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TITRE VII

AUTORISATION DE LA FEMME MARIÉE (C. D.).

1108. La femme mariée a besoin de l'autorisation du mari soit pour ester en jugement, c'est-à-dire pour plaider, soit pour passer un acte, c'est-à-dire pour donner, aliéner, hypothéquer, acquérir à titre gratuit ou onéreux (art. 215 et 217, C. N.). Si le mari refuse d'autoriser sa femme, elle pourra s'adresser à la justice et en obtenir l'autorisation que le mari refuse sans cause légitime. Quelquefois la femme peut demander directement à la justice l'autorisation dont elle a besoin (art. 221, 222, 224, C. N.).

Cette autorisation ne tient pas à une faiblesse naturelle de la femme, comme celle du mineur. Ce n'est pas comme femme qu'elle est incapable, mais parce qu'elle est mariée; aussi, fille ou veuve, elle n'a besoin d'aucune autorisation. L'incapacité de la femme résulte donc uniquement de sa dépendance à l'égard

du mari.

Quand le mari autorise la femme, il le fait dans la forme qui lui convient; la loi n'en prescrit aucune. On reconnaît que l'autorisation du mari peut être donnée verbalement, et même résulte tacitement des circonstances.

Mais, lorsque la femme s'adresse à la justice, soit sur le refus, soit au cas d'empêchement ou d'incapacité du mari, quelle marche devra-t-elle suivre? Le Code Napoléon n'en avait tracé une que pour l'hypothèse où le mari refuse d'autoriser la femme à passer un acte (art. 219). Nous verrons si les dispositions de cet article ont été ou non modifiées par le Code de procédure.

Le titre qui nous occupe a particulièrement eu en vue de régler les formes de la demande en autorisation de la femme mariée qui veut intenter une action ou faire procéder à une exécution, soit au cas de refus (art. 861 et 862), soit au cas d'absence (art. 863) ou d'interdiction du mari (art. 864).

« Art. 861. La femme qui voudra se faire autoriser à la poursuite de ses droits, après avoir fait une sommation au mari, et sur le refus par lui fait, présentera requête au président, qui rendra ordonnance portant permission de citer le mari, à jour indiqué à la chambre du conseil, pour déduire les causes de son refus. »>

M. Berlier, dans l'exposé des motifs de ce titre, expliquait qu'il ne s'agissait pas ici d'une femme qui jouerait dans une instance le rôle de défenderesse. «Dans ce cas, disait-il, l'action du demandeur ne peut être subordonnée à la « volonté du mari ni paralysée par elle :... l'autorisation... n'est, en ce qui re<< garde l'action du tiers demandeur, qu'une simple formalité que la justice « supplée quand le mari la refuse. L'objet de notre titre n'est pas non plus « d'examiner ce qui a lieu quand le mari et la femme procèdent ensemble en « demandant; car si, en ce cas, l'autorisation n'est pas expresse, elle est au << moins tacite et résulte du seul concours des deux parties, comme l'ont observé << les commentateurs (1) et comme le prescrit surtout la raison. »>

(1) Voyez Jousse sur l'art. 2 du tit. II de l'ordonnance de 1667.

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L'orateur expose ensuite que les formes de l'art. 861 sont faites pour le cas où la femme veut poursuivre ses droits malgré le mari qui refuse de l'autoriser. Alors la justice intervient pour décider si le mari use ou abuse de son autorité. Il faut que cette autorité, disait M. Berlier, soit celle d'un protecteur et non celle d'un despote.

Comment la justice sera-t-elle saisie de ce débat? Comment sera-t-elle mise à même de venir au secours de la femme et de la préserver de l'oppression et de la ruine? Je cite les termes du même orateur qui, vous le voyez, ne ménage pas les maris qui refusent à tort d'autoriser leurs femmes.

La loi veut d'abord que le refus du mari soit constaté par une sommation, que l'orateur du tribunat appelait un hommage juridique à l'autorité maritale. La femme ne pourrait être dispensée de faire cette sommation (1). Sur le silence et le refus du mari, la femme présente requête au président du tribunal afin d'obtenir l'autorisation de citer le mari à venir en la chambre du conseil déduire les motifs de son refus, et afin d'être autorisée par justice dans le cas où le mari ne se présenterait pas ou ne ferait pas valoir des motifs légitimes de son refus. C'est au président du tribunal de l'arrondissement où le mari est domicilié que la requête doit être présentée, et non au président du tribunal devant lequel l'affaire sera portée (2). Il n'y a aucun motif pour déroger à la règle générale : Actor sequitur forum rei (v. n° 129). Mais lorsque la femme est défenderesse à un procès, l'autorisation, qui n'est guère qu'une formalité, lui est valablement accordée par le tribunal saisi de l'affaire, quoiqu'il ne soit pas celui du domicile du mari (3).

Au jour indiqué par le président du tribunal, le mari et la femme comparaitront dans la chambre du conseil; le mari y déduira les causes de son refus contradictoirement avec la femme. La loi n'exige même pas qu'ils se fassent assister par des avoués, mais elle ne le défend pas non plus. Leur ministère es donc facultatif (4).

La femme, même autorisée par le mari à plaider en première instance, aura besoin d'une nouvelle autorisation pour interjeter appel, mais non pour défendre à l'appel formé contre elle (5).

« Art. 862. Le mari entendu, ou faute par lui de se présenter, il sera rendu, sur les conclusions du ministère public, un jugement qui statuera sur la demande de la femme. »

Ce jugement doit-il être rendu en la chambre du conseil ou en audience publique? Quoique le texte des art. 861 et 862 ne s'explique pas à cet égard d'une manière catégorique, il semble pourtant que le législateur n'ait voulu exiger

(1) C. d'Aix, 9 janvier 1810 (Dall., Rép., vo Contrat de mariage, no 3326). - Paris, 11 août 1849 (Dall., 1852, 2, 77). Contrà, Rennes, 13 février 1818.

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(2) C. de Paris, 24 avril 1843 (Dall., Rép., vo Mariage, no 887 ). — Lyon, 7 janvier 1848. Bordeaux, 4 avril 1849 et 3 mars 1851 (Dall., 1852, 2, 43 et 44).

(3) Cass., 17 août 1813 (Dall., Rép., vo Mariage, no 905). C. d'Orléans, 5 mai 1849 (Dall., 1849, 2, 161.). - Bordeaux, 3 mars 1851 (Dall., 1852, 2, 44).

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(4) C. de Pau, 30 juin 1837 (Dall., Rép., vo Mariage, no 892). Cass., Rej., 21 janvier 1846 (Dall., 1846, 1, 10).

(5) Cass., 15 décembre 1847 (Dall., 1848, 5, 18 et 19). Cass., Rej, 15 mars 1848 (Dall., 1848, 1, 119). Bordeaux, 3 mars 1851 (Dall., 1852, 2, 44).

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qu'un jugement rendu en la chambre du conseil (1). M. Berlier disait dans l'exposé des motifs: « Cette procédure sera non-seulement sommaire, mais exempte <«< d'une publicité que la qualité des parties et la nature du débat rendraient tou« jours fâcheuse. »>

« Ainsi ce sera à la chambre du conseil que le mari sera cité, que les parties << seront entendues, et que le jugement sera rendu sur les conclusions du minis«<tère public. >>

L'orateur du tribunat ne s'expliquait pas moins positivement à ce sujet : « L'autorisation lui sera immédiatement donnée ou refusée par un jugement « rendu en la chambre, sur les conclusions du ministère public. »>

Sans doute les discours prononcés au Corps législatif ne doivent jamais prévaloir sur le texte de la loi, mais ils peuvent servir à l'expliquer, surtout quand ils concordent entre eux.

Les art. 861 et 862 s'appliquent certainement aux cas où la femme veut poursuivre ses droits, c'est-à-dire intenter une action et faire procéder à une exécution; mais la femme qui demande l'autorisation de passer un acte (art. 219), c'est-à-dire de donner, aliéner, hypothéquer, acquérir à titre gratuit ou onéreux (art. 217), devra-t-elle suivre les formes prescrites par l'art. 861 ? L'art. 219 du Code Napoléon avait déjà réglé la marche à suivre pour obtenir cette autorisation ; il n'avait pas exigé que le refus du mari fût constaté par une sommation. Mais, depuis le Code de procédure, on considère notre art. 861 comme ayant dérogé, à cet égard, à l'art. 219 (C. N.), et on admet que la femme qui demande à la justice une autorisation, au refus de son mari, doit toujours faire constater ce refus par une sommation restée infructueuse, sans distinguer s'il s'agit d'intenter une action ou de faire une vente, une donation, etc. Il serait difficile, en effet, de trouver des motifs de différence entre l'une et l'autre hypothèse.

→ 1109. Les deux articles suivants supposent une autorisation demandée par la femme à la justice, non pas au refus du mari, mais lorsque le mari est incapable ou dans l'impossibilité de la donner. Ces deux articles tracent la marche à suivre pour l'application de l'art. 222 du Code Napoléon.

« Art. 863. Dans le cas de l'absence présumée du mari, ou lorsqu'elle aura été déclarée, la femme qui voudra se faire autoriser à la poursuite de ses droits présentera également requête au président du tribunal, qui ordonnera la communication au ministère public, et commettra un juge pour faire son rapport à jour indiqué. »

Quand le mari est présumé ou déclaré absent, la femme présentera une requête au tribunal afin d'obtenir l'autorisation qui lui est nécessaire; mais elle ne fera pas constafer le refus du mari par une sommation qui ne peut lui être adressée. La femme n'a pas de contradicteur; c'est un motif de plus pour que le tribunal examine sérieusement la demande, et la décision n'interviendra que sur le rapport fait par un juge commis à cet effet.

« Art. 864. La femme de l'interdit se fera autoriser en la forme prescrite par l'article précédent; elle joindra à sa requête le jugement d'interdiction. »>

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(1) C. de Riom, 29 janvier 1829 (Dall., Rép., vo Mariage, no 894). — Bordeaux, 27 février 1834, eod. Contrà, Nimes, 9 janvier 1828 (Dall., Rép., vo Jugement, no 181). Cass., 5 janvier 1850 (Dall., 1850, 1, 161). Poitiers, 18 avril 1850 (Dall., 1850, 2, 117).

Ici encore la femme ne fera pas constater le refus du mari, qui ne peut consentir à cause de son état d'interdiction.

La loi ne s'est pas expliquée sur le cas où le mari est mineur. La femme du mineur devra procéder comme celle de l'interdit. L'art. 224 du Code Napoléon prescrit, dans cette hypothèse, l'autorisation de la justice. La femme la demande encore sans faire constater le refus du mari que son âge rend incapable de consentir valablement : elle procédera conformément à l'art. 863.

Autrefois, on reconnaissait au mari mineur le droit d'autoriser sa femme: la minorité, disait-on, n'exclut pas la puissance maritale, sauf au mari mineur à se faire restituer, s'il était lésé par l'acte qu'il avait autorisé. Mais cette doctrine ne peut plus être admise en présence de l'art. 224 (C. N.). L'autorisation du mari est une garantie protectrice des intérêts de la femme, et le mari mineur est incapable de l'accorder valablement.

Quant à la femme dont le mari a été frappé d'une peine afflictive ou infamante, elle demandera l'autorisation à la justice pendant la durée de la peine de son mari, sans qu'il soit nécessaire d'entendre ni d'appeler ce dernier (article 221 C. N.); la femme suivra d'ailleurs les formes prescrites par l'art. 863 du Code de procédure.

Ces divers jugements, rendus en la chambre du conseil, suivant l'opinionque j'ai admise précédemment, seront susceptibles d'appel; il pourra être interjeté, soit par la femme, soit par le mari, dans les cas où il est cité à la chambredu conseil. Les formes seront les mêmes qu'en première instance, et je crois que l'arrêt devra également être rendu en la chambre du conseil. Si la publicité est fâcheuse en cette matière, à raison de la qualité des parties et de la nature du débat, elle ne l'est pas moins à la cour impériale que devant le tribunald'arrondissement.

Je n'ai point à m'occuper ici des conséquences du défaut d'autorisation; il en résulte une nullité qui se rattache à l'enseignement du Code Napoléon, notamment aux art. 225 et 1125 (C. N.). *

CINQUANTIÈME LEÇON

TITRE VIII

DES SÉPARATIONS DE BIENS (C. D.).

1110. * La femme mariée peut être séparée de biens ou en vertu du contrat de mariage, ou par un jugement, qui, modifiant les conventions matrimoniales, prononce, pendant le mariage, la séparation de biens entre les époux. Nous n'avons pas à nous occuper ici de la séparation de biens contractuelle, mais seulement de la séparation de biens judiciaire.

Cette séparation de biens est ordonnée pendant le mariage, ou accessoirement, comme conséquence de la séparation de corps, ou principalement, sans qu'il y ait aucun motif de faire cesser la cohabitation qui existe entre les époux. Ce titre 'applique particulièrement à la séparation de biens principale.

La femme seule a le droit de demander la séparation de biens, lorsque sa dot est mise en péril et que le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre que les intérêts de la femme ne soient compromis.

La séparation de biens est considérée par le Code Napoléon comme une des manières de dissoudre la communauté (art. 1441, C. N.).

L'intérêt de la femme n'est pas seul en jeu dans les questions de séparations de biens. Si les affaires du mari sont en désordre, la femme est sans doute intéressée à soustraire sa part de communauté et le revenu de ses propres aux créanciers du mari et de la communauté'; mais la loi n'a pas dû négliger les intérêts de ces créanciers. Il ne faut pas que la femme et le mari puissent, à l'aide d'une séparation de biens frauduleuse, leur enlever les biens et les revenus qui doivent être le gage de leurs créances.

Aussi la séparation de biens volontaire est-elle nulle. La séparation de biens ne peut avoir lieu que par un jugement; et le tribunal doit examiner avec soin si les époux, qui sont adversaires en apparence, ne s'entendent pas en réalité. C'est encore pour prévenir et empêcher cette collusion que les demandes en séparation de biens sont rendues publiques, que les créanciers du mari peuvent intervenir dans l'instance en séparation de biens, et même attaquer le jugement qui la prononce et qui doit lui-même recevoir une certaine publicité.

Quant aux créanciers personnels de la femme, ils auraient souvent intérêt à demander la séparation de biens au nom de leur débitrice et comme exerçant ses droits (art. 1166, C. N.), pour se faire payer sur les biens de la femme ou sur sa part de communauté à l'exclusion des créanciers du mari. Mais la loi leur a interdit cette faculté (art. 1446, C. N.). Elle a craint que la demande formée par les créanciers de la femme, même sans son consentement, ne vînt jeter le trouble entre les époux, et elle a préféré la tranquillité du ménage aux droits des créanciers de la femme.

Les formes indiquées par le Code Napoléon relativement à la séparation de biens sont développées au Code de procédure dans le titre qui nous occupe.

1111. « Art. 865. Aucune demande en séparation de biens ne pourra être formée sans une autorisation préalable, que le président du tribunal devra donner sur la requête qui lui sera présentée à cet effet. Pourra néanmoins le président, avant de donner l'autorisation, faire les observations qui lui paraîtront convenables. »

La femme qui veut former une demande en séparation de biens doit être autorisée à cet effet par le président du tribunal, à qui elle adresse, dans ce but une requête.

Le tribunal compétent pour juger la séparation de biens est celui du domicile du mari. C'est donc au président de ce tribunal que la femme présentera sa requête. Comme le président doit faire les observations qui lui paraîtront convenables, à l'effet d'empêcher le procès s'il est possible, il me paraîtrait plus conforme au vœu de la loi que la femme présentat elle-même sa requête; mais on la fait ordinairement présenter par l'avoué : cet usage se fonde sur l'arf. 78 du tarif, qui suppose non-seulement que la requête est faite par un avoué (§ 10), mais que l'avoué a droit à un émolument pour prendre l'ordonnance du président (§ 19).

La femme, ainsi autorisée, formera sa demande sans préliminaire de conci

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