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TITRE IX

DE LA SÉPARATION DE CORPS ET DU DIVORCE (C. D.).

1115. * Les rédacteurs du Code Napoléon avaient établi simultanément le divorce et la séparation de corps (liv. I, tit. IV), comme des remèdes contre les unions mal assorties. Le divorce, qui rompait complétement le lien conjugal, permettait aux époux divorcés de contracter de nouvelles unions; par la séparation de corps, qui supprime la vie commune et la société de biens entre les époux, le lien conjugal est relâché, mais non brisé. Le mari et la femme ne sont pas libres, et la loi espère toujours entre eux une réconciliation.

Les rédacteurs du Code de procédure, en écrivant le titre dont nous avons à nous occuper, n'ont pas eu l'intention de régler d'une manière complète la procédure du divorce et celle de la séparation de corps. A l'égard du divorce, le Code Napoléon était entré dans tous les détails de la procédure à suivre (art. 234 et suiv.), et l'art. 881 du Code de procédure se borne purement et simplement à renvoyer à cet égard aux dispositions du Code Napoléon. Le divorce a, d'ailleurs, été aboli par une loi du 8 mai 1816; et toutes les tentatives qui ont été faites pour le rétablir sont restées infructueuses.

Quant à la séparation de corps, l'art. 307 du Code Napoléon la soumet aux mêmes formes que toute autre affaire civile; et le Code de procédure (art. 879) contient une disposition analogue. Quel est donc l'objet de notre titre ? Il a simplement pour but de prescrire quelques mesures à l'effet de prévenir, s'il est possible, la séparation entre les époux, et, lorsqu'elle a été prononcée, de donner de la publicité au jugement de séparation de corps, qui entraîne séparation de biens.

« Art. 875. L'époux qui voudra se pourvoir en séparation de corps sera tenu de présenter au président du tribunal de son domicile, requête contenant sommairement les faits; il y joindra les pièces à l'appui, s'il y en a.

Tout époux, avant de former sa demande en séparation de corps, doit s'adresser au président du tribunal de son domicile, c'est-à-dire du domicile commun (art. 108, C. N.). La requête contient les faits sur lesquels est basée la demande en séparation. Ces faits sont ceux qui pouvaient donner lieu au divorce pour cause déterminée (art. 306, C. N.), c'est-à-dire l'adultère de la femme (art. 229, C. N.), l'adultère du mari lorsqu'il a tenu sa concubine dans la maison commune (art. 230, C. N.), les excès, sévices ou injures graves de l'un des époux envers l'autre (art. 231, C. N.), et la condamnation de l'un des époux à une peine infamante (art. 232, C. N.).

« Art. 876. La requête sera répondue d'une ordonnance portant que les parties comparaitront devant le président au jour qui sera indiqué par ladite ordonnance. »

« Art. 877. Les parties seront tenues de comparaître en personne, sans pouvoir se faire assister d'avoués ni de conseils. >>

La loi appelle les deux époux en conciliation devant le président du tribunal.

On a choisi un magistrat plus élevé que le juge de paix ordinairement chargé des tentatives de conciliation, afin qu'il eût plus d'influence pour prévenir, s'il est possible, un procès qui ne peut être qu'affligeant pour les époux, pour leurs familles, pour la société tout entière. Les époux doivent comparaître devant lui sans intermédiaire; les représentations qu'il leur fera perdraient leur efficacité en passant par l'intermédiaire d'un tiers.

1116. « Art. 878. Le président fera aux deux époux les représentations qu'il croira propres à opérer un rapprochement; s'il ne peut y parvenir, il rendra, ensuite de la première ordonnance, une seconde portant qu'attendu qu'il n'a pas pu concilier les parties, il les renvoie à se pourvoir, sans citation préalable au bureau de conciliation; il autorisera par la même ordonnance la femme à procéder sur la demande, et à se retirer provisoirement dans telle maison dont les parties seront convenues, ou qu'il indiquera d'office; il ordonnera que les effets à l'usage journalier de la femme lui seront remis. Les demandes en provision seront portées à l'audience. »

Si les exhortations du président ne peuvent opérer une réconciliation, il constatera qu'il n'a pu concilier les parties, et les renverra à se pourvoir, sans citution préalable au bureau de conciliation, c'est-à-dire que l'époux demandeur assignera l'autre directement devant le tribunal, sans qu'il soit nécessaire d'essayer devant le juge de paix une conciliation que le président n'a pu effectuer (1). Si le mari sommé de comparaître devant le président ne se présente pas, son absence n'empêche pas la délivrance de l'ordonnance par laquelle le président peut autoriser la demande de la femme. Ce magistrat pourra toujours faire à la femme telles représentations et observations qu'il jugera convenables; mais si la femme persiste dans son projet de former une demande en séparation de corps, l'absence du mari pourra être considérée comme un refus de se concilier, et la femme sera autorisée à se pourvoir devant le tribunal compétent.

Le président peut autoriser la femme à quitter pendant le procès le domicile conjugal et à se retirer provisoirement dans un lieu convenu entre les parties et désigné d'office par le président, par exemple chez les père et mère de la femme. Cette ordonnance du président n'est, suivant moi, qu'un acte de juridiction gratuite, et, par conséquent, ne peut être frappée d'appel (2).

Mais le président n'a pas mission de statuer sur la demande en provision alimentaire faite par la femme contre le mari pour la durée du procès, afin qu'elle puisse subvenir à ses besoins lorsqu'elle est autorisée à quitter le domicile conjugal. Ces demandes de provision sont portées à l'audience. Ces demandes ont une certaine importance. Le procès de séparation de corps peut durer longtemps. Il y aura une première instruction, des conclusions et des plaidoiries tendant à l'admission ou au rejet de la preuve des faits; si elle est admise, il faudra procéder à l'enquête, qui donnera lieu ensuite à des débats sur la portée et la valeur des dépositions, enfin à des débats sur le fond. Chacun des jugements

(1) Une virgule mal placée entre le mot préalable et les mots au bureau de conciliation avait fait d'abord supposer à tort que le président devait renvoyer au bureau de conciliation, sans citation préalable. Cette interprétation est unanimement repoussée aujourd'hui.

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(2) C. de Paris, 22 février 1861 (Dall., 1862, 2, 90). — Contrà, C. de Cass., Rej., 15 février 1859 (Dall., 1859, 1, 201). - V. aussi toutes les autorités citées dans Dall. 1859, 1, 202).

qui interviennent sur les incidents ou sur le fond est susceptible d'appel. C'est pour toute la durée de ces instances devant le tribunal et devant la cour que la femme autorisée à se retirer du domicile conjugal obtiendra une provision proportionnée à ses besoins et à la fortune du mari.

1117. « Art. 879. La cause sera instruite dans les formes établies pour les autres demandes et jugée sur les conclusions du ministère public. »

Cet article reproduit la disposition de l'art. 307 du Code Nap.; on ajoute seulement que le ministère public donnera ses conclusions. Mais l'art. 83 du Code de procédure exigeait déjà la communication au ministère public des affaires qui concernent l'ordre public et l'état des personnes. Parmi ces affaires figure la séparation de corps.

L'art. 879 n'introduit donc aucune procédure particulière pour l'instruction de ces affaires.

L'époux qui demande la séparation de corps a dû, dans la requête adressée au président aux termes de l'art. 874, articuler les faits sur lesquels il prétend appuyer sa demande. En cas de non-conciliation devant le président, la demande est formée par exploit d'huissier. L'époux demandeur doit prouver les faits sur lesquels il appuie sa demande, même en cas de défaut du défendeur. Vainement considérerait-on ce défaut comme un acquiescement tacite. Le défendeur ne peut acquiescer; toute séparation volontaire est nulle.

Si les faits articulés sont pertinents et admissibles, et qu'ils ne soient pas prouvés par écrit (1), le tribunal ordonnera la preuve par témoins, dans les formes prescrites au titre des Enquêtes. Seulement, comme il s'agit de faits qui se passent dans l'intérieur des familles, on admet, en matière de séparation de corps, le témoignage des personnes qui seraient reprochables en toute autre matière (comparer les art. 283 du Code de procédure et 251 du Code Napoléon). En appel, l'affaire sera portée à l'audience ordinaire de la cour impériale, aux termes d'une ordonnance du 16 mai 1835, modifiant l'art. 22 du décret du 30 mars 1808, qui renvoyait aux audiences solennelles des cours les appels des jugements de séparation de corps.

« Art. 880. Extrait du jugement qui prononcera la séparation sera inséré aux tableaux exposés tant dans l'auditoire des tribunaux que dans les chambres d'avoués et notaires, ainsi qu'il est dit, art. 872. »

Si le tribunal rejette la demande en séparation de corps, aucune publicité ne sera donnée au jugement; il est inutile d'apprendre aux tiers les dissensions du ménage, quand la position des époux ne change pas.

Mais lorsque la séparation de corps est prononcée, elle entraîne la séparation de biens; il faut donc que les tiers sachent que la condition des époux, quant à l'administration de leurs biens, a été modifiée. Aussi la loi a-t-elle dû exiger que le jugement de séparation de corps fût publié comme celui de séparation de biens. A-t-on soumis ces divers jugements aux mêmes conditions de publicité? Si l'on en croit les discours des orateurs du conseil d'État et du tribunat au

(1) Ils pourraient l'être par écrit, notamment dans le cas prévu par l'art. 232 du Code apoléon.

Corps législatif, l'art. 880 soumet les jugements de séparation de corps aux mêmes conditions de publicité que les jugements de séparation de biens. Mais, quelques motifs qu'on puisse faire valoir en faveur de cette assimilation, on ne peut, sur la foi de ces discours, exiger l'emploi de formalités qui ne sont pas écrites dans la loi. Or, la lecture du jugement de séparation de corps à l'audience du tribunal de commerce n'est pas prescrite par l'art. 880, qui ne renvoie pas à cet égard à l'art. 872. On n'accomplira cette formalité, à l'égard des jugements de séparation de corps, que si l'un des époux est commerçant, à cause de la disposition spéciale de l'art. 66 du Code de commerce.

TITRE X

DES AVIS DE PARENTS (C. D.).

1118. *Les avis de parents sont des délibérations prises par les parents des mineurs et des interdits réunis en conseil de famille, dans les cas et suivant les formes prévus par la loi. Quelques auteurs ont distingué les avis et les délibérations des conseils de famille : les premiers seraient des actes par lesquels le conseil de famille ferait connaître à la justice son opinion sur une question qui lui est soumise (art. 892 et 893, C. pr.). Par les délibérations, le conseil de famille ordonnerait ou prendrait une mesure; il nomme, par exemple, ou destitue un tuteur.

Sans nier absolument cette distinction, je ne la crois pas d'une grande utilité pratique; et elle ne me paraît pas fondée sur le texte de la loi. Ainsi la rubrique du titre qui nous occupe porte des Avis de parents, et les articles qu'il contient ne s'occupent que de délibérations.

Vous avez vu au cours de Code Napoléon, notamment dans le tit. X du livre I, quelles sont les attributions du conseil de famille, comment il est composé et convoqué, et la manière dont il doit délibérer. Notre titre a pour but d'ajouter aux dispositions du Code Napoléon, sur les conseils de famille et leurs délibérations, quelques formalités dans l'intérêt des mineurs ou des interdits.

« Art. 882. Lorsque la nomination d'un tuteur n'aura pas été faite en sa présence, elle lui sera notifiée, à la diligence du membre de l'assemblée qui aura été désigné par elle : ladite notification sera faite dans les trois jours de la délibération, outre un jour par trois myriamètres de distance entre le lieu où s'est tenue l'assemblée et le domicile du tuteur. »

(Un jour par cinq myriamètres, v. l'art. 1033, C. de pr.).

L'art. 439 du Code Napoléon supposait déjà que la délibération qui nomme un tuteur non présent devait lui être notifiée. Notre art. 882 ordonne que le conseil chargera un de ses membres de faire cette notification, qui fait courir le délai dans lequel le tuteur doit présenter ses excuses, s'il y a lieu (art. 439, C. N.). Le membre désigné par le conseil de famille pourrait encourir des dommages et intérêts, si sa négligence ou son retard à faire la notification causait un préjudice au pupille. D'ailleurs, il n'est pas douteux qu'en cas de négligence du membre désigné par le conseil de famille, la notification serait valablement faite par un autre.

<«< Art. 883. Toutes les fois que les délibérations du conseil de famille ne seront pas unanimes, l'avis de chacun des membres qui le composent sera mentionné dans le procèsverbal.

« Les tuteur, subrogé tuteur ou curateur, même les membres de l'assemblée, pourront se pourvoir contre la délibération; ils formeront leur demande contre les membres qui auront été d'avis de la délibération, sans qu'il soit nécessaire d'appeler en conciliation. »

Par le premier alinéa de cet article, la loi exige qu'on mentionne au procèsverbal l'avis de chacun des membres du conseil de famille, quand la délibération n'est pas prise à l'unanimité, afin que le tribunal, saisi d'une demande en homologation ou en nullité de délibération, connaisse les différentes opinions qui se sont produites, et puisse faire un choix entre elles.

Qui pourra attaquer ces délibérations? Le 2o alinéa de l'art. 883 accorde ce droit au tuteur, au subrogé tuteur, au curateur, aux membres de l'assemblée. Celui qui attaque la délibération formera sa demande contre les membres qui ́ont été d'avis de la prendre. Cette demande ne sera pas précédée du préliminaire de conciliation; cette tentative serait sans doute inutile dans un dissentiment qui s'est produit sous la présidence du juge de paix. Lui-même, d'ailleurs, a donné son avis et cesserait d'être impartial (1).

Il est toutefois une délibération qui est soumise à une procédure spéciale, je veux parler du cas où le conseil de famille prononce l'exclusion ou la destitution du tuteur. Cette délibération sera toujours motivée, même si elle est unanime (art. 447, C. N.); et si le tuteur attaque la délibération, il dirigera sa demande contre le subrogé tuteur (art. 448, C. N. in fine), sauf aux personnes qui ont requis la convocation du conseil de famille pour cette exclusion ou destitution, à intervenir dans la cause (art. 449, C. N.).

« Art. 884. La cause sera jugée sommairement. »

Le tribunal, suivant les circonstances, ordonnera que les dépens resteront à la charge de celui qui succombe, qu'ils seront compensés, ou autorisera le tuteur à les employer comme frais d'administration, c'est-à-dire à les faire entrer dans les dépenses relatives à la tutelle.

→ 1119. Les art. 885 à 888 ont trait à la forme des demandes en homologation des délibérations prises par les conseils de famille. Vous avez vu au cours de Code Napoléon dans quels cas la loi exige cette homologation (V. les art. 448, 457, 458, 467, 509, 511 du Code Napoléon).

« Art. 885. Dans tous les cas où il s'agit d'une délibération sujette à homologation, une expédition de la délibération sera présentée au président, lequel, par ordonnance au bas de ladite délibération, ordonnera la communication au ministère public, et commettra un juge pour en faire le rapport à jour indiqué. »

Art. 886. Le procureur impérial donnera ses conclusions au bas de ladite ordonnance; la minute du jugement d'homologation sera mise à la suite desdites conclusions sur le même cahier. »

(1) Sur la question de savoir quelles délibérations peuvent être attaquées devant le tribunal, V. Dalloz, 1859, 2, 20, et les autorités citées en note, et Dall., 1862, 2, 121 et la note.

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