposé un projet de loi pour sortir du provisoire; mais que ce projet ayant été rejeté, il en fallait préparer un autre qui devait être élaboré avec plus de soin, et qu'en attendant, la nécessité même commandait impérieusement cette année la mesure proposée dans toute son étendue.

Mais la question financière était ici la moins difficile et la moins

délicate. Le ministère venait d'être accusé, d'une part, pour sa composition, de l'autre, pour ses actes....

Quant à sa composition, dit S. Ex., j'ai le bonheur de pouvoir dire qu'elle réunit les hommes les plus sincèrement mus par le même sentiment d'amour, de dévouement à leur roi, à leur patrie, par un attachement sincère à la constitution de cette patrie; chaque jour m'apprend à me flatter davantage de cette heureuse composition.... On vous l'a montrée comme le plus bizarre des assemblages, puisqu'elle réunissait dans son sein des membres de la minorité de 1815 à côté des membres provenant de la majorité de cette même année 1815. N'y a-t-il pas là réunion, bien loin d'y avoir diversion? Oui, sans doute, les événemens ont marché; ils ont dù apprendre aux fidèles sujets du roi, aux sincères amis de la patrie, à tous ceux qui, animés des mèmes sentimens, étaient divisés par des nuances d'opinions, que le temps était venu de se réunir sur le fond des choses. Or, le fond des choses, c'est l'amour da roi, la défense du gouvernement constitutionnel : voilà sur quoi les membres des deux côtés de la chambre de 1815 ont dû se réunir. L'expérience a appris à ces hommes, que des chaleurs passagères avaient momentanément éloignés les uns des autres, que réciproquement ils avaient mal jugé leurs intentions: ils ont reconnu qu'ils se devaient une justice réciproque, et que laplus forte preuve qu'ils en pouvaient donner, c'était de combattre ensemble. C'est ce qu'ils ont fait à la session dernière, les uns sur les bancs des ministres, les autres sur ceux des députés ; c'est ce que les mêmes hommes font, et ce qu'ils ne cesseront de faire à cette session, sur les bancs des ministres et sur les bancs des députés.

D

En passant de la composition du ministère à ses actes, le ministre fait observer qu'il ne s'agit ici de rien moins que de juger du gouvernement tout entier, et notamment dans la session dernière. Il se contente de rappeler les circonstances dans lesquelles les lois d'exception ont été demandées. Il oppose aux accusations de certains orateurs ce que d'autres ont dit du crédit et de la prospérité de la France, de son agriculture et de son industrie, et finit ainsi son discours :

Le premier orateur qui a parlé à cette tribune a dit aux ministres : Retirez-vous. Non, messieurs, les ministres du roi ne se retireront pas. Ils ont le sentiment de leurs devoirs. Ils ont juré au roi de soutenir son autorité, de maintenir son gouvernement, de défendre les lois qu'il a données. Tant que le roi jugera leurs services bons et loyaux, tant qu'ils auront la conscience qu'ils peuvent le servir utilement, ils ne croiront pas devoir se retiver. Ils n'ignorent pas qu'il est des circonstances où d'eux-mêmes ils devraient demander la faveur de cette nouvelle manière de servir leur prince. Oui, sans doute, s'ils avaient perdu la majorité dans cette chambre; s'ils pouvaient croire l'avoir perdue dans la nation; s'ils se croyaient un obstacle au bien de leur pays; s'ils croyaient que l'autorité royale dût péricliter dans leurs

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