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NOTICE NÉCROLOGIQUE

SUR

M. PIHAN - DUFEILLAY

PAR M. BIOU,

Président.

MESSIEURS,

J'éprouve un sentiment douloureux.

Ma première parole, lorsque je suis à peine installé sur ce siége, doit se faire entendre à l'occasion de la mort d'un de nos plus anciens et plus chers collègues, M. le docteur Pihan-Dufeillay.

Prononcer son nom suffit pour éveiller vos regrets; et vous rendez spontanément à sa mémoire un hommage mérité.

Mais ma mission ne peut s'arrêter là.

J'essaierai donc d'indiquer les circonstances principales de sa longue et laborieuse carrière.

M. Pihan-Dufeillay a fait partie de la Société académique depuis 1835, époque où le Cercle médical auquel il appartenait s'est fondu avec elle.

La bienveillance de son caractère, le charme de ses relations, l'élévation de son esprit, la sûreté de sa science,

l'autorité de sa parole, l'importance, le nombre et la durée de ses services, lui ont acquis une place certaine dans tous les souvenirs.

Enfant de ses œuvres, il était arrivé à une haute position par sa persévérance dans le travail et par sa volonté énergique.

M. Pihan-Dufeillay est né à Nantes en 1801, d'une famille d'origine bretonne. Son père était avoué.

Il fit ses premières études comme interne au Lycée de Nantes.

Encore très-jeune, il passa avec succès les examens du baccalauréat ès-lettres et du baccalauréat ès-sciences physiques.

Puis il suivit les cours de l'Ecole de Médecine.

Ses progrès rapides furent appréciés, et il entra en qualité d'élève interne à l'hôpital.

Peu de temps après il fut reçu officier de santé.

Son but était d'arriver au doctoral; mais il fallait habiter longtemps Paris. Les ressources de la famille étaient modestes, et les dépenses devaient être bien grandes. Le jeune médecin voulut se suffire à lui-même.

Il s'embarqua sur un bâtiment de commerce, exerçant sa profession, et toujours étudiant.

Il navigua pendant plusieurs années.

De retour en France il prit la route de Paris.

Là, travailleur assidu et zélé, il recueillit avidement les leçons d'illustres professeurs, et il subit avec honneur les épreuves du doctoral.

Il revint encore une fois à Nantes, mais pour y passer seulement.

A la vue des navires qui peuplaient les eaux de la Loire, il sentit se ranimer en lui le goût des voyages; il se dit qu'il avait le temps de demeurer à terre, et il résolut

d'aller chercher sous d'autres climats et dans de lointaines régions des sujets d'étude pour ajouter encore à son éducation médicale.

Il s'engagea de nouveau à bord d'un bâtiment marchand et parcourut les mers pendant quatre ou cinq ans.

Enfin il reprit pied sur le sol natal et se fixa définitivement à Nantes.

C'était le moment difficile. Il ne suffit pas d'être capable pour réussir; il faut que le talent se révèle; il faut attendre, et quelquefois longtemps.

M. Pihan-Dufeillay avait l'ambition de se faire tout de suite un nom.

Doué d'une intelligence d'élite et d'une faculté d'assimilation rare, il s'occupa avec ardeur de l'étude de la chimie.

Il atteignit bientôt à la hauteur des maîtres; et il fonda, avec le concours et la collaboration du docteur Cox, un cours de chimie, rue Saint-Léonard.

Sa réputation s'étendit rapidement. En 1845 il fut choisi comme expert par les Tribunaux, et il a rempli cette délicate et si grave fonction presque jusqu'à la fin de sa vie.

En 1848 il obtint la place de professeur suppléant du cours de chimie à l'Ecole de Médecine; et en 1851 il fut nommé professeur titulaire.

Lorsque la chaire de chimie fut supprimée en 1854 il occupa celle de pharmacie et de toxicologie; mais il rentra dans la chaire de chimie dès qu'elle fut rétablie en 1868, et il professa cette science jusqu'en 1872.

Alors, sentant ses forces diminuer, il reprit possession de la chaire de pharmacie dont il est resté titulaire jusqu'à son dernier jour, bien que depuis deux ans il se fit suppléer dans l'enseignement.

La haute estime qu'inspirait son mérite avait valu à

M. Pihan-Dufeillay la dignité de directeur de l'Ecole de Médecine qui lui fut conférée en 1867, et qu'il garda jusqu'en 1876 époque où l'Ecole ayant été réorganisée il devint directeur honoraire.

En dehors de l'Ecole son concours était profitable à bien des œuvres.

J'ai rappelé qu'il était médecin expert agréé par les Tribunaux.

En outre il remplit pendant longtemps les fonctions de vice-président du Conseil central d'hygiène et de salubrité et de membre de l'Administration des Lycées.

Il se distingua surtout dans sa mission de médecin des épidémies.

Ses rapports (dont quelques-uns ont été consignés dans le Journal de la Section de Médecine de la Société académique), remarquables par la netteté, la précision, la solidité de la discussion, étaient rehaussés par des qualités brillantes de style.

Aussi étaient-ils recherchés et hautement approuvés par toutes les personnes compétentes.

La croix de la Légion-d'Honneur, qu'il reçut en 1865, fut une juste récompense à laquelle on applaudit et qui fut complétée par la nomination de l'éminent professeur au grade d'Officier de l'Instruction publique en 1872.

Tant d'occupations auraient pu remplir la vie d'un homme laborieux, mais elles ne suffisaient pas à l'activité infatigable de M. Pihan-Dufeillay.

Il semblait qu'il eut la faculté de se dédoubler; on le rencontrait partout.

Je dis partout: C'est qu'en effet il trouvait encore le temps de visiter une clientèle considérable.

Il avait gagné, dans l'exercice de sa profession, une confiance bien justifiée.

Le pauvre comme le riche le voyait, au premier appel, accourir à son chevet.

Que de consolations apportait alors sa parole affectueuse et fortifiante!

Un médecin entrait dans la maison, c'était un ami qui en sortait.

M. Pihan-Dufeillay était favorisé par la fortune; il était savant; il était aimé, honoré; il avait obtenu tous les titres qui pouvaient flatter son légitime orgueil; il aurait dû être heureux !

Mais non! La Providence ne veut pas, sans doute, que le même réunisse toutes les joies.

Il était frappé au cœur.

Il avait vu s'éteindre successivement sa femme à laquelle il était tendrement attaché, une belle-sœur qu'il chérissait, cinq enfants dans lesquels il comptait se voir revivre. Il ne lui restait plus qu'un fils.

Vous l'avez connu, Messieurs; il a été un des vôtres; et vous n'avez pas oublié quelle supériorité d'intelligence et de savoir il possédait sous des apparences modestes et en revêtant les formes les plus aimables.

Eh bien! ce fils, ce dernier espoir, ce dernier bien, cette dernière consolation, il disparut aussi; et, cette fois, il ne resta plus que le vide.

Oh! les cruelles épreuves et l'affreux désespoir !

L'homme fort était terrassé... Cependant, il se releva; il pensa à ses petits-enfants; il pensa à tant de souffrances qui réclamaient son aide. Il comprit qu'il pouvait encore être utile. Il lutta; et le sentiment du devoir balança l'impression de la douleur.

Il reprit ses travaux.

Mais la douleur ne pouvait pas être vaincue; la blessure était mortelle.

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