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taine quantité de denrées dont le prix soit fixé par des mercuriales; rien de si simple alors que de traduire en argent la valeur des denrées demandées, et de savoir si l'affaire excède ou n'excède pas 1,500 francs de principal.

Mais si les meubles demandés sont des corps certains, ou même des quantités dont aucune mercuriale ne cote et ne détermine le prix, comment saura-t-on si le tribunal, saisi d'une action pareille, statue en premier ou en dernier ressort? Point de difficulté, je crois, si les parties sont d'accord sur la valeur; si l'exploit introductif, par exemple, contient une estimation à laquelle souscrive le défendeur, si les parties s'accordent à reconnaître que le meuble demandé ne dépasse pas une valeur de 1,500 francs; alors, je crois, cette reconnaissance rend le tribunal compétent pour statuer même sans charge d'appel.

Que, si cette valeur est contestée, si le demandeur, par exemple, évalue à moins de 1,500 francs l'objet de sa demande, et que le défendeur soutienne que cet objet vaut plus de 1,500 francs, pourrait-on recourir à une estimation, à une expertise, à l'effet d'en fixer la valeur, et de savoir par conséquent si l'on peut juger en premier ou en dernier ressort ? Ici il est permis d'hésiter; on peut dire que la loi a voulu, en général, éviter des frais de cette nature; que, quand il s'agit d'actions réelles, cette intention est manifeste, puisqu'elle exige que la valeur du revenu soit déterminée par rente ou par prix de bail. Cependant cette détermination légale n'est exigée que pour les immeubles; en matière d'action mobilière, la loi refuse l'appel par cela seul que l'affaire ne dépasse pas 1,500 fr. de principal; elle n'indique aucun moyen, aucune règle impérative pour déterminer si le meuble excède on n'excède pas 1,500 francs. Je crois donc qu'on pourrait admettre ici ce mode de détermination de valeur par expertise ; sauf, bien entendu, à porter la cause à la cour impériale, non pas pour en discuter le fond, mais pour examiner si l'estimation est exacte, si l'expertise n'a pas porté trop bas la valeur du meuble, et cela en vertu de l'art. 454 que nous expliquerons en son lieu.

En résumé, pour les meubles jamais de difficulté, s'il s'agit d'une somme d'argent ou de denrées dont les mercuriales aient déterminé le prix. Que s'il s'agit, au contraire, d'objets qui par eux-mêmes sont de valeur indéterminée, cette valeur pourra-t-elle être fixée, soit par le consentement ou la déclaration commune des deux parties; soit, en cas de désaccord, par une estimation ou par une expertise? Je crois qu'on peut, sur ces deux derniers points, soutenir l'affirmative, que du reste la loi ne décide pas clairement.

Lorsque, au contraire, l'objet de l'action est un immeuble, la liberté des parties est beaucoup moins grande, la loi indique limitativement deux manières de déterminer non pas la valeur du fonds, mais la valeur du revenu duquel seul dépendra la limite, la distinction des deux degrés. Cet immeuble est-il affermé, a-t-il été cédé moyennant une rente? Alors, si le taux de la rente ou le prix du bail ne dépasse pas 60 francs, le jugement sera rendu en premier et dernier ressort; si le taux de la rente ou le prix du bail excède 60 francs de revenu, ou si le revenu de l'immeuble ne peut être déterminé de l'une de ces deux manières, ou s'il n'y a pas de revenu, par exemple, s'il s'agit d'un bâtiment occupé par le propriétaire, d'un terrain ajouté à son jardin, * alors la valeur est indéterminée, et, de ce moment, aucune expertise, aucune estimation n'est possible; on retombe dans la règle générale, d'après laquelle

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toute affaire doit subir successivement les deux degrés de juridiction (1). Que faut-il décider si la valeur du litige est précisément de 1,500 fr. de principal en matière mobilière, ou de 60 francs de revenu en matière immobilière? Sous l'empire de la loi de 1790 qui employait les mêmes expressions: Les tribunaux..... connaîtront..... jusqu'à 1,000 livres..., 50 livres..., une jurisprudence constante décidait que les jugements sur des sommes même de 1,000 livres, 50 livres, n'étaient pas sujets à l'appel.

La loi de 1838, qui a reproduit la même formule, a donc voulu consacrer cette jurisprudence; il faut entendre ainsi son art. 1er :... jusqu'à 1,500 francs de principal... jusqu'à 60 fr. de revenu INCLUSIVEMENT.

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670. Mais dans quel acte du procès devra-t-on trouver quelle est précisément la valeur de l'objet en litige? est-ce à la condamnation, au jugement? est-ce, au contraire, à la demande, à l'exploit originaire que nousdevons nous attacher? Exemple: J'ai conclu, devant un tribunal d'arrondissement au paiement d'une somme d'argent supérieure à 1,500 fr.; le jugement m'a accordé une condamnation de moins de 1,500 francs; si nous déterminons par le jugement le taux du dernier ressort, nous dirons que dans ce cas il n'y a pas ouverture à l'appel : si, au contraire, le taux du dernier ressort se détermine par le montant de la demande, indépendamment du montant de la condamnation, nous reconnaitrons que dans ce cas il y a ouverture à l'appel.

Cette question ne présente pas de difficulté: on est bien d'accord que, dans les matières civiles, ce n'est pas au montant de la condamnation prononcée, c'est au montant de la somme ou à la valeur de l'objet réclamé que nous devons nous attacher, pour savoir s'il y a ou s'il n'y a pas matière à l'appel. De quelle contestation les juges étaient-ils saisis? Sur quelle valeur étaient-ils appelés à prononcer? Voilà l'unique question à poser. Et, en effet, si j'ai demandé 2 ou 3,000 francs contre vous, et que le tribunal me les refuse absolument, en déclarant ma demande mal fondée, personne n'hésitera à reconnaître que j'ai droit d'appeler. Eh bien! si le tribunal, au lieu de me repousser absolument, m'adjuge une somme inférieure à 1,500 francs, il est clair que la raison est la même; dans les deux cas l'intérêt du procès dont il était saisi était au-dessus de 1,500 fr.; dans les deux cas, la contestation ne peut être jugée par lui qu'en premier ressort.

Quand je dis qu'il faut s'attacher à l'exploit originaire, c'est par opposition au jugement, à la condamnation qui statue sur le litige; il ne faudrait point en effet prendre ces expressions trop à la lettre, et croire que l'exploit originaire détermine à l'avance, d'une manière invariable, inflexible, le taux de la compétence en premier ou en dernier ressort. Ainsi, le demandeur a pu, après avoir primitivement conclu à moins de 1,500 francs, ajouter à sa demande primitive des demandes incidentes, des conclusions additionnelles, qui ont élevé au-dessus de 1,500 francs l'intérêt de la contestation et la valeur du litige dont le tribunal était saisi. Dans ce cas il est manifeste que la cause, qui, au premier abord, se présentait comme cause de dernier ressort, a pris dans le cours de l'instance une valeur qui la fait sortir des limites du dernier ressort, Ceci

(1) Cass., Rej. 2 février 1857 (Dall., 1857, 1, 253, et les autorités citées à la note 1).

soit dit, sauf les explications que nous donnerons bientôt, sur le sens de ce mot, principal, dans le même art. 1er de la loi de 1838.

De même que le demandeur, en élevant après coup la valeur des conclusions qu'il avait posées primitivement, fait sortir des limites du dernier ressort une cause qui s'y renfermait d'abord, de même, à l'inverse, il fait rentrer dans les limites du dernier ressort une cause qui d'abord les dépassait, lorsqu'il réduit sa demande à une valeur inférieure à 1,500 francs (1).

Toutefois si le défendeur défaillant n'avait pas connu cette restriction des conclusions, on ne pourrait le priver de la voie d'appel, sur laquelle il a compté, et dans l'espérance de laquelle il a pu négliger la voie de l'opposition. *

671. Quel est donc, dans cet art. 1er, le sens de ces mots : Quinze cents francs de principal? Le tribunal ne peut statuer en dernier ressort sur une demande, sur un intérêt dépassant 1,500 francs de principal; mais de quelle nature devra, ou pourra être cet excédant que la loi oppose ici au principal?

On est bien d'accord que, pour calculer le taux du dernier ressort, il ne faut point compter dans le montant de la demande les frais de l'instance, ni les intérêts ou les fruits échus ou perçus postérieurement à la demande intentée. Ainsi, quand je vous demande, par exemple, une somme de 1,500 fr. dont je me prétends votre créancier, il est clair que ma prétention, si elle est admise, entrainera contre vous une condamnation à plus de 1,500 fr.; vous serez condamné aux intérêts du jour de la demande, en supposant que j'y aie conclu; vous serez de plus condamné, en vertu de l'art. 130, aux frais de l'instance; cette condamnation dépassant 1,500 francs sera néanmoins rendue en dernier ressort, car l'affaire n'excédait pas 1,500 francs de principal.

Mais le mot de principal, dans notre article, ne se prend-il que par opposition aux frais de justice et aux intérêts échus depuis la demande intentée ? Que déciderons-nous, par exemple, à l'égard des intérêts, soit conventionnels, réclamés par le demandeur accessoirement à ses 1,500 fr., soit même des intérêts moratoires qui peuvent se trouver dus, en certains cas, antérieurement à la demande intentée? Que déciderons-nous même, non point à l'égard des intérêts ou des fruits antérieurs, mais aussi à l'égard des dommages-intérêts réclamés par le demandeur accessoirement à ses conclusions principales ? Compterons-nous ces accessoires, ou, au contraire, les exclurons-nous de la valeur déterminée pour régler le taux du dernier ressort? Par exemple, une lettre de change n'a pas été payée, le porteur l'a fait protester; il réclame contre le tireur ou l'un des endosseurs, le principal de la lettre de change, qui est de 1,500 fr., plus les frais de protêt, de timbres et autres frais accessoires; dans ce cas, la cause sera-t-elle ou ne sera-t-elle point jugée en dernier ressort?

A cet égard, nous chercherions vainement des raisons de décider dans la jurisprudence; ces questions y ont reçu les solutions les plus opposées. Je ferai remarquer seulement que, dans le texte de l'art. 1er de la loi de 1838, on ne se sert pas précisément du mot de capital, ce qui pourrait jeter plus de doute dans la question; si la loi nous parlait de 1,500 livres de capital, on pourrait soutenir, sans doute, qu'elle n'entend exclure de l'imputation qui fixe la compétence que les intérêts ou les fruits de la somme ou de la chose réclamée ; mais elle se sert

(1) C. d'Orléans, 11 juin 1840 (Dall., Rép., vo Degrés de jurid., no 284).

du mot principal, et ce mot paraît exclure, non-seulement les intérêts ou les fruits, mais tout ce qui ne tient point au fond, à l'intérêt primitif, originaire, de la demande. En un mot, l'expression de principal paraît exclure tous les accessoires. J'inclinerais donc à décider qu'on ne doit imputer sur le montant de la demande ni les intérêts ou les fruits, soit postérieurs, soit même antérieurs à la demande intentée, ni les dommages-intérêts qu'on réclame à raison de faits postérieurs, ou à raison de faits antérieurs à la demande (1).

* La demande principale peut d'ailleurs être accompagnée de demandes accessoires ou incidentes relatives à des intérêts, des fruits échus pendant le procès, à l'exécution par la voie de la contrainte par corps, etc. En général, ces demandes accessoires n'entrent pas en ligne de compte pour la supputation du taux de la compétence. Mais, depuis la loi du 17 avril 1832 (art. 20), dans les affaires où les tribunaux civils ou de commerce statuent en dernier ressort, la disposition de leur jugement relative à la contrainte par corps sera sujette à l'appel.

672. Enfin, sous un autre aspect, l'art. 1er de la loi de 1838 donne lieu à quelques questions assez délicates. Quelles sont ces demandes qui, présentées soit dans l'exploit originaire, soit dans les actes postérieurs, vont concourir pour déterminer le taux de la compétence? Point de difficulté lorsque l'exploit originaire ne contient qu'un seul chef de demande; lorsque je conclus contre vous au paiement de 1,500 fr. que mon père vous a prêtés ou que je vous ai prêtés.

Mais que déciderons-nous lorsque, dans un exploit originaire ou dans des actes postérieurs, le demandeur a réuni plusieurs chefs de demande, qui, isolés, sont inférieurs à 1,500 fr., mais qui, cumulés, dépassent cette somme, le tribunal statuera-t-il alors en premier ressort seulement, ou en premier et dernier ressort?* Ainsi, Paul, mon débiteur de 4,000 francs, a laissé quatre héritiers, chacun pour un quart. La loi divise entre eux la dette; j'ai maintenant quatre débiteurs de chacun 1,000 francs. Il est certain que, si je les actionne séparément, chaque procès sera d'une valeur inférieure à 1,500 fr. et par conséquent sera jugé sans appel. La solution ne doit pas varier si je comprends les quatre demandes dans la même instance. L'intérêt de chaque débiteur n'est que de 1,000 francs; et il ne peut dépendre de moi de rendre le jugement sujet ou non à appel, en comprenant les quatre procès dans une même instance, ou en intentant quatre procès différents (2).

A l'inverse, si mon père vous avait prêté 2,000 fr., et qu'ensuite cette créance, divisée à sa mort entre ses deux fils, se soit réunie sur ma tête, il est difficile de se refuser à ne voir là en réalité qu'une seule et même demande; je vous demande 2,000 fr., que mon père vous a prêtés, encore bien que cette créance ait été un instant divisée par sa mort, réunie qu'elle est maintenant sur ma tête, c'est une demande unique que je forme contre vous, appuyée sur un seul et même titre, appuyée des mêmes moyens (3).

(1) * Je pencherais plutôt vers l'opinion qui considère comme principal tout ce qui est dû au jour de la demande, capital ou intérêt, et se trouve compris dans cette demande. * (2) C. de Poitiers, 7 janvier 1862 (Dall., 1862, 2, 76). — C. de Besançon, 22 janvier 1862 (Dall., 1862, 2, 22 et notes 1 et 2).

(3) C. d'Angers, 26 mai 1859 (Dall. 1860, 2, 32). page suiv.

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V. aussi les autorités de la note 2,

Mais la question peut être plus donteuse lorsque je vous demande, par un exploit unique, 1,000 francs que vous a prêtés mon père, et 1,000 francs que je vous avais prêtés, et dont vous étiez débiteur envers une autre personne dont je suis héritier, légataire, cessionnaire, etc. - Dans ce cas, on pourrait dire que chacune des demandes, étant séparée, détachée, pouvait et devait former, par sa nature, la matière d'un litige et d'un procès distinct, et que la réunion accidentelle, fortuite, dans un exploit commun, de deux demandes parfaitement isolées n'empêche pas que le tribunal ne statue sur chacune d'elles sans appel comme il eût certainement statué sans appel, si on les lui avait soumises successivement et séparément. Cependant il est vrai de dire que nous sommes encore ici dans les termes de l'art. 1er de la loi de 1838 ; que le tribunal est saisi d'une contestation d'un intérêt supérieur à 1,500 francs, d'un intérêt qui peut, par conséquent, supporter les frais d'un appel (1).

Enfin, il est possible que cette réunion de créances, qui dépassent par leur addition le taux du dernier ressort, résulte du concours, dans le même exploit, des prétentions de deux demandeurs. Par exemple, deux individus, créanciers d'un troisième pour une somme de 1,000 fr. chacun, l'assignent ensemble par un même exploit, par une même demande. Dirons-nous ici, que comme, dans chacun des exploits, chacune des demandes, il s'agit de 2,000 fr., la question ne peut être jugée qu'en premier ressort par le tribunal? lci, je ne le pense pas, il y a réellement diversité de demandes ; et surtout il n'y a pour chacune des parties qu'un intérêt inférieur à celui pour lequel la loi a autorisé, a permis l'appel. Que ces deux parties, dans un but d'économie, et aussi parce qu'il y avait analogie, connexité entre leurs prétentions, aient réuni leurs demandes dans un exploit unique, il n'en est pas moins vrai que l'intérêt dont le tribunal est saisi est, à l'égard de chaque partie, un intérêt inférieur au taux du premier ressort, que chacune d'elles n'a dans la cause qu'un intérêt de 1,000 fr., intérêt pour lequel la loi n'autorise pas l'appel (2).

La même décision doit être donnée si, par le même exploit, vous avez attaqué deux ou plusieurs défendeurs, et que vous demandiez à chacun moins de 1,500 fr., comme nous l'avons vu dans l'hypothèse où je demande 4,000 francs aux quatre héritiers de Paul.

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Il en serait autrement si les défendeurs étaient des débiteurs solidaires, ou si l'objet était indivisible (3). * Ainsi j'assigne par le même exploit Primus, Secundus, et Tertius qui m'ont emprunté solidairement 3,000 francs, alors quoique réellement il y ait trois débiteurs, cependant chacun d'eux ayant personnellement, directement, dans la cause un intérêt de plus de 1,500 fr., pouvant être condamné à payer les 3,000 francs, c'est-à-dire une somme supérieure à celle que détermine l'art. 1er de la loi de 1838, nous rentrons dans la règle du premier ressort, l'appel sera recevable.

(1) Cette interprétation a été confirmée par la loi du 25 mai 1838. L'art. 9 dispose dans ce sens pour les justices de paix ; il veut que les demandes diverses soient réunies, pour savoir si leur valeur totale excède ou n'excède pas la compétence des juges de paix. (Note de M. DE LINAGE.)

(2) V. les autorités pour et contre dans Dall. 1858, 1, 193, note 1. V. aussi Cass. 18 janvier 1860 (Dall. 1860, 1, 76).

(3) C. de Cass., Rej. 9 juillet 1862 (Dall. 1862, 1, 325).

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