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(tit. III). Il faut y ajouter le pourvoi en cassation organisé par des lois spéciales. La loi du 20 avril 1810, art. 7, dispose en ces termes : « La justice est rendue souverainement par les cours impériales; leurs arrêts, quand ils sont revêtus des formes prescrites à peine de nullité, ne peuvent être cassés que pour une contravention expresse à la loi. Les arrêts qui ne sont pas rendus par le nombre de juges prescrit, ou qui ont été rendus par des juges qui n'ont pas assisté à toutes les audiences de la cause, ou qui n'ont pas été rendus publiquement, ou qui ne contiennent pas les motifs, sont déclarés nuls. La connaissance du fond est toujours renvoyée à une autre cour impériale. » Il y a là deux principes: 1° celui de la souveraineté judiciaire, de la suprématie des cours impériales; voilà la règle ; 2° l'exception, celle qui permet de faire tomber, de faire annuler leurs arrêts, soit en cas de contravention expresse à la loi, soit en cas d'absence des formes prévues à peine de nullité.

Cette souveraineté des arrêts des cours impériales n'exclut donc pas toute espèce, toute possibilité de moyens d'attaque, et l'art. 7, qui a spécialement en vue la voie du recours en cassation, renferme d'ailleurs dans la généralité de ses termes une autre voie, savoir, la requête civile. Ainsi, au nombre des voies extraordinaires pour attaquer, soit les jugements en dernier ressort des tribunaux d'arrondissements, soit les arrêts souverains, nous avons d'abord la requête civile, qui fait l'objet du titre II du livre IV; ensuite le recours en cassation organisé par des lois spéciales auxquelles le Code de procédure se réfère tacitement, et dont nous parlerons plus tard (V. no 762 et suiv.). Voilà les deux voies extraordinaires que la loi ouvre incontestablement aux parties pour attaquer les arrêts des cours impériales.

* Nous rangerons encore avec la loi, parmi les voies extraordinaires pour attaquer les jugements, la prise à partie dont il est question dans le titre III de ce livre. Mais cette classification est loin d'être admise par tous les auteurs (V. l'art. 516 et son explication no 761) *.

Quant à la tierce opposition, la première des voies extraordinaires que nous indique le livre IV, elle mérite sans doute ce nom à quelques égards, mais non pas à tous égards. En effet, dans la requête civile, dans le pourvoi en cassation, l'emploi de l'une de ces deux voies, lorsqu'il réussit, fait tomber par la rétractation ou par la cassation le jugement ou l'arrêt ainsi attaqué, il le fait tomber pleinement, de manière qu'il faudra procéder par instance nouvelle, entamer un débat nouveau. Au contraire, la tierce opposition n'a pas pleinement, n'a pas complétement ce résultat; la tierce opposition, lors même qu'elle réussit, ne met point au néant le jugement ou arrêt contre lequel elle a été formée. Ainsi, entre les deux parties qui ont figuré dans l'instance, le jugement ou arrêt attaqué par la tierce opposition n'en garde pas moins la plénitude de son autorité; seulement, une atteinte y est portée, une modification s'y opère, en faveur de tiers étrangers à l'instance, auxquels seuls appartient le droit de former tierce opposition.

TITRE I

DE LA TIERCE OPPOSITION.

720. Qu'est-ce que la tierce opposition? quelle est la nature, quel est le but de cette voie de recours?

On pourrait la définir ainsi : C'est un moyen ouvert par la loi à une personne qui n'a pas figuré dans une instance pour attaquer le jugement rendu à la suite de cette instance en tant que ce jugement porte préjudice à ses droits. Voilà à peu près l'idée que l'art. 474 donne indirectement de la tierce opposition.

Lorsque vous rapprochez de cet article ou de cette définition le texte de l'art. 1351 du Code Napoléon, vous trouvez entre ces deux articles une analogie qui, lorsqu'on y réfléchit, devient la source d'une difficulté sérieuse.

Vous connaissez le principe que l'art. 1351 a pour but de consacrer; c'est cette vieille règle: Res inter alios judicata, aliis neque nocere neque prodesse potest: La chose jugée entre certaines parties ne peut ni nuire ni profiter à d'autres parties. En d'autres termes, la chose jugée n'est pas nécessairement l'expression de la vérité : Pro veritate habetur, sed non ideo veritas est. La chose jugée, définitivement jugée, est tenue, est réputée vraie entre les parties qui ont plaidé; elle est réputée vraie, parce qu'il faut en finir, parce qu'un jugement, fût-il mauvais, vaut mieux, à tout prendre, que des procès qui n'auraient pas de fin. Mais, comme ce n'est là qu'une présomption, fondée sur ce que les mêmes parties, en débattant éternellement la même cause, ne produiraient pas de nouveaux moyens, cette présomption se borne, dans ses effets, aux parties qui ont plaidé. Aussi l'art. 1351 vous dit que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'entre les mêmes parties qui ont figuré dans l'instance; voilà du moins la portion de l'art. 1351 à laquelle il faut nous attacher.

De même, dans l'art. 474, la tierce opposition n'est ouverte, pour attaquer le jugement, qu'à celui qui n'a pas été partie. Ainsi, les mêmes conditions, exigées par l'art. 474 pour que la tierce opposition soit reçue, se trouvent exigées également, dans l'art. 1351, pour qu'on puisse décliner l'autorité du jugement. Les mêmes personnes qui, d'après l'art. 1351, pourront chacune dire: Je n'obéirai point à ce jugement, je ne l'exécuterai point parce qu'il est à mon égard res inter alios acta, parce que je n'ai pas pris part aux débats qui l'ont précédé, les mêmes parties, d'après l'art. 474, pourront, si bon leur semble, attaquer ce jugement par la voie de la tierce opposition. L'analogie est donc sensible, mais ici l'analogie, loin de nous aider à comprendre, à expliquer l'une des matières par l'autre, nous conduit au contraire à une difficulté assez grave.

Voici en quoi elle consiste si, d'après l'art. 1351, un jugement rendu entre Pierre et Paul est un fait étranger et par conséquent indifférent à Jacques, on ne comprend guère comment Jacques, d'après l'art. 474, pourra être tenté de former tierce opposition à ce jugement. En effet, former tierce opposition à un jugement, c'est l'attaquer aux termes mêmes de la rubrique du livre IV ; or, à quoi bon, et par quels motifs pourrai-je attaquer un jugement dans lequel je

n'ai pas été partie, puisque, d'après l'art. 1351, ce jugement ne m'est pas opposable? L'intérêt est la mesure des actions; personne n'est donc recevable à venir, à ce qu'il semble, attaquer un jugement qui ne peut avoir contre lui aucun effet. Or la même condition exigée par l'art. 1351 pour que le jugement n'ait pas d'effet contre moi est exigée par l'art. 474 pour que je puisse y former tierce opposition. Première difficulté résultant de cette idée, qu'on ne voit point quel intérêt, quels motifs, et par conséquent quelle qualité je puis avoir pour attaquer un jugement dans lequel je n'ai pas été partie, puisque, d'après l'art. 1351, ce jugement ne peut avoir pour moi ni bons ni mauvais effets. Cette contradiction, qui se rencontre au fond des idées, quand on rapproche les art. 1351 et 474, se retrouve également dans la lettre de ces articles. Ainsi, d'après l'art.1351, le jugement rendu entre Pierre et Paul n'est pas opposable à Jacques qui est étranger à la cause, et, d'après l'art. 474, une partie peut former tierce opposition à un jugement dans lequel elle n'a pas figuré, et qui préjudicie à ses droits; mais il semble que, d'après l'art. 1351, le jugement dans lequel je n'ai pas figuré comme partie, ne peut pas préjudicier à mes droits. Comment donc peuvent concourir les deux conditions, contradictoires à ce qu'il semble, de l'art. 474 ?

Cette difficulté n'est pas nouvelle, plusieurs jurisconsultes l'ont aperçue, mais la contrariété même des solutions qu'ils ont données atteste assez la gravité de la difficulté. Merlin, dans son Répertoire, au mot Opposition tierce, se pose la question, et, combinant l'art. 1351 avec l'art. 474, il arrive au résultat que voici : Comme d'après l'art. 1351 un jugement rendu entre Pierre et Paul ne peut produire aucun effet à l'égard de Jacques, Jacques, dit-il, n'aura jamais besoin de former tierce opposition à ce jugement; l'obliger à attaquer par tierce opposition un jugement dans lequel il n'a pas été partie, ce serait reconnaître, contrairement à l'art. 1351, que ce jugement peut avoir quelque effet à son égard. Or, dit-il, la tierce opposition est une voie purement facultative; Jacques pourra, si bon lui semble, employer cette voie contre le jugement rendu entre Pierre et Paul; mais il pourra aussi, s'il le préfère, s'en abstenir, se bornant à dire, quand on invoquera contre lui ce jugement: Je n'y ai pas figuré, ce jugement m'est étranger; se bornant à répéter: Res inter alios judicata aliis neque nocere neque prodesse potest. En deux mots, la tierce opposition, dans ce système, ne ferait que double emploi avec le principe général de l'art. 1351; et, au lieu de me porter tiers opposant, conformément au Code de procédure, je pourrais me borner à dire à quiconque invoquerait contre moi l'autorité d'un jugement: Je n'y ai pas plaidé, vous ne pouvez invoquer ce jugement contre moi. Cette opinion trouverait d'ailleurs à s'appuyer, au besoin, sur les expressions de l'art. 474, qui sont en effet facultatives. J'examinerai si ce système est exact; s'il peut se concilier avec l'esprit, et même avec le texte de la loi, dans ce premier titre.

Mais, avant d'entrer dans cet examen, je dois vous avertir que la même question, soulevée par un autre jurisconsulte contemporain, a reçu une solution différente. Ainsi, suivant Merlin, la tierce opposition est purement facultative. D'autre part, Proudhon, Traité de l'usufruit, prétend que la tierce opposition est la mise à exécution nécessaire, inévitable, de l'art. 1351. En d'autres termes, toutes les fois qu'une partie, Jacques, dans notre espèce, contre qui est invoquée la disposition d'un jugement dans lequel elle n'a pas figuré, toutes les fois que cette partie prétend se retrancher derrière sa qualité de tiers, derrière l'ar

ticle 1353, Proudhon soutient que cette partie, pour établir que le jugement lui est étranger, et qu'en conséquence on ne peut pas le lui appliquer, doit employer la procédure de la tierce opposition telle qu'elle est réglée par le Code de procédure.

Ainsi, suivant Merlin, on sera toujours libre de ne pas former tierce opposition; suivant Proudhon, au contraire, il faudra, dans tous les cas où l'on voudra se prévaloir de l'art. 1351, se soumettre à la voie de la tierce opposition: dans le premier système, elle est purement libre, purement facultative; dans l'autre, elle est forcée, nécessaire, inévitable.

Sans entrer pour le moment dans le fond de la question, c'est-à-dire sans examiner ce que l'on peut faire, selon moi, de la tierce opposition, je crois qu'il est facile de répondre en peu de mots à cette dernière opinion, et de montrer que la tierce opposition n'est pas, comme on le dit, la procédure nécessairement imposée à quiconque veut se prévaloir de l'art. 1351. A cet égard, la démonstration est assez facile. En effet, dire que toute personne qui, d'après l'art. 1351, décline l'autorité d'un jugement invoqué contre elle doit par là même invoquer la tierce opposition, c'est dire que la tierce opposition est une voie établie pour expliquer, pour interpréter un jugement: Exemple. Vous invoquez contre moi, vous, Pierre, un jugement que vous avez obtenu contre Paul; mais, comme vous prétendez que je suis le représentant de Paul, voulez-vous par là même m'appliquer la disposition de ce jugement. Je dis, moi, que je ne suis pas le représentant de Paul, que je n'ai été partie dans l'affaire, ni par moi, ni par les miens; en conséquence, je décline l'autorité du jugement.

Quelle est donc la question? Il s'agit de savoir si le jugement s'applique ou ne s'applique pas à moi, si j'ai figuré ou si je n'ai pas figuré dans l'instance qui l'a précédé ; en d'autres termes, la question est une question d'application, d'interprétation de ce jugement. Mais la question ainsi posée n'est pas une question d'attaque, un moyen de réformation ou de rétractation de ce jugement. Quand je discute avec Pierre pour savoir si j'ai pris ou si je n'ai pas pris part aux débats qui ont précédé la sentence, pour savoir si le jugement s'applique ou ne s'applique pas à moi, je n'attaque pas le jugement, je me borne à en discuter le sens. Or la tierce opposition n'est pas un moyen d'explication, d'interprétation du jugement, c'est (la rubrique du livre en fait foi) un moyen pour attaquer le jugement. Ainsi, première objection contre ce système, c'est qu'il dénature le sens du mot tierce opposition, en supposant que ce que la loi me donne comme moyen d'attaque n'est qu'un moyen d'interprétation.

Surabondamment, et toujours dans la même idée, les art. 475 et 476 achèvent de démontrer le vice de cette idée: vous y verrez que la loi ne permet pas de porter la tierce opposition incidente à un tribunal inférieur à celui qui a rendu le jugement attaqué. Elle permet donc de la porter à un tribunal différent, pourvu que ce tribunal soit le supérieur, ou au moins l'égal de l'autre; mais elle ne permet pas que, dans aucun cas, la tierce opposition se débatte devant un tribunal inférieur. Pourquoi? Evidemment parce qu'il s'agit, non pas d'expliquer, d'interpréter le jugement, mais de le réformer, au moins en ce qui me touche. S'il ne s'agissait, dans la tierce opposition, que d'interpréter le jugement, peu importerait le degré du tribunal devant lequel elle est portée; il faudrait la porter, autant que possible, devant le tribunal qui a rendu le jugement. Eh bien la loi n'exige pas que la tierce opposition, au moins quand elle est

incidente, se porte devant le tribunal qui a rendu le jugement; mais elle ne permet jamais qu'elle se débatte devant un tribunal inférieur. Pourquoi ? C'est que la tierce opposition est un moyen de faire tomber, au moins en partie, le jugement contre lequel elle est dirigée, c'est qu'elle est un moyen d'attaque, et non pas un moyen d'interprétation; par conséquent, le système précédent qui n'en fait absolument que la mise à exécution de l'art. 1351 est tout à fait contraire à l'idée même du Code de procédure.

Un dernier argument sur ce système. Dire que toute personne contre laquelle on invoque l'autorité d'un jugement, et qui prétend qu'elle n'a pas figuré dans les débats qui ont amené la sentence, dire que cette personne doit former tierce opposition, c'est-à-dire doit démontrer, comme le prétend ce système, qu'elle n'a pas été représentée, par elle ou par les siens, dans ce jugement, c'est violer manifestement le principe de l'art. 1315 du Code Napoléon sur les preuves. En effet, d'après cet article, quiconque invoque une obligation, quiconque allègue un fait, doit prouver la réalité de ce fait. Ainsi, quiconque vient invoquer contre moi l'autorité d'une sentence rendue à son profit doit prouver, en cas de contestation, que cette sentence s'étend et s'applique à celui contre qui il l'invoque. Quiconque se prévaut, en un mot, de l'autorité de la chose jugée, qui est une véritable présomption renfermée dans l'art. 1350 du Code Napoléon, doit prouver que la chose jugée qu'il invoque renferme des conditions énumérées dans l'art. 1351, c'est-à-dire que la chose a été jugée contre la partie à laquelle il l'oppose. Au contraire, dans le système que je combats, ce serait à celui contre lequel on invoque l'autorité d'un jugement à prouver que ce jugement ne s'applique point à lui; ce serait à lui à prendre contre ce jugement pour en discuter le sens, la procédure de la tierce opposition; c'est-à-dire : 1° qu'il prendrait à sa charge le fardeau de la preuve, qui, aux termes de l'art. 1315, doit rester à la charge de son adversaire; 2o qu'il serait enlevé aux tribunaux naturellement compétents pour être livré à la compétence exceptionnelle des articles 475 et 476; 3° qu'il subirait, enfin, s'il succombait, l'amende portée par

l'art. 479.

Ainsi à cette question ainsi posée : puisque la partie, restée étrangère à un jugement dont on veut invoquer l'autorité contre elle, peut se contenter de répondre: Res inter alios judicata aliis neque nocere neque prodesse potest, à quoi bon prendre à sa charge le fardeau de la tierce opposition? Deux réponses toutes différentes ont été faites:

L'une consiste à dire que la tierce opposition n'est en effet, dans tous les cas, qu'une voie purement facultative, que la partie qui décline l'autorité d'un jugement peut se borner à répondre, avec l'art. 1351, qu'elle n'y a pas figure; sauf à l'autre partie à lui prouver le contraire.

Dans l'autre système, au contraire, on prétend que, toutes les fois qu'une par tie à laquelle on oppose le texte d'un jugement soutient n'avoir pas figuré dans cette instance, cette partie, pour établir, pour prouver cette allégation, pour montrer qu'elle est étrangère au jugement invoqué contre elle, doit employer la voie de la tierce opposition.

Je viens de démontrer que ce dernier système est contraire, soit à la rubrique générale de ce livre, soit aux principes mêmes de la matière qui va nous occuper. Faut-il en conclure que le système contraire doit être suivi? faut-il dire, avec

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