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A cet égard, la rédaction de l'art. 1018 n'est pas aussi précise qu'on pourrait le désirer; elle ne trace pas d'une manière assez formelle quelle est la position exacte du tiers arbitre dont nous venons de parler. D'une part, dans les derniers mots de l'art. 1017, vous avez vu que les deux arbitres divisés devaient rédiger chacun un procès-verbal énonçant leur avis et les motifs de cet avis. La rédaction de ce procès-verbal, contenant l'avis de chacun d'eux, paraît mener à conclure que, d'abord, chacun d'eux est désormais obligé de conserver cet avis, et que, en second lieu, c'est seulement entre les avis qui les ont divisés que l'arbitre départiteur peut opter; en d'autres termes, que, désormais, le jugement à intervenir ne peut être que l'un ou l'autre des deux avis entre lesquels le tribunal arbitral s'est primitivement divisé. Telle est la conséquence, non pas forcée, mais du moins assez naturelle, qu'on est porté à tirer des derniers mots de l'art. 1017. Cette même conséquence s'appuie, d'une manière plus directe et plus précise, sur les derniers mots de l'art. 1018: « Si tous les arbitres ne se réunissent pas, le tiers arbitre prononcera seul ; et néanmoins il sera tenu de se conformer à l'un des avis des autres arbitres. >>

D'autre part, ces mots du § 1er de l'art. 1018: il sera tenu de juger, il ne pourra prononcer, semblent bien conférer à l'arbitre départiteur, et lui conférer exclusivement le pouvoir de statuer sur la cause. Il semble que dès ce moment la mission des arbitres primitivement partagés soit finie, et que la mission du départiteur consiste à prononcer seul entre les deux avis qui ont partagé les premiers arbitres.

Cependant les derniers mots de l'art. 1018, sur lesquels s'appuie notamment cette conséquence, ne sont pas tout à fait probants, car vous voyez bien ce que dit le second paragraphe de cet article: Si tous les arbitres ne SE RÉUNISSENT pas, le tiers arbitre prononcera seul. Or, dit-on, à contrario, si les arbitres d'abord divisés se réunissent sur la sommation qui leur est faite pour conférer avec le nouvel arbitre, ce dernier ne prononce pas seul; s'ils se réunissent, le jugement émanera de tous trois; tous trois devront délibérer et voter; et, si l'on veut que tous trois votent, c'est que, apparemment, tous trois peuvent énoncer un avis. Et quant aux derniers mots du même paragraphe, d'après lesquels le tiers arbitre est obligé d'opter entre l'un des deux avis résumés dans les procès-verbaux, on pourrait les référer au cas dont s'occupe ce second paragraphe, c'està-dire au cas où les arbitres sommés ne se sont pas réunis pour conférer avec le troisième.

En résumant cette difficulté, qui est assez sérieuse, mettons d'abord de côté ce qui est clair, incontestable, pour laisser bien séparé ce qui peut être problématique.

Il est bien certain que les arbitres divisés, ayant rédigé chacun leur avis, conformément aux derniers mots de l'art. 1017, doivent être sommés de venir conférer avec le départiteur; que, s'ils n'obéissent point à cette sommation, s'ils ne se réunissent pas pour conférer avec le tiers arbitre, le jugement émanera du tiers arbitre tout seul, qui décidera la contestation, mais ne pourra la décider que de l'une des deux manières proposées par les arbitres entre lesquels a éclaté le partage. En un mot, la mission de juger exclusivement, mais en se renfermant dans l'un des deux avis déjà proposés, appartient au tiers arbitre, lorsque les arbitres divisés ne viennent pas conférer avec lui.

Le doute se concentre donc sur le cas où les deux arbitres sommés de s réunir se sont en effet réunis au troisième, et où, après la conférence qui a lieu entre les trois arbitres, un nouvel avis serait proposé, avis tout à fait étranger à celui des deux premiers arbitres. Dans ce cas, les arbitres déjà divisés pourraientils se ranger à une troisième opinion avec le départiteur, et rendre ainsi un jugement nouveau, qui serait ensuite unanime? C'est là que peut naître le doute, parce que les derniers mots de l'art. 1018 ne se rapportent point d'une manière catégorique à la totalité de l'article; parce que ces derniers mots nese lient, d'une manière bien évidente, qu'au cas prévu dans le second paragraphe, c'est-à-dire au cas où les arbitres sommés ne se sont pas réunis pour conférer avec le troisième.

Cependant, tout en reconnaissant que dans cette hypothèse la question peut être débattue, j'inclinerais à penser que, dans tous les cas, le tiers départiteur ne peut opter qu'entre l'une ou l'autre des deux opinions constatées dans le procès-verbal rédigé d'après l'art. 1017, § 3; que, dans tous les cas, ce procès-verbal rédigé par chaque arbitre fait désormais loi pour lui; que les arbitres partagés ne peuvent plus désormais varier, et qu'ils sont appelés par l'art. 1018, non pas pour changer d'avis, mais chacun pour débattre, pour soutenir, pour développer les motifs du sien. Je m'appuierais surtout sur l'ensemble du § 1 de l'art. 1018. qui paraît conférer au tiers départiteur, d'une manière exclusive, le droit de juger et de prononcer. En effet, vous dit-il, « le tiers arbitre sera tenu de juger dans le mois, du jour de son acceptation, à moins que ce délai n'ait été prolongé par l'acte de la nomination: il ne pourra prononcer qu'après avoir conféré avec les arbitres divisés, qui seront sommés de se réunir à cet effet. » Donc, dans tous les cas, c'est-à-dire même en cas de réunion des arbitres d'abord divisés, ce ne sont pas les trois arbitres qui votent, qui jugent, qui prononcent c'est le tiers arbitre tout seul qui, après en avoir conféré avec les autres, rend un jugement, rend une décision qui ne peut être que l'une des deux constatées dans le procès-verbal (1).

*Il faut d'ailleurs décider que, si les deux premiers arbitres ont été partagés sur plusieurs chefs, sur plusieurs questions, le tiers arbitre ne sera pas obligé d'adopter ou toutes les solutions de l'un ou toutes les solutions de l'autre. Ainsi sur les six questions qui avaient partagé les deux premiers arbitres, il pourra adopter l'opinion du premier arbitre sur une ou quelques-unes des ques tions, et l'opinion du deuxième arbitre sur les autres (2).

(1) * Cette opinion est bien rigoureuse. Sans doute, si les arbitres refusent de venir conférer avec le tiers arbitre, ce dernier devra s'en tenir à l'un des deux avis des arbitres, Mais s'ils viennent, si le tiers arbitre leur démontre que ni l'un ni l'autre de leurs avis primitifs n'est juste, s'ils pensent maintenant tous les trois qu'un troisième avis serait bien préférable, il me semble déraisonnable de ne pas permettre aux premiers arbitres de reconnaitre leur erreur et de changer d'avis. D'ailleurs, le deuxième alinéa de l'art. 1018 n'ordonne au tiers arbitre de se conformer à l'avis de l'un des arbitres divisés, que s'il n'y a pas réunion entre eux. C. de Grenoble, 31 juillet 1830 (Dall., Rép., vo Arbitrage,

n° 849).

1847, 4, 22).

Montpellier, 19 mai 1845 (Dall., 1845, 4, 30).

1856, 2, 106).

Paris, 20 juin 1819 (Dall., 1851, 2, 162).

Caen, 25 décembre 1846 Dall,

--

Paris, 21 avril 1855 (Dail..

Contrà, Grenoble, 12 août 1826 (Dall., Rép., vo Arbitrage, no 703).

(2) Cass., Rej., 11 février 1824 et 17 novembre 1830. (Dall., Rép., vo Arbitrage, no 863, 1175 et 854).

C. de Paris, 5 décembre 1831

Dans le mois... A peine de nullité; car après ce délai, le tiers arbitre est sans pouvoir (1); à moins que..... etc.

+

1199. « Art. 1019. Les arbitres et tiers arbitres décideront d'après les règles du droit, à moins que le compromis ne leur donne pouvoir de prononcer comme amiables compo

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Ce que l'art. 1009 décide pour la procédure de l'arbitrage, l'art. 1019 le décide sur le fond. En principe, les arbitres sont forcés de suivre les formes ordinaires, si le compromis ne les en dispense pas : voilà l'art. 1009. De même, en principe, les arbitres sont forcés de décider le fond de la cause conformément aux règles du droit, si les parties ne les ont autorisés à le décider comme amiables compositeurs, c'est-à-dire ne les ont autorisés à consulter plutôt l'équité, la raison naturelle, l'avantage commun des deux parties, que les règles strictes et littérales du droit. C'est là une de ces hypothèses, si fréquentes en droit romain, heureusement assez rares dans le nôtre, dans lesquelles nous voyons l'équité mise en opposition avec le droit.,

Nous avons vu, dans l'art. 1010, qu'en principe tout jugement arbitral était sujet à l'appel; que cependant les parties pouvaient d'avance renoncer au droit d'appeler. Quand cette renonciation est explicite et formelle, elle est certainement valable. Mais n'y a-t-il pas, dans la clause prévue dans les derniers mots de l'art. 1019, un abandon implicite du droit d'appel? Autoriser les arbitres à statuer, non pas d'après le droit, mais d'après l'équité, comme amiables compositeurs, n'est-ce pas s'interdire le droit d'appeler de leur sentence?

Ce point est contesté; je crois cependant qu'il faut adopter l'affirmative. On ne concevrait guère quelle pourrait être la mission du tribunal d'appel; on ne comprendrait guère qu'une cour impériale pût être chargée, par l'appel d'un jugement arbitral, d'examiner si le jugement qu'on attaque est conforme à des règles de convenance, d'équité, essentiellement arbitraires, et qu'elle n'a pas qualité, qu'elle n'a pas mission pour apprécier; les parties, en conférant aux arbitres la qualité d'amiables compositeurs, en leur permettant de décider contrairement à des lois formelles, se sont placées par là même dans l'impossibilité d'appeler de leur sentence, puisque cette mission qu'elles ont donnée à des arbitres est ici absolument inapplicable de la part d'une cour impériale (2).

Au reste, sauf cette qualité d'amiables compositeurs, dont l'art. 1019 détermine les effets, ils doivent, dit la loi, appliquer les règles du droit; ils doivent les appliquer non-seulement quant au fond, quant au principal de la cause, mais aussi quant aux conséquences, quant aux accessoires que doit entraîner leur jugement.

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(1) C. de Nimes, 30 janvier 1812 (Dall., Rép., vo Arbitrage, no 808). Agen, 6 décembre 1844 (Dall., 1845, 2, 74). - Contrà, Rouen, 21 décembre 1808 (Dall., Rép., vo Arbi

trage, eod.).

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(2) C. d'Agen, 8 décembre 1815. Nancy, 26 décembre 1825. Colmar, 28 août 1826. Bourges, 24 mai 1837. - Bastia, 10 mars 1841. Nimes, 27 avril 1841 (Dall., Rép., vo Arbitrage, no 1028). - Paris, 25 août 1847 (Dail., 1849, 2, 60). Caen, 6 mars 1849 (Dall., 1849, 2, 177). — Contrà, Metz, 22 juin 1818. - Toulouse, 5 mars 1825. deaux, 13 janvier 1827. Rouen, 22 avril 1834 (Dall., Rép., vo Arbitrage, no 1827). Bordeaux, 20 mai 1845 (Dall., 1849, 5, 16).- Toulouse, 15 juillet 1848 (Dall., 1849,2, 61).

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Bor

Ainsi, s'agit-il devant les arbitres des matières énumérées dans l'art. 135 du Code de procédure? Les arbitres pourront et devront faire ce que ferait alors un tribunal ordinaire; c'est-à-dire prononcer, s'il y a lieu, l'exécution provisoire de leur jugement, malgré l'appel. C'est une conséquence que l'art. 1024 vient confirmer en se joignant à l'art. 1019.

De même, les arbitres doivent appliquer les art. 130 et 131 relatifs soit à la condamnation aux dépens à l'égard de la partie qui succombe, soit à la compensation des dépens dans les cas prévus par l'art. 131.

Enfin, et ce dernier point peut seul présenter quelque difficulté, les arbitres, dans les cas prévus par les art. 2059, 2060 et suivants du Code Napoléon, et par l'art. 126 du Code de procédure, doivent appliquer la contrainte par corps, s'il y a lieu. Ce point pourrait être débattu. Comme, en principe, la contrainte par corps ne dérive que de la loi, comme elle n'est pas dans le domaine privé, comme un débiteur ne peut pas, même par sa volonté formelle, s'obliger par la voie de la contrainte par corps, on pourrait contester aux arbitres, dont toute l'autorité dérive de la volonté des parties, le droit d'appliquer cette contrainte. Mais cet argument, appuyé sur l'art. 2063 du Code Napoléon, ne serait cependant point convaincant. En effet, si, dans l'un des cas prévus par les trois articles que j'ai cités, les arbitres prononcent la contrainte par corps, ils ne la prononcent pas directement, en vertu de la volonté des parties : ils tiennent de la volonté des parties le pouvoir et le droit de les juger; puis, s'ils estiment que la cause, que l'obligation est une de celles que la loi sanctionne par la contrainte par corps, ils pourront ou devront prononcer la contrainte, non point en vertu de l'autorité des parties, mais en vertu de l'autorité de la loi (1).

Il y a, au reste, dans le Code Napoléon, un argument de nature à lever tous les doutes. Vous verrez, au titre des hypothèques, que l'hypothèque générale ne peut être consentie par les parties, que l'hypothèque conventionnelle est nécessairement spéciale, c'est-à-dire ne peut s'appliquer qu'à des immeubles présents et déterminés; que, au contraire, l'hypothèque générale ne peut résulter que de la loi ou des jugements. Eh bien! dans l'art. 2123, vous lisez que les décisions arbitrales emportent hypothèque sur les biens du débiteur condamné, absolument comme les jugements des tribunaux proprement dits. Ainsi quoique les parties ne puissent pas, par une convention spéciale, soumettre leurs biens futurs à une hypothèque générale, cependant cette hypothèque générale dérivera, comme hypothèque judiciaire, des jugements arbitraux rendus en vertu d'un compromis signé par les parties. Eh bien ! nous dirons de même, en fait de contrainte par corps, les parties ne pourraient pas, par une convention directe, se soumettre à la contrainte par corps, hors des cas prévus par la loi; mais, si elles ont consenti un compromis et subi une condamnation arbitrale pour l'une des causes à la sûreté desquelles la loi a attaché la contrainte par corps, la contrainte par corps sera la conséquence légale de ce jugement arbitral, comme l'hypothèque judiciaire en serait la conséquence aux termes de l'art. 2123.

C'est en ce sens que, d'après l'art. 1019, les arbitres devront non-seulement quant au fond, quant au principal de la cause, mais aussi quant à ses détails, ses

(1) Cass., Rej., 1er juillet 1823 (Dall., Rép., vo Arbitrage, no 998).

conséquences, ses accessoires, appliquer les règles du droit le tout, bien entendu, sauf convention formelle et contraire des deux parties.

1200. La force du jugement arbitral se rattache tout entière au principe de l'art. 1134 du Code Napoléon; c'est de la convention des parties capables de contracter, convention portant sur des matières susceptibles de faire l'objet d'un compromis, c'est de cette convention que dérive toute la puissance du jugement arbitral. Mais, par là même que cette autorité se rattache à une convention privée, il est sensible que le jugement arbitral n'a de force et d'effet que comme convention privée, c'est-à-dire qu'il n'emporte pas la puissance exécutoire qui n'est attachée par la loi qu'aux jugements proprement dits. De là, la disposition de l'art. 1020, qui n'est elle-même qu'une conséquence du principe général de l'art. 545. Si, pour les décisions émanées des tribunaux véritables, la puissance exécutoire ne s'attache qu'à l'insertion de la formule, si, de plus, il est évident que les arbitres, qui sont des personnes privées, n'ont pas qualité pour revêtir leur décision de cette formule, il est clair que le recours à l'autorité judiciaire est indispensable pour arriver à l'exécution forcée des jugements arbitraux. Ainsi s'expliquent, au moins dans leur principe, les art. 1020 et 1021.

:

Art. 1020. Le jugement arbitral sera rendu exécutoire par une ordonnance du président du tribunal de première instance dans le ressort duquel il a été rendu à cet effet, la minute du jugement sera déposée dans les trois jours, par l'un des arbitres, au greffe du tribunal. — S'il avait été compromis sur l'appel d'un jugement, la décision arbitrale sera déposée au greffe de la cour impériale, et l'ordonnance rendue par le président de cette - Les poursuites pour les frais du dépôt et les droits d'enregistrement ne pourront être faites que contre les parties. »

cour.

« Art. 1021. Les jugements arbitraux, même ceux préparatoires, ne pourront être exé cutés qu'après l'ordonnance qui sera accordée, à cet effet, par le président du tribunal, au bas ou en marge de la minute, sans qu'il soit besoin d'en communiquer au ministère public; et sera ladite ordonnance expédiée en suite de l'expédition de la décision. — La connaissance de l'exécution du jugement appartient au tribunal qui a rendu l'ordonnance.»

Vous connaissez le principe; quant au mode d'exécution, il est fort simple; les arbitres, ou l'un d'eux, ou enfin l'une des parties (car les termes de l'art. 1020 n'ont à cet égard rien de limitatif), déposent au greffe du tribunal, dans le ressort duquel a été rendue la sentence, la minute du jugement auquel l'ordonnance d'exécution doit être apposée.

Cette ordonnance d'exécution doit être accordée, non point par le tribunal entier, mais le président seul; elle doit l'être, en principe, par le président du tribunal civil, et non pas par le juge de paix ou par les juges de commerce, même dans les cas où il s'agit d'une contestation qui, de sa nature, rentrait dans la compétence des tribunaux de paix ou de commerce. En effet, les juges de paix et les juges de commerce, encore bien qu'imprimant à leurs propres décisions la puissance exécutoire, ne sont néanmoins, comme nous l'avons dit bien des fois, que des juges d'exception; c'est donc seulement à leurs sentences, ce n'est jamais aux sentences arbitrales, même rendues dans des matières de leur compétence habituelle, qu'ils seront appelés à imprimer la force exécutoire par l'apposition de l'ordonnance (1).

(1) C. de Rennes, 4 juillet 1811.-Cass., 14 juin 1831 (Dall., Rép., vo Arbitrage, no 1177).

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