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purent rencontrer; Cayer se distingua entre tous par sa barbarie i lança, dit-on, dans les flammes un enfant de cinq ans! Et, pour ne pas laisser incomplète leur œuvre de carnage, les assassins revinrent encore le 15 octobre suivant, puis le 21 janvier 1563, fouiller les ruines de ce malheureux bourg et s'assurer qu'aucun des habitants n'avait échappé (1).

Dixmont dut être ensuite dans des craintes continuelles de voir arriver les protestants, désireux de tirer vengeance du massacre d'Aix, dont s'étaient rendus coupables quelques fous furieux du pays; il n'en fut rien. Mais au mois de juillet 1570, l'orage éclata. Les catholiques chassaient devant eux les huguenots; et, comme les armées d'alors ne se faisaient pas suivre de leurs approvisionnements, elles étaient obligées de faire des réquisitions ou de se livrer au pillage pour se procurer des vivres. Les habitants de Dixmont crurent échapper à ces excès en fermant les portes de leur bourg: ils furent traités avec une rigueur dont le curé Claude Haton dans ses Mémoires (2) a rendu compte en ces termes : « Le camp catoli<«< que chemina jusques à Moret, mais avant que d'y aller, menè« rent à tire tous les villages et bourgs fermez qu'ils trouvè«rent sur leur chemin, où ils logeaient de bon gré ou de force, comme en portera tesmoignage à jamais la petite << ville et bourg fermé de Dimont, à quatre petites lieues de << la ville de Sens, dans laquelle logea par force le camp ca«<tholicque. Aux refus d'ouvrir leurs portes aux cómmissaires « pour y prendre les logis et quartiers pour s'y loger, le ca« non y fut mené par commandement du mareschal (de Cos« sé) (3) et fut tiré contre les murailles. Celles-ci par lui rom<< pues et bresche faite, par là entrèrent les gens de guerre du<< dict camp, lesquelz tuèrent, meurdrirent et saccagèrent aul« tant d'hommes qu'ils rencontrèrent par les rues. Ledict << mareschal entra qui fit cesser la tuerie et meurtre, mais << fit prendre et emprisonner les gouverneurs et justiciers d'i« celle, qu'il incontinent fit pendre et estrangler comme

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(1) A CHALLE, le Calvinisme et la Ligue dans le département de l'Yonne, Bulletin de la Soc. des Sciences de l'Yonne, t. 17, p. 73 et suiv.

(2) Cl. Haton, curé dans le diocèse de Sens, a écrit sur les guerles de religion des Mémoires qui ont été publiés en deux volumes dans la collection des Documents inédits sur l'Histoire de France, page 597.

(3) Chef des troupes catholiques.

« séditieux et rebelles au roy. Les filles et femmes furent for«cées par les pillards de la guerre, et, je crois, le feu mis en «<aulcunes maisons. Acte barbare, cruel et inhumain. Il n'es« toit besoin d'exercer telle cruauté sur ces pauvres gens << pour une si petite rebellion, de laquelle on les eust bien punis << sur leurs biens, sans leur faire perdre la vie et souiller « leur pudicité. Il n'est possible de faire pis sur un ennemy estranger, voire barbare que l'on prendroit par force d'as<«<sault, que qui fut faict à ces pauves rustiques qui sentoient << encore mieux le paysan de village que le civil bourgeois « d'une ville. Ledict mareschal fut aultant déshonoré d'avoir <«< sur eux commis et faict commettre cette cruauté, qu'ilz de << Dimon furent folz et mal conseillez de vouloir résister »>. Non content de s'être ainsi vengé, le maréchal de Cossé, voulant aussi punir les habitants de l'Enfourchure qui s'étaient réfugiés à Dixmont comme en un lieu sûr, brûla leur hameau qui ne s'est jamais relevé de ses ruines.

Puis, Dixmont put réparer ses murailles pendant plusieurs années d'une paix relative; car nous ne trouvons aucun fait marquant avant la première quinzaine d'octobre 1589. Il est probable que les gens de Dixmont s'étaient alors rangés dans le parti de la Ligue; du moins, l'inscription qui était gravée autour de l'ancienne chaire de l'église et qui reproduisait la devise des Ligueurs, semblerait l'indiquer. A cette date, François des Essarts, baron de Saultour, ennemi juré de la Ligue et l'un des plus ardents partisans d'Henri de Navarre, vint s'emparer de la « ville forte de Dimont », après un siège de cinq jours qu'il dirigea du monastère de l'Enfourchure; et il s'installa dans la place conquise et y établit son quartiergénéral, pour inquiéter et désoler à la fois Joigny, Villeneuvele-Roy et Sens. On peut juger du triste sort qui fut fait à ces villes, par celui de Joigny, tel qu'il est raconté dans la délibération du Conseil de la Ligue de ladite ville, (24 novembre 1589): les récoltes encore à faire avaient été levées sur les terres de la banlieue par les gens du redoutable baron; les bois de la coupe communale, estimés à dix-huit cents ou deux mille cordes, et sur lesquels les habitants de Joigny comptaient pour se procurer des munitions de guerre et pour se mettre en état de défense, avaient été emmenées pour le compte de Saultour; la ville aux abois en fut réduite à faire argent des meubles et des bijoux de ses citoyens (1). Tou

(1) A. CHALLE, opere citato. Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne, t. 18, p. 157.

jours de Dixmont comme centre de ses opérations, le baron de Saultour tournait aussi ses efforts contre Sens: le 19 décembre, il s'emparait du bourg de Mâlay-le-Petit et en séquestrait tous les moulins; en même temps il entreprenait et exécutait le gigantesque projet de détourner les eaux de la Vanne et de mettre ainsi à sec les ruisseaux alimentant les moulins de Sens: la famine ne tarda pas à se faire sentir cruellement dans la ville; de plus, les détachements des soldats du baron faisaient des courses continuelles, dévastant le pays et emmenant prisonniers un grand nombre d'habitants. Le gouverneur de Sens, Harlay de Champvallon, ayant sur ces entrefaites reçu des secours de Troyes, réunit toutes les milices à sa disposition et se mit en marche avec ces forces importantes pour attaquer Mâlay: Saultour crut prudent de le pas l'attendre et se retira jusqu'à Armeau; mais là, ayant reçu des renforts de Dixmont, il fit volte-face et engagea une lutte meurtrière et opiniâtre; il fut blessé dans le combat, mais n'en obligea pas moins les troupes de Champvallon à battre en retraite (1). En 1590, la garnison royaliste de Dixmont concerta avec celle de Saint-Julien-du-Sault plusieurs expéditions dont le but était toujours de harceler les troupes de la Ligue, établies à Sens, Villeneuve et Joigny; parfois, elle poussa plus loin ses incursions et s'en alla réquisitionner jusqu'à Chemilly, Montigny-le-Roy, Villeneuve-Saint-Salve, etc.; le 17 juillet 1590, elle dressa une embuscade aux Ligueurs de Villeneuve-sur-Yonne et leur tua quinze hommes (2). Mais à ce moment déjà, le baron de Saultour n'était plus nommé comme gouverneur de Dixmont: qu'était-il devenu? nous l'ignorons. En 1591, Dixmont reçut un capitaine nommé par Henri IV. En 1592, la garnison de Dixmont figurait dans la liste de celles qui tenaient bon pour le roi (3) ; en 1593, elle était sous les ordres du capitaine Desouche (4).

L'année suivante, Villeneuve était surpris par les troupes royalistes; puis, Sens, Joigny, Saint-Florentin, se rendaient aux lieutenants du roi c'était la paix qui allait enfin terminer ces longues et désastreuses guerres civiles. Mais le rôle et l'importance de la châtellenie royale de Dixmont étaient

(1) Lavernade, Hist. de Sens, p. 201.

(2) A. CHALLE, opere cit.

passim.

(3) Ibid., p. 206.

Bulletin de la Société de l'Yonne, t. 18

(4) Fonds du notariat de Dixmont.

à peu près finis dans le courant du dix-septième siècle, le domaine ayant appartenu au roi sera presque entièrement partagé en fiefs relevant de la Grosse Tour de Sens. Et, par un un acte de mai 1703, Louis XIV échangera avec M. de SaintMars les vieux bâtiments du château, ses dépendances et quelques terres, contre des propriétés que son co-contractant avait aux environs de Versailles (1). Dixmont avait été châtellenie royale pendant cinq cent seize ans, de 1187 à 1703.

CHAPITRE IV

DIXMONT ET LES FIEFS CONSTITUÉS SUR SON TERRITOIRE.

I

Enclaves dans la châtellenie.

La châtellenie royale de Dixmont était comprise entre le ruisseau de Saint-Ange au midi, et les territoires de Véron, de Målay et de Cerisiers au nord.

1o Dans cette étendue se trouvait enclavée au treizième siècle la seigneurie de Bois-Bourdin (2), appartenant à Cantien Carré, boucher, et autres. En 1231, ce fief qui était composé de 205 arpents de terres, prés et maisons, fut vendu aux gouverneurs du Grand Hôtel-Dieu de Sens son revenu fut appliqué dans la suite jusqu'à la Révolution à la nourriture et à l'entretien des Orphelines de Sens. Après en avoir fait l'acquisition, les administrateurs de l'Hôtel-Dieu louèrent ces biens pour un bail de trois vies et 19 ans, moyennant une rente annuelle de 114 sous (3) et 6 setiers (4) de froment (5).

(1) V. pièces justificatives, no 37.

(2) Aujourd'hui hameau de la commune des Bordes.

(3) Cette somme ferait environ 620 francs de notre monnaie. Nous croyons utile d'indiquer ici les monnaies réelles et les monnaies de compte dont il a pu être fait usage avant la Révolution :

Le franc ou livre parisis, valait 25 sous tournois ou 20 sous parisis.

La livre tournois, 20 sous;

Le sou valait 4 liards ou 12 deniers;

Le denier, 2 oboles ou mailles;

L'obole ou la maille, 2 pites.

La pite, 2 semi-pites. Le blanc eut une valeur qui changea

2o Une autre enclave relevant en arrière-fief des sires des Barres, située aux Bordes, le long du chemin de Cerisiers, et appelé le fief des Bordes (1), appartenait, vers le milieu du treizième siècle, à Drian des Bordes, à sa sœur Bierge, à Guillaume de Sens et à Jean des Bordes, clerc ; une partie de ce domaine, vingt arpents de terres et vignes, fut donnée à la chapelle des Bordes, par Drian et Alice sa femme; la donation fut ratifiée par le suzerain, Guillaume des Barres qui s'en réserva le cens ct le terrage, octobre 1257 (2). Ce fief était possédé, en 1700, par M. Hémard de Paron, dont les héritiers le vendirent en 1718 à M. Philippe de Mouchy : il comprenait alors 180 arpents de terres, bois et vignes, sur lesquels il y avait cinq maisons, 40 arpents terre et bois à la Terre-au-Pot (3), avec redevances de chapons, poules, et censives ordinaires; il fut vendu 12.250 livres (4).

3° Le fief du Buisson-Jacob (5), comprenant 461 arpents de terres, devait, en 1514, aux religieux Célestins de Sens, un cens de 3 deniers par arpent et de 6 deniers par maison (6).

4° La maladrerie ou maison-Dieu de Dixmont était située à environ 1.500 mètres à l'ouest du bourg, à droite entre la route actuelle de Villeneuve et le chemin de la Justice, un peu en amont du pont des Bordes. Elle fut sans doute fondée avant la cession en pariage au roi de la seigneurie de Dixmont; car en 1562, elle était déclarée comme n'étant pas de fondation

presque à chaque règne, depuis Philippe de Valois jusqu'à François I il fut tantôt de 10 deniers, tantôt de 6, tantôt de 5, parfois même il représenta les 12 deniers du sou.

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(4) Le muid de grains contenait 12 setiers, le setier, 8 bichets, le bichet, 24 mines ou 48 écuellées. En admettant que le bichet valait 23 de nos litres, les 6 setiers de froment faisaient environ 11 hectolitres.

(5) Arch. de l'Hôtel-Dieu de Sens, B 12. Ce dossier renferme un plan du fief de Bois-Bourdin

(1) Il ne faut pas confondre le fief des Bordes avec le village des Bordes.

(2) Pièces justificatives, n° 22.

(3) Hameau des Bordes.

(4) Minutes du notariat de Dixmont. 12.250 livres, environ 40.000 francs d'aujourd'hui.

(5) Hameau détruit, sur la commune des Bordes.

(6) Arch. de l'Yonne, H. 504 et 558. En 1514, le denier valait à peu près 12 centimes de notre monnaie.

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