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un tableau du paradis tel qu'il se présenta aux yeux “du sombre roi des enfers, qui vit sans plaisir tous les plaisirs assemblés."

"Parmi l'admirable variété des créatures étranges et nouvelles à ses yeux, deux êtres surtout fixèrent son attention. La stature grande et noble, le front élevé comme celui des habitants du ciel; dans leur dignité naturelle, ils semblaient être les souverains du monde, et paraissaient dignes de leur empire; leurs divins regards, empreints de l'image de leur glorieux Créateur, respiraient tout ce qui fonde sur la terre une vraie puissance, la vérité, la sagesse, la piété pure et même austère; mais de cette austérité qui sied au libre hommage des enfants de l'Eternel. La différence de leur sexe mettait cependant entre eux quelque inégalité: l'un était formé pour la contemplation et le courage; l'autre pour la douceur et les grâces séduisantes; celui-là pour Dieu seul, celle-ci pour l'homme et pour Dieu.

"Un front grand et superbe, un œil sublime annonçaient la suprême autorité du premier; ses cheveux semblables à la fleur d'hyacinthe, descendaient de chaque côté de sa tête, en se bouclant avec noblesse, et allaient se terminer et s'arrondir snr ses larges épaules; la blonde chevelure de l'autre, éparse et flottante en folâtres anneaux, comme ceux de la vigne riante, tombait tout autour, ainsi qu'uu voile, jusqu'au bas de sa taille élégante et svelte.

66 Ils marchaient ainsi dans l'innocence de la nature, ces heureux époux, les plus tendres que l'amour ait jamais unis..... ils marchaient sans éviter les regards de Dieu ou des anges, car ils n'avaient pas l'idée du mal. Ils s'assirent au bord d'une claire fontaine, à l'ombre d'un bocage que caressaient, en murmurant, les vents légers; leur travail les avait disposés à mieux goûter la fraîcheur du zéphir, la douceur du repos, l'agrément d'un salubre repas. A demi couchés sur le gazon semé de fleurs, ils soupèrent de fruits, pleins du nectar que les arbres, qui les environnaient, leur presentaient, et puisèrent à leur soif, dans l'écorce évidée, l'eau limpide de la fontaine ni les doux pro

pos, ni les charmants sourires,* ni les caresses enfantines, ne manquaient à ce festin champêtre; c'était le cortège naturel de ce couple fortuné, réuni à la fois par l'amour et par la solitude. Cependant le soleil précipitait son char incliné vers les îles de l'océan, et, s'élévant avec le bras de la céleste balance, les astres avant-coureurs de la nuit montaient sur l'horizon.

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"O ma douce consolation! ma compagne inséparable!' dit le premier des humains, le Dieu, qui nous a crées, a placé au faîte de la félicité, des êtres qui n'ont rien mérité de sa main : une défense facile à observer est la seule qu'il nous préscrive, unique marque qu'il exige de notre soumission; gardons-nous donc de murmurer d'uue chaîne légère qui borne si peu notre liberté, et laisse encore un si vaste cercle de jouissances au choix illimité de nos désirs. Rendons hommage à notre divin Maître, en suivant l'occupation qu'il nous a donnée, qui, pût-elle être pénible, me serait cependant toujours douce avec toi.'

"Et la plus belle des femmes, les yeux remplis d'un pur amour et d'un doux abandon se penche sur notre premier père, qui presse ses lèvres conjugales de chastes baisers.

"Satan se detourne dévoré de fureur; du coin de son œil jaloux s'échappent de farouches regards, et ces plaintes retentissent dans son sein: 'O spectacle déchirant! Ainsi donc ces deux êtres, emparadisés dans les bras l'un de l'autre, goûtent au sein des délices d'Eden un bonheur plus délicieux encore:† et moi, je suis relégué dans l'horreur d'un cachot, que ne visitent ni la joie ni l'amour; où l'on ne ressent que les langueurs d'un désir irrité sans cesse, et jamais satisfait.'

"For smiles from reason flow,

To brute denied, and are of love the food;
Love, not the lowest end of human life."

Paradise Lost, Book ix.

"Imparadised in one another's arms,

The happier Eden, shall enjoy their fill
Of bliss on bliss!"

Paradise Lost, Book iv.

"La nuit s'approchait, les animaux reposaient sur leur lit de verdure, les oiseaux dans leur nid. La lune, enveloppée à son lever dans une sombre majesté, se dégageait enfin du voile qui couvrait son incomparable lumière, et jetait sur les ténêbres son manteau d'argent :

"Now came still evening on, and twilight grey

Had in her sober livery all things clad.

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Rising in clouded majesty, at length,

Apparent queen, unveiled her peerless light,
And o'er the dark her silver mantle threw."

"O ma belle compagne,' dit Adam à son épouse, 'le repos où la nature est plongée nous invite à goûter la même tranquillité. Dieu a voulu faire succéder le repos au travail, ainsi que la nuit au jour. Voici le moment où le sommeil verse sa rosée; elle presse doucement nos paupières appesanties. Le repos est moins nécessaires aux animaux; errant à l'aventure, leur vie entière est oisive et vagabonde, et Dieu ne tient point compte de leurs actions; mais l'homme a chaque jour son travail marqué, soit de corps, soit d'esprit : c'est là ce qui manifeste la dignité de son espèce, et l'intérêt que prend le ciel à tout ce qui le regarde. Demain avant que la fraîche aurore ait doré l'orient des premiers rayons du jour, il faudra retourner à notre occupation; maintenant jouissons du repos que la nature désire et que la nuit ordonne.'

"Sa compagne lui répondit: Ni l'hâleine de l'aurore, ni le lever éclatant du soleil, ni ses réflets sur la rosée, ni le calme du soir, le retour de la lune auguste, des étoiles scintillantes, ni la promenade à leur douce lumière, sans toi, n'auraient de charme pour mon cœur.'

"S'entretenant ainsi, ils s'avancèrent vers le lieu où était leur charmant berceau. Le Souverain Ordonnateur avait lui-même

disposé cet asile, en y rassemblant tout ce qui put contribuer au bonheur de l'homme. La voûte était un tissu pressé de lauriers, de myrthes, et d'autres plantes à la tige élancée, à la feuille odorante et ferme. L'acanthe et mille arbustes parfumés garnissaient les côtés; ils formaient un mur verdoyant mélangé de roses, de jasmins, d'iris de toutes couleurs, qui élevaient par gradation entre les branches leur têtes diversement nuancées; sous leurs pieds s'étendait une broderie de safran, de violettes et d'hyacinthes: magnifique tapis, au-dessus de la plus belle marqueterie de pierres précieuses. Nul insecte, oiseau, quadrupède ou reptile, n'eût osé pénétrer dans ce lieu, tant l'homme imprimait de respect à tous les animaux !

"Arrivés à l'entrée de l'ombreuse retraite, tous deux se retournent, et tous deux, debout, adorent ce Dieu qui forma cette voûte immense :

“Thus at their shady lodge arrived, both stood,

Both turned, and under open sky adored

The God that made both sky, air, earth, and heaven,
Which they beheld, the moon's resplendent globe,
And starry pole. Thou also makest the night,

Maker Omnipotent, and thou the day,
Which we in our appointed work employed,

Have finished, happy in our mutual help

And mutual love, the crown of all our bliss,

Ordained by thee.'

Hail! wedded love, mysterious law, true source

Of human offspring, sole propriety

In Paradise of all things common else!"

"Les deux époux se tenant embrassés s'endormirent au chant des rossignols; et la voûte fleurie les couvrit de roses, que fit renaître l'aurore du lendemain.”*

*Le Paradis Perdu, Chant iv.

XI.

LE SONGE D'HÉLÈNE.

"And is there care in heaven? and is there love?
In heavenly spirits to these creatures base,
That may compassion of their evils move?
There is :-else still more wretched were the case
Of mortal man: But O! th' exceeding grace
Of highest God, that loves his creatures so,
And all his workes with mercy doth embrace,
That blessed angels he sends to and fro,
To serve to wicked man, to serve his wicked foe?

How oft do they their silver bowers leave,
To come to succour us that succour want!
How oft do they with golden pinions cleave,
The flitting skyes, like flying poursuivant,
Against dark feendes to ayd us militant!
They for us fight, they watch and dewly ward,
And their bright squadrons round about us plant;
And all for love, and nothing for reward:

O why should hevenly God to men have such regard?"
THE FAERIE QUEENE.

L'été fut bientôt remplacé par l'automne, et aux belles journées des vendanges succéderent de nouveau les fortes gêlées d'hiver. Sans manquer à ses devoirs d'épouse et de mère, Hélène travailla à son conte, en attendant le déclin du jour, rendu toujours si heureux par la musique, la poésie, et l'amour. A côté de son époux adoré, madame de Macis oublia tout ce qu'il y a de funeste dans le sort des mortels, mais le temps

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