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Il avait beau sourire encore; on voyait, même quand il souriait, une larme qui perlait au bord de sa paupière.

Sa santé s'altéra; et de longues et terribles souffrances, qu'il supporta avec courage et résignation, annoncèrent à ses amis désolés que l'heure de la séparation allait bientôt

sonner.

Cette heure est venue.

Heureux ceux qui, comme lui, ont tracé leur sillon en semant le bien !

M. Pihan-Dufeillay, dans le monde médical, a été un exemple et non une exception. Le travail, le désintéressement, l'abnégation, sont des vertus communes, je le sais, à ceux qui se vouent au soulagement des misères humaines; et la science n'est qu'un moyen que tous possèdent.

Mais le mérite n'en est pas moindre pour n'être pas isolé, et les services rendus ne commandent pas moins de reconnaissance.

Dans la vie de M. Pihan-Dufeillay tout est enseignement. Ses études, ses actes, ses pensées n'ont eu qu'un but et un effet l'intérêt public.

Je devais le rappeler afin de constater la grandeur de la perte que nous avons faite.

Nantes, le 4 décembre 1878.

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Depuis quelques mois la Société académique a été cruellement éprouvée.

Un nouveau deuil vient encore de la frapper.

M. Lambert a succombé, le 6 février, à Menton où il était allé demander à un ciel plus clément une protection pour sa santé gravement altérée.

La partie rigoureuse de la saison d'hiver était passéc, les symptômes étaient presque rassurants, et déjà on souriait peut-être à l'idée du retour, lorsqu'une aggravation du mal a détruit toutes les espérances.

Ni les efforts de la science, ni les soins de l'affection la plus tendre et la plus dévouée n'ont pu en arrêter les progrès.

La nouvelle triste a causé partout, en se propageant, une émotion profonde et sincèrement ressentie.

M. Eugène-Charles-Maurice Lambert était né à Donges le 30 avril 1803.

Après avoir fait de solides études, d'abord au Lycée de Nantes, puis à l'Ecole de droit de Rennes, il fut reçu avocat en 1824..

A son début dans la magistrature, en 1830, il avait occupé la place de juge d'instruction au tribunal civil de Savenay; il avait été nommé ensuite juge au tribunal de Nantes en 1842, et juge d'instruction au même siége en 1845.

C'est pendant cette période de sa vie, en 1843, qu'il s'était affilié, en qualité de membre résidant, à la Société académique.

Son mérite exceptionnel lui avait valu, peu de temps après, la première place.

Les voix unanimes de ses collègues venaient de le porter à la présidence, en 1849, lorsqu'il fut appelé à remplir les fonctions élevées de conseiller à la Cour d'appel de Rennes.

C'était attendu parce que c'était juste. On applaudit à cette nomination; mais la séparation n'en fut pas moins pénible.

Des hommes de la valeur de M. Lambert ne s'oublient pas, et le vide même que cause leur absence oblige à penser à eux.

Cependant un lien nous rattachait encore à notre excellent collègue il était resté membre correspondant.

Pendant son séjour à Rennes il reçut la décoration de la Légion-d'Honneur en 1865, et il fut promu à la dignité de président de chambre à la Cour d'appel en 1870.

Dans une autre sphère M. Lambert rendait encore des services investi d'un haut mandat par la confiance de ses concitoyens il a représenté, pendant près de 40 ans, de 1830 à 1870, le canton de Saint-Nazaire au Conseil général de la Loire-Inférieure.

Tous les procès-verbaux, et encore mieux les résultats, affirment sa laborieuse et utile collaboration.

Malgré de si graves et si nombreuses occupations il continua ses rapports avec la Société académique; il lui fit d'importantes communications, et il prit part, en qualité de son délégué, aux opérations du jury institué en 1869 pour décerner les prix disputés au concours, par des travailleurs d'élite, dans le ressort de l'Académie de Rennes.

En 1873, alors qu'il jouissait de la plénitude de ses facultés, il fut mis à la retraite parce que la loi le commandait; il était arrivé à la limite d'âge; mais nommé en même temps président de chambre honoraire il conserva le rang gagné par ses services dans la magistrature.

Alors il se fixa de nouveau à Nantes; il rentra dans notre Compagnie, et il se livra aux études littéraires avec une ardeur que l'âge n'avait pu tempérer.

Le premier devoir de la Société académique était de le rappeler à la place que les circonstances l'avaient obligé d'abandonner.

Elle n'y manqua pas, et en 1875 M. Lambert devint, pour la seconde fois, son président.

Il imprima aux travaux de la Société une impulsion presque irrésistible, car il avait la faculté précieuse de communiquer sa verve et son entrain.

La supériorité de son intelligence, l'étendue de son savoir, la vigueur de sa pensée, l'activité singulière de son esprit toujours resté jeune, lui rendaient toute entreprise facile.

On se rappelle avec quelle autorité il représenta la Société académique au Congrès de la Société pour l'avancement des Sciences en 1875, où sa parole élégante et correcte obtenait plus que l'attention, l'assentiment unanime.

L'impression laissée par la lecture de ses créations poétiques est encore vivante dans tous les esprits; et on ne se lasse pas de revoir les Fleurs du vrai et l'Essaim de sonnets, ces deux recueils de vers heureux dont la Société a eu les prémices.

Le fragment épisodique, exposé d'idées justes sur l'Education par la famille; les Etudes sur Boulay-Pâty, son parent, qu'il devait égaler, sinon dépasser; sur Théophile Gautier; sur Lamartine; sur Béranger et sa correspondance; le Voyage en Italie; le remarquable discours où il enseigne à un jeune poète des préceptes qu'il pratiquait si bien; le traité des Influences morales dont la forme rhythmique, qui pouvait être un écueil, a fait un succès, et tant de productions d'une valeur incontestée, sont des richesses littéraires que nos Annales conservent précieusement et qui peuvent leur être justement enviées. Ce n'est pas tout: il tenait en réserve bien des travaux considérables. ·

J'en parle avec quelque assurance parce que j'ai eu la bonne fortune de connaître, entre autres œuvres non publiées, plusieurs pièces dramatiques en vers dignes d'un grand théâtre.

Il est inutile de dire que l'auteur, philosophe-moralişte, aurait cru manquer à sa mission si la leçon parfaitement indiquée n'avait pas été le but, et l'obligation du devoir la conclusion.

Comme on le voit, M. Lambert était doué d'un talent souple et fécond se prêtant à des genres divers, et qu'il savait maintenir dans des régions élevées; mais, dans tout, l'esprit semé à profusion, avec une prodigalité de riche, éclatait et charmait.

De sa plume il ne pouvait sortir que de bonnes choses; cependant je commettrais peut-être une faute, si je négli

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