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ruines, de tumulus, de menhirs, dont il faut tenir compte autant que de la date reculée de leur disparition. L'emplacement des Madeleine est toujours plus difficile à trouver par exemple que celui des léproseries de SaintLéger et de Saint-Laurent.

Au reste, je n'en suis pas réduit à de simples conjectures il existe bien des documents qui démontrent que la lèpre étendait ses ravages en Occident dès l'époque Mérovingienne, dans toutes les classes de la société. Ne montre-t-on pas à Rome la cuve de marbre où Constantin s'est baigné après avoir été guéri de la lèpre par le pape Sylvestre? Grégoire de Tours dit avoir vu un lépreux qui quitta la Gaule pour aller se baigner dans le Jourdain et qui revint, délivré de son mal (1). Le même auteur parle dans un autre endroit de léproseries qu'on bâtissait hors des villes renodochium leprosorum suburbanum. Les annales ecclésiastiques mentionnent l'existence de léproseries établies en 460 près de l'abbaye de Saint-Oyan, aujourd'hui Saint-Claude; en 570, dans un des faubourgs de Châlons-sur-Saône; en 634, près de la basilique de Verdun. Dans les actes des Conciles de la Gaule figurent des témoignages identiques : les évêques assemblés en 549 à Orléans, à Lyon en 583, recommandent aux évêques de se faire rendre compte du nombre des lépreux de leur diocèse et de pourvoir aux besoins des plus malheureux (2). Dagobert, Pépin et Charlemagne fondèrent pour eux des asiles et se prononcèrent pour la dissolution du mariage quand l'un des époux était lépreux, bien que le pape Etienne, en 754, eût adopté l'opinion contraire.

() Opera, ch. XIX, col. 742.

(2) Le roi Gontran, atteint de la lèpre, alla demander sa guérison à saint Sor. (Hist. de France, D. Bouquet, t. III, p. 465.)

En Bretagne, les historiens n'ont recueilli aucun renseignement précis sur la période carolingienne. Dom Lobineau parlant des années comprises entre 842 et 907 se contente de dire « Mais ce que l'on fit de mieux en

>> temps là, ce fut d'établir des hôpitaux pour les pauvres » et pour les malades (1). » Les générations précédentes n'en avaient pas moins besoin.

L'abbé Travers assure, d'après je ne sais quel témoignage, que l'expédition du roi Gontran contre Waroch, comte de Vannes, en 591, fut suivie de peste et de famine pour le diocèse de Nantes par suite des ravages exercés par les armées. Ce compilateur n'eût pas exagéré en ajoutant que le passage des barbares nommés Hongrois, Sarrasins, Lombards ou Normands, avait renouvelé bien des fois les mêmes fléaux. Les ruines n'étaient rien à côté des souffrances physiques et morales qui accompagnaient chaque invasion. Tous les maux que peut engendrer la brutalité et perpétuer la malpropreté chez un peuple en enfance, sont tombés sur notre malheureux pays et l'ont couvert d'infirmités plus ou moins honteuses, analogues à la lèpre.

Quels sont les caractères de cette lèpre des premiers âges; sont-ils les mêmes que ceux de la lèpre apportée par les Croisades? Il est impossible de les déterminer. Ce mystère est resté impénétrable pour tous ceux qui ont tenté de le sonder. Le mal nommé lèpre à toutes les époques n'ayant jamais été étudié de près par les médecins du moyen-âge qui le regardaient comme incurable, on comprend que les spécialistes de notre époque, privés de documents, soient embarrassés pour se prononcer.

Il nous est surtout connu par la terreur qu'il inspirait.

(1) Hist. de Bretagne, livre II, p. 73.

Joinville nous en a laissé un témoignage dans le récit d'une conversation qu'il eut avec le roi saint Louis. On sait que le pieux Joinville, invité à se prononcer sur une alternative où il aurait à choisir entre le danger d'offenser Dieu et l'affliction d'être lépreux, répondit sans hésiter qu'il aimerait mieux être coupable de trente péchés mortels (1).

La Bretagne n'échappa pas plus que les autres pays à la recrudescence de mal qui se manifesta après les migrations si funestes des Croisades. Le cas de la duchesse Constance qui mourut atteinte de la lèpre nous est un exemple des ravages causés par cet horrible fléau (2).

Les mesures prises alors par l'Eglise et les rois pour préserver les gens sains de la contagion furent poussées jusqu'à la dernière rigueur. Le Code des prohibitions formulées contre les lépreux est connu. Je me bornerai à rappeler que tous les lieux publics, les églises, les hôtelleries, les fontaines et les marchés leur étaient interdits, qu'ils portaient toujours sur eux un signe visible, que leur barbe et leurs cheveux étaient rasés, qu'ils habitaient de pauvres cabanes loin de tout centre de population et qu'ils portaient un vêtement uni. Quand ils quêtaient, ils fichaient leur écuelle sur un bâton devant leur porte.

Je n'ai rien trouvé de particulier en ce qui concerne les usages adoptés en Bretagne lors de séquestration; je suis donc obligé de recourir au rituel commun.

Voici, d'après D. Martène, ce qui se passait le plus généralement en France:

Lorsqu'un homme était suspect de la lèpre, l'official

(1) Histoire de saint Louis, éd. de Wailly, p. 9.
(2) Dictionnaire de Bretagne, d'Ogée, t. I, p. 118.

diocésain le mandait à son tribunal; là, des médecins habiles et assermentés l'examinaient. Si le mal était constaté, l'official prononçait la séparation et faisait publier le jugement au prône de l'église paroissiale. Le dimanche suivant, le curé, en surplis et en étole, et précédé de la croix et du bénitier, allait à la porte de l'église où devait se trouver le lépreux : il l'aspergeait d'eau bénite, et après lui avoir assigné une place séparée à l'église, il célébrait une messe du Saint-Esprit avec l'oraison Pro infirmis. Après la messe, on reconduisait processionnellement le lépreux ou mezel à la cabane qu'on lui avait préparée dans la maladrerie. Le prêtre récitait alors les litanies et donnait successivement au malade les objets suivants, après les avoir bénits: une cliquette, des gants, une pannetière. Ensuite il le consolait et l'exhortait en lui disant : Vous ne vous fâcherez pas pour être sequestré des autres, d'autant que vous aurez part et portion à toutes les prières de notre mère la sainte Eglise, comme si personnellement étiez tous les jours assistant au service divin avec les autres, et quant à vos petites nécessités, les gens de bien y pourvoiront et Dieu ne vous délaissera point. Seulement prenez garde et ayez patience. Dieu demeure

avec vous.

D'après le même auteur, le Rituel de Reims fixa de la manière suivante ce que le lépreux devait avoir avant d'entrer dans sa maisonnette :

« Premier une tartarelle, souliers, chausses, robe de >> camelin, une housse et un chaperon de camelin, deux paires de drapeaux, un baril, un entonnoir, une cour»roie, un couteau, une écuelle de bois.

» Item. On lui doit faire une maison et un puits. Il » doit avoir un lit étoffé de couette, coussin et couverture,

» deux paires de draps de lit, une huche, un écrin fer» mant à clef, une table, une selle, une lumière, un poële, » un aindier, des écuelles à manger, un bassin, un pot à » mettre cuire la chair. »

Après avoir fait les prohibitions d'usage, l'officiant jetait trois pelletées de terre prise dans le cimetière sur le toit de la cabane et plantait une croix devant l'entrée. Il terminait en faisant l'aumône au malheureux reclus et invitait l'assistance à en faire autant. A partir de ce jour, le lépreux ne pouvait sortir de sa borde sans ses vêtements de ladre et sans un congé du curé ou du gouverneur de la maladrerie (1).

Dès qu'il était séparé de la société des fidèles, le lépreux cessait de relever de la juridiction civile et devenait la chose de l'Eglise. L'évêque du diocèse était son juge suprême dans toutes ses causes.

Quel était le règlement intérieur des léproseries en Bretagne ? Aucun document ne nous l'apprend. Il nous faut invoquer les historiens des autres provinces pour avoir quelque idée des relations du gouverneur ou prieur, avec ses subordonnés. J'emprunterai ma citation au règlement de la maladrie de Saint-Ladre d'Amiens:

« Le premier devoir imposé aux frères et sœurs sains » ou malades (dit A. Thierry qui le paraphrase), c'est » une entière soumission au maître ou directeur de l'éta»blissement et une conduite honnête et exemplaire en » tout lieu aussi bien que dans la maison. La communi»cation des personnes saines avec les personnes malades » est interdite par des dispositions rigoureuses, il est dé

(') Cette traduction est empruntée à la Notice sur la Maladrerie de Voley, par M. Ulysse Chevalier, p. 15 et 16.

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