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est renvoyée, juge dans le même sens que la première ; il est possible, et il y en a de fréquents exemples, que la deuxième cour impériale persiste à donner à la loi l'interprétation adoptée par la première, et repoussée par l'arrêt de cassation. La chose est très-licite, car la mission de la cour de cassation, si haute qu'elle soit, n'est qu'une mission judiciaire et non point une mission législative, elle casse les arrêts, mais elle n'impose pas et ne peut imposer aux tribunaux ou cours l'obligation légale ou morale d'adopter son interprétation. Qu'arrivera-t-il donc dans ce cas, surtout si le deuxième pourvoi est suivi d'une deuxième cassation, et si, sur le second renvoi qui va suivre cette cassation, la troisième cour impériale décide comme les deux premières ?

Le principe même de la division des attributions va nous jeter dans un immense embarras; nous roulerons sans terme dans un cercle successif d'arrêts de cours impériales et de cassation, qui ne mèneront à rien. La difficulté est réelle ; mais c'est plutôt une difficulté législative qu'une difficulté judiciaire. En effet, comme elle tient précisément au principe de la distribution des pouvoirs à la distinction des attributions de la cour de cassation et des juridictions ordinaires, cette difficulté a été prévue, tranchée dès l'origine par les législateurs ; mais elle l'a été successivement dans plusieurs lois différentes et de plusieurs manières.

La loi du 1er décembre 1790, qui a organisé la cour de cassation, avait prévu et tranché la question sous l'art. 21, § 2; après la cassation successive de deux jugements rendus dans la même affaire, sur la même question de droit, le troisième tribunal jugeant comme les deux premiers, cette loi voulait que le tribunal de cassation, au lieu de statuer sur le troisième pourvoi, demandât à la législature une déclaration interprétative, qu'il attendît cette déclaration pour l'appliquer au troisième pourvoi dont il était saisi. Ainsi, sous l'empire de cette loi, le troisième pourvoi contre la même décision étant porté au tribunal de cassation, celui-ci devait surseoir et en référer au corps législatif, et lui demander une interprétation applicable, non-seulement aux mêmes questions se soulevant plus tard dans d'autres affaires, mais applicable au procès même dans le cours duquel la question était née.

Le même système fut reproduit, soit dans la constitution du 3 septembre 1791, art. 21, soit aussi dans celle du 5 fructidor an III. Seulement, la constitution de l'an III, art. 256, voulait, pour plus de célérité et d'économie, que le référé du tribunal de cassation au corps législatif eût lieu dès le deuxième pourvoi, que le tribunal de cassation, ayant cassé une première fois et saisi d'un second pourvoi contre un jugement pareil, rendu dans la même affaire, en référât aussitôt au corps législatif, et attendît l'interprétation d'autorité pour l'appliquer à l'assaire. Dans la loi du 27 ventôse an VIII, commença un changement de système, et ce changement a encore laissé des traces dans la législation actuelle ; on décida, art. 78, que, sur le second pourvoi, le tribunal de cassation, au lieu de se référer à la législature, réunirait ses trois sections, et statuerait, toutes sections réunies. On pensait que l'autorité des trois sections réunies du tribunal de cassation suffirait pour exercer une influence morale de nature à faire cesser toutes les divergences.

Mais l'influence du tribunal de cassation, siégeant même avec tout l'appareil de ses audiences solennelles, n'est qu'une influence toute morale; le tribunal

de cassation n'avait, comme il ne l'a encore, qu'une influence judiciaire, et nulle influence législative. Il arriva donc, en 1806, que, malgré l'autorité d'un deuxième arrêt de cassation, prononcé toutes les sections réunies, conformément à l'art. 78 de la loi du 27 ventôse, il arriva que le troisième tribunal, saisi par le deuxième renvoi, statua conformément à l'avis des deux premiers tribunaux, contrairement à la doctrine de la cour de cassation. Alors, intervint la loi du 16 septembre 1807, qui consacra en partie le système de la loi de l'an VIII, et en partie aussi le système de 1790, mais avec des modifications; elle est fort remarquable, et quelques détails seront nécessaires à cet égard.

On décida que la cour de cassation, saisie d'un deuxième pourvoi, pourrait, à son gré, ou statuer, toutes les sections réunies, conformément à la loi de ventôse, et réunies sous la présidence du grand juge, ministre de la justice; ou bien, qu'elle pourrait à son choix se référer immédiatement au gouvernement pour obtenirde lui l'interprétation de la loi. On revenait un peu, sous ce dernier rapport, au système de 1790, à l'interprétation d'autorité. Que si la cour de cassation, au lieu de demander l'interprétation après le second pourvoi, avait statué toutes sections réunies et prononçait la cassation, et qu'ensuite un troisième pourvoi fût encore porté devant elle, l'interprétation était forcée, il fallait y recourir.

Ce système de 1807 a été vivement critiqué, surtout depuis 1814. En effet, il était, sous plus d'un rapport, absolument incompatible avec la Charte de 1814 et avec celle de 1830.

D'une part, la Charte posait comme principe absolu l'inamovibilité des magistrats, et certes il n'y avait rien de plus contraire à ce principe que d'appeler à siéger comme président, et à voter dans les plus graves questions qui avaient partagé les cours, le plus amovible de tous les fonctionnaires, c'est-à-dire un ministre.

D'autre part, en donnant à la cour de cassation la faculté de solliciter l'interprétation à l'époque du deuxième pourvoi, ou bien en lui commandant de réclamer cette interprétation à l'époque du troisième pourvoi, on lui disait de demander cette interprétation, non plus au corps législatif, comme on l'avait fait en 1790, mais bien au gouvernement, au pouvoir exécutif. Cette interprétation devait, en effet, se donner dans la forme des règlements d'administration publique, ce qui veut dire qu'elle devait être délibérée et arrêtée en conseil d'État. Tant que dura la législation de l'Empire, cette dernière partie de la loi de 1807, peut-être un peu vicieuse en principe, pouvait cependant se défendre à cette époque, le conseil d'État avait seul la rédaction et presque l'initiative des lois; on comprenait donc que la cour de cassation s'adressât, pour obtenir l'interprétation, à un corps qui figurait nommément dans la constitution, et de qui d'ailleurs avait dû émaner la rédaction complète de la loi. Mais vous sentez qu'en 1814 cette idée, cette marche devenait tout à fait choquante. La Charte de 1814 ne nommait pas même le conseil d'État, ne lui assignait aucun rang, aucun rôle dans le pouvoir législatif; elle attribuait l'exercice du pouvoir législatif au concours du roi et des deux chambres. Dès lors, il devenait peu raisonnable d'obliger la cour de cassation à demander l'interprétation d'une loi équivoque à un corps qui, légalement, n'avait pris aucune part directe ni indirecte à la confection de cette loi.

Ces objections étaient graves; elles furent senties, et une loi du 30 juillet 1828 bouleversa tout le système de la loi de 1807. Voici à cet égard quelles idées furent adoptées.

On décida que désormais la cour de cassation ne pourrait plus, après un deuxième pourvoi et avant le deuxième arrêt, demander l'interprétation ; elle le pouvait en 1807, mais elle n'y était pas forcée ; d'après la loi de 1828, la cour de cassation, saisie d'un deuxième pourvoi, devait, sans demander l'interprétation, statuer sur ce deuxième pourvoi, toutes les sections réunies. Seulement, la présidence de la cour n'était pas conservée au ministre de la justice, elle appartenait à son premier président.

Que si, après le renvoi qui pouvait suivre le second arrêt de cassation, le troisième tribunal ou la troisième cour décidaient comme les deux premiers tribunaux ou les deux premières cours, leur jugement ou leur arrêt ne pouvait plus être attaqué par la voie de cassation. En d'autres termes, après deux cassations, suivies de deux renvois, le troisième arrêt de la cour impériale étant conforme aux deux premiers, faisait droit entre les parties; aucun pourvoi n'était plus recevable, aucune interprétation n'était demandée au moins dans l'affaire à propos de laquelle le débat s'était élevé, affaire qui était alors irrévocablement terminée.

Ce conflit entre trois cours impériales, d'une part, et, de l'autre, la cour de cassation appelée deux fois à statuer, ce conflit attestait une obscurité, une équivoque, un vice sérieux dans la loi. Aussi, les art. 2 et 3 de la loi du 30 juillet voulaient qu'il en fût immédiatement donné avis ou référé au gouvernement, afin que, dans la session législative qui suivrait ce conflit, un projet d'interprétation fût présenté aux chambres et voté.

Mais cette loi d'interprétation qui, d'après les lois antérieures, et notamment celle de 1790, avait pour but de mettre la cour de cassation en état de statuer sur l'affaire même qui avait fait l'objet du conflit, avait tout à fait changé d'objet dans la loi de 1828. L'affaire était consommée, terminée, entre les parties par l'arrêt de la troisième cour impériale; et la loi à intervenir, si elle intervenait, sur le point qui avait fait l'objet du débat, n'avait plus aucune influence sur l'affaire à propos de laquelle le conflit s'était manifesté.

Ce système de la loi de 1828 conciliait-il, d'une manière satisfaisante, les principes fondamentaux des attributions des cours impériales et de la cour de cassation avec le besoin de maintenir l'unité de jurisprudence et de législation? Il est permis d'en douter. En effet, dans ce conflit élevé entre l'opinion de plusieurs cours impériales et celle de la cour de cassation, la doctrine des cours impériales prévalait sur la doctrine hautement manifestée par la cour de cassation. Or, ce résultat était en désaccord manifeste avec les idées fondamentales de la hiérarchie, de la suprématie judiciaire, avec cette idée qui tendait à conférer à la cour de cassation une haute mission de surveillance et d'autorité sur les arrêts des tribunaux et des cours impériales, en tant qu'ils seraient contraires à la loi. Et notez bien que ce n'est pas ici une affaire d'esprit de corps, de privilége ou de vanité; sous ce point de vue, la question aurait peu d'importance; mais, en résultat, la mission de la cour de cassation manquait son but. Cette mission est celle-ci de prévenir, de réprimer, dans l'interprétation des lois, les variétés, les divergences d'opinion et de doctrine, qui sont les conséquences inévitables de la

pluralité des tribunaux. Dans le but d'assurer l'unité, on a confié à une cour essentiellement unique le droit de surveiller et de casser, au besoin, les jugements et arrêts qui s'écarteraient de la saine interprétation de la loi. Or, lorsque dans un tel conflit, c'était l'opinion des trois cours impériales qui prévalait, en fin de compte, sur l'opinion de la cour de cassation, il est clair que ce but était manqué; on avait constaté un conflit de doctrines, et, par le résultat de ce conflit, l'opinion de trois cours impériales l'avait emporté.

Ce n'est pas tout; rien ne garantissait aux particuliers, entre lesquels la même question pouvait se débattre plus tard, que la même doctrine, que la même opinion prévaudrait. Les particuliers étaient encore, après ce débat si solennel, dans l'incertitude la plus complète sur le sort, sur la solution à venir que pouvait recevoir la question dans des débats pareils. En un mot, il est visible qu'en mettant de côté l'opinion de la cour de cassation, qu'en s'attachant, comme dernier terme, à la doctrine des trois cours impériales, on manquait complétement le but capital de l'institution de la cour de cassation, l'unité de jurisprudence.

Je sais bien qu'on pouvait dire que, dans la loi de 1828, cette objection n'était pas réelle, parce que si, dans le fait et dans la cause actuelle, l'opinion des cours impériales avait prévalu sur celle de la cour de cassation; si, sous ce rapport, la jurisprudence était restée indécise et variable, la loi interprétative qui, dans la session suivante, devait être présentée aux chambres, prévenait, pour l'avenir, l'inconvénient des variations et des incertitudes que nous signalons.

Tel était, en apparence, le remède apporté par la loi de 1828 à l'inconvénient très-réel, qui résultait de son art. 2; mais il est facile de sentir que le remède était très-loin de parer au mal, et cela pour plusieurs raisons :

Ainsi, premier obstacle, première cause d'impuissance du remède annoncé par la loi de 1828, c'est qu'il ne paraissait pas que la loi, qui devait être présentée dans la session qui suivait le conflit, fût une loi purement déclarative, devant régir et trancher même les faits antérieurs à sa promulgation.

Un autre obstacle plus sérieux se présentait : on devait, à raison du conflit déclaré, présenter une loi aux chambres, dans la session qui suivait ce conflit; mais la loi n'est pas chez nous l'œuvre d'un pouvoir unique, et le même conflit, le même débat sur le sens ou l'explication de la loi, le même débat qui venait de partager la cour de cassation et les cours impériales, pouvait diviser les trois éléments dont le concours était alors (Charte de 1814) indispensable à la formation d'une loi. Si l'une des chambres attachait à la loi un sens différent de celui que l'autre y donnait, comment pouvait-on sortir de la difficulté que le conflit avait soulevée ?

Enfin, troisième objection, et celle-ci, en fait, était la plus grave, c'est que, le plus souvent, l'art. 3 de la loi de 1828, ordonnant la présentation immédiate d'une loi interprétative, restait sans aucun essai d'exécution, parce que les affaires législatives, les affaires politiques, dont les chambres se trouvaient chargées, ne permettaient pas de s'occuper immédiatement de vider les différends soulevés dans le cours de la session précédente ou dans les mois qui avaient précédé la loi.

C'est parce qu'on a été frappé de ce défaut, de ce vice radical de la loi de 1828, parce qu'on a senti l'insuffisance du remède de l'art. 3, qu'une loi nouvelle a abrogé la loi de 1828, et lui a substitué un système différent.

* C'est la loi du 1er avril 1837 dont les art. 1 et 2 sont ainsi conçus :

Art. 1er. Lorsque, après la cassation d'un premier arrêt ou jugement rendu en dernier ressort, le deuxième arrêt ou jugement rendu dans la même affaire, entre les mêmes parties, procédant en la même qualité, sera attaqué par les mêmes moyens que le premier, la cour de cassation prononcera, toutes les chambres réunies.

Art. 2. Si le deuxième arrêt ou jugement est cassé pour les mêmes motifs que le premier, la cour impériale ou le tribunal auquel l'affaire est renvoyée se conformera à la décision de la cour de cassation, sur le point de droit jugé par cette cour.

Ainsi, d'après la loi de 1837, la doctrine de la cour de cassation sur la question de droit prévaudra sur celle des cours impériales, puisque la troisième cour devra se conformer, en droit, à la doctrine manifestée par la cour de cassation dans son deuxième arrêt. Mais cette troisième cour restera juge souverain de l'appréciation des faits.

TRENTE-CINQUIÈME LEÇON

LIVRE V

DE L'EXÉCUTION DES JUGEMENTS (C. D.).

→ 780. Après avoir expliqué, dans la troisième partie de son Traité de la procédure civile, les moyens de se pourvoir contre les sentences et contre les juges, Pothier consacrait la quatrième partie à l'exécution des jugements. Il comprenait sous ce titre les différentes procédures qui se font en exécution des jugements, et les voies de droit pour contraindre la partie condamnée à l'exécution d'un jugement. Le Code de procédure a suivi le même ordre : après les livres III et IV de la première partie relatifs aux moyens d'attaquer les jugements, le livre V traite de l'exécution des jugements. Ce livre est consacré, comme la quatrième partie du Traité de procédure civile de Pothier, d'abord aux différentes procédures qui se font en exécution des jugements (tit. I à V), et ensuite aux voies de droit pour contraindre la partie condamnée à l'exécution d'un jugement (tit. VI à XV). L'ordonnance de 1667 suivait à peu près la même marche. Les titres XXVIII à XXXII réglaient les procédures que nous allons retrouver dans les titres I à V de ce livre, et le titre XXXIII de l'ordonnance s'occupait d'une voie d'exécution forcée, de la saisie et de la vente des meubles. Mais, moins complète que le Code de procédure, l'ordonnance de 1667 avait gardé le silence sur la saisie des immeubles et sur d'autres points relatifs à l'exécution forcée des jugements.

Nous nous occuperons, en premier lieu, des différentes procédures qu'occasionne souvent l'exécution du jugement, et qui concernent les condamnations accessoires de la condamnation principale. Je veux parler des réceptions de cautions (tit. 1), des liquidations de dommages-intérêts (tit. II), de fruits (tit. III),

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