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nait au profit des malades qui, par ce moyen, pouvaient être isolés de la contagion de certaines épidémies. La ville d'Angers possédait en 1559 de douze à quinze hôpitaux, suivant le témoignage d'un contemporain (1); j'en ai compté tout autant à Nantes dès le XVe siècle et dans des petits centres de population, tels que Machecoul, Piriac, Fégréac, parfois trois et quatre.

Tous ces petits établissements n'ont pas vécu sur notre sol, pendant trois et quatre siècles, sans y laisser des traces de leur existence dans les dénominations topographiques et dans la tradition. Quand on interroge la mémoire des plus anciens habitants de certaines contrées, on est stupéfait de la quantité d'hôpitaux qu'ils sont en état de rappeler. Ainsi, autour de Guérande, il y a deux villages, tels que Villeneuve et Brandu, désignés comme ayant été en possession d'une aumônerie. A côté du château de la Cour-Péan, en Erbrée, la tradition cite également un établissement du même genre. Recueillir tous ces souvenirs serait une tâche très-lourde que je n'entreprendrai pas. Je cite seulement ces exemples afin de montrer que l'histoire locale n'est pas écrite que dans les chartes.

Pour les aumôneries et les hôpitaux, il y a, comme pour les maladreries, une foule de renseignements à tirer du cadastre et de la liste des lieux habités. Ainsi, en Fresnay, le nom de l'Aumônerie est resté intact à un village; il se voit aussi près de l'Aumondière, en Saint-Père-en-Retz, sur les cartes de Cassini; ailleurs, il s'est transformé en la Moinerie, la Monnerie et la Mosnerie. Cette altération s'explique encore mieux que celle de l'Hopitau et de l'Hopital, dont on a fait, comme je l'ai prouvé, la Pitauderie et la Pitallerie, en Chantenay.

(1) Dict. hist. et archéol. de Maine-et-Loire, par C. Port. I, 96.

Suffit-il de connaître le nom d'un établissement pour être en mesure de le classer dans telle ou telle catégorie ? Non, assurément. Il n'y a rien d'absolu dans la démonstration que je soumets à mes indulgents lecteurs. De même que les maladries ont pu, en certains lieux, devenir des hôpitaux ordinaires, il est arrivé sans doute aussi que des lieux dits l'aumônerie ont renfermé des lépreux. Ainsi, j'ai la certitude que la tenue de l'Aumônerie, près SaintDonatien de Nantes, a été au XVIe siècle un hôpital de pestiférés (1).

La charité étant une vertu importée par le christianisme dans la société barbare, il s'en est suivi naturellement que la pratique de la bienfaisance a été considérée comme une fonction ecclésiastique, dont le clergé seul pouvait s'acquitter dignement. On ne concevait pas d'autre intermédiaire que le prêtre entre les classes pauvres et les riches, et d'autre tuteur souverain que l'évêque du diocèse. Chaque maison hospitalière vivait en liberté sous le gouvernement de son chapelain avec la règle qu'avait tracée le fondateur, sans autre surveillance que celle des archidiacres délégués par l'évêché. Ce régime était le plus universellement répandu; cependant il n'était pas rare que, dans les villes, l'aumônier fût responsable de sa gestion devant une confrérie, devant quelques bourgeois ou quelques marguilliers délégués, avec le titre de père des pauvres, par le général de la paroisse (2).

L'Eglise elle-même appelait les laïques à son aide. Le concile de Vienne de 1311, decida que l'Administration des hospices serait confiée à des « laïques sages, intelli

(1) Hist. des hôpitaux de Nantes, p. 19.

(2) On nommait ainsi l'assemblée générale de la paroisse composée des anciens marguilliers.

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» gents, sensibles aux misères des pauvres et capables de » se comporter en vrais tuteurs de leurs biens, à la charge » par eux de rendre compte de leur administration aux évêques. » Nous verrons que cette règle fut adoptée dès le XIVe siècle en Bretagne. Le clergé n'est donc pas seul responsable des infidélités qui anéantirent tant de fondations charitables; les marguilliers par leur peu de zèle à protéger les intérêts des pauvres ont aussi mérité de porter une partie de l'accusation sur laquelle se fonde le fameux édit de François Ier. Ce qu'on appelle improprement la sécularisation des hôpitaux est tout simplement une réforme qui a eu pour effet, non pas de déposséder le clergé de ses prérogatives, mais de rappeler les laïques à la pratique de leurs devoirs. On a pas assez remarqué que les nouveaux administrateurs, à peine installés, furent tenus en suspicion comme les anciens et contraints à déférer leurs actes à des juges lointains.

Il y a pour la Bretagne un arrêt du Parlement du 15 octobre 1548 qui investit la ville de Nantes de la surintendance des hôpitaux d'Ancenis, de Bouin, de Bourgneuf, de la Chapelle-Glain, du Loroux-Bottereau, de Plessé, de Pontchâteau, de Machecoul, de Saint-Père-en-Retz, de Saint-Julien-de-Vouvantes et de Savenay. Ce luxe de contrôle démontre bien que les abus venaient de divers côtés (1). En 1557, la ville de Nantes exerçait encore la même juridiction sur les établissements du comté, mais il est douteux que cette magistrature lui ait été longtemps maintenue, en raison de la difficulté des communications. Pendant les troubles du protestantisme, les abus reprirent

(1) Hist. de Nantes, Travers, II, 324. (Arch. départ., série H.)

leur cours, et le patrimoine des pauvres, abandonné à l'incurie des autorités locales, devint en beaucoup d'endroits, insaisissable le jour où le pouvoir royal voulut tenter une réorganisation. Quant aux hôpitaux érigés en bénéfices ecclésiastiques leur chûte est la conséquence du règne des abbés commendataires.

CHAPITRE I.

HOPITAUX

de Saint-Antoine.

Le mal de Saint-Antoine est connu de tout le monde au moins de nom; mais on ignore en général comment le patriarche des solitaires est devenu le patron d'une classe de lépreux fort nombreuse. Le corps de ce saint n'est en France que depuis le XIe siècle. Jocelin, seigneur de Dauphiné, le rapporta d'Orient vers 1050 et le déposa dans l'église de la Motte-Saint-Didier, au diocèse de Vienne (1). Il se présenta une telle affluence de pèlerins autour du tombeau de saint Antoine, que Jocelin se vit obligé d'élever une nouvelle église qui, en peu de temps, devint un sanctuaire célèbre. Les provinces du Midi étaient alors ravagées par une affreuse maladie assez semblable à la lèpre, plus aiguë pourtant, puisque les populations l'ont nommée d'abord le mal des ardents, puis le feu de Saint-Antoine. Quand un membre en était attaqué, il devenait noir et sec comme s'il avait été brûlé; d'autres fois, il tombait en putréfaction. La médecine étant incapable de procurer aucun remède contre ce fléau, les victimes abandonnées

(1) Histoire des ordres religieux du Père Helyot, et Notice sur la maladrerie de Voley, par M. Chevalier, p. 33.

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