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de la première rédaction. Celá métîte đone l'attention de la Chambre.

M. Pataille. M. le ple ordinaire. Je dois président vient d'indiquer la question avec să dire seulement qué la commission accorde que fa loi ne doit régir que l'avenir; mais seulement elle conçoit son projet dans des termés qui në conviendraient qu'au cas où elle devrait régir le passé, et qui ne conviennent plus du moment où la loi në regit que l'avenir. Je disais que cette question était identique à celle qui avait été plusieurs fois posée par la commission, et qui a plusieurs fois été jugée par elle. Je vais vous présenter deux précédens les plus formels. Le premier s'est présenté dans la discussion da projet de loi sur la vente des récoltes pendantes par racine. M. Dafaure proposa par amendement de changer la proposition du Gouvernement, et de formuler la loi ainsi que le veut la commission: son amendement fut combattu avec force par plusieurs orateurs et par le garde-dessceaux d'alors; c'était à la fin de décembre 1834. A cette occasion, la question de la portée de l'esprit de la loi de 1828 se trouva soulevée. La Chambre, voulant agir prudemment, renvoya l'amendement de M. Dufaure à la commission, afin d'avoir son avis sur la question spéciale.

Cette commission, après avoir, par l'organe de son rapporteur, exprimé son opinion que la loi interprétative devait régir l'avenir seulement, conclut au rejet de l'amendement, et la Chambre, qui n'avait voulu prononcer qu'en connaissance de cause, adopta l'avis de la commission.

Dans le même temps, la Chambre était saisie d'un autre projet de loi sur l'interprétation de Particle 28 du décret du 1er germinal an 13, relatif aux poursuites en matière de contributions indirectes.

Cette fois, la formule que j'appellerai rétroactive se trouvait dans la proposition du Goavernement. La commission d'alots, par l'organe de son rapporteur M. Sauzet, ne se borna pas à demander le rejet; elle proposa par voie d'amendement une formule opposée, et qui ne laissait aucune prise à l'argumentation en faveur de la rétroactivité.

« Si votre loi devait régir le passé, disait M. le garde-des-seeaux, alors rapporteur, elle enlèverait au prévenu le bénéfice du donte, qui est une sorte de droit acquis en matière pénale. »

Le Gouvernement adhéra à l'amendement de la commission, qui fut sanctionné par le vote de la Chambre, et il ne reste plus qu'à vous faire connaître les termes de cet amendement. On remplaça done cette formule: « La loi doit être entendue en ce sens, " L'arpar cette autre : ticle 28 du décret législatif du 1er germinal an 13 sera remplacé pour l'avenir par lå disposition suivante.

"

Il est vrai qu'on reconnut plus fard à la Chambre des pairs que la rédaction nouvelle offrait un inconvénient en ce que le decret de germinal an 13 était qualifié de décret législatif qui ne pouvait être modifié que par une foi, et l'on craignit d'établir par induction que tous les dé

crets de cette époque ne pourraient être modifiés que par des lois; en conséquence, on mòdifia la rédaction, mais il fat parfaitement entendu que la nouvelle rédaction était dans le même sens, dans le même esprit, dans les mêmes principes, et que c'était un simple changement de rédaction, qui devait être adopté sans difficulté, et qui le fut sans discussion. Après cés précédens si formels, si bien établis, je croirais abuser des momens de la Chambre en insistant davantage pour motiver le rejet que je de

mande.

M. Prévost-Leygonie, rapporteur. Que propose M. Pataille?

M. Pataille. La proposition que je viens de faire est commune aux cinq projets de loi; sur chaque projet en particulier j'aurai d'autres observations à présenter: si la Chambre le désire, je vais de suite entrer dans l'examen du premier projet de loi.

M. le rapporteur. Formulez un amendement, pour que je puisse y répondre.

M. Pataille. Je le formulerai, mais je répète à la Chambre que cette proposition de supprimer le premier paragraphe et de voter tout simplement la disposition, que cette proposition que je fais sera combattue par M. de Golbéry notamment, et peut-être vaudrait-il mieux vider celle question, ou du moins altendre que l'orateur qui doit me réfuterait parlé, avant que j'entretienne la Chambre de chaque projet en particulier, parce qu'ils sont tous différens. Je suis aux ordres de la Chambre, et, si elle le désire, je vais entrer de suite dans la discussion du premier projet de loi, discussion toute spéciale; ou bien je céderai la parole à M. de Golbéry, qui veut établir une doctrine contraire,

M. de Goibéry. Je voudrais que l'honorable préopinant rédigeât sa pensée, pour que je sache ce que je dois combatire.

M. le rapporteur. Le rapporteur désirerait aussi savoir ce qu'il doit combattre, et M. Pataille ne le dit pas.

M. Pataille. J'arrive maintenant à la discussion du premier projet de loi, el je céderai aux désirs de la Chambre et de M. le rapporteur en présentant un amendement, c'est-à-dire une nouvelle rédaction. Ici se présentent des observations particulières sur le fond de la disposition que présente la commission.

Il y a deux manières d'examiner les difficultés produites par un dissentiment entre la Cour de cassation et les cours royales. On peut les examiner sous un point de vue que j'appellerai judiciaire, qui est circonscrit dans le fait particulier, et, comme disent les jurisconsultes, dans l'espèce du procès qui a fait naître le dissenti

ment.

Il y a une autre manière, qui est de généraliser ce fait, de remonter au principe qui a produit la difficulté et qui pourrait en produire d'autres analogues, et de prévenir ainsi le refour non-seulement de procès tout-à-fait idenfiques, mais même de tout procès qui serait, si je puis m'exprimer ainsi, en parenté avec le procès qui a donné lieu à la difficulté.

Eh bien la commission me permettra de lui dire qu'elle n'a examiné la difficulté qui est l'objet du premier projet de loi, que sous le point de vue judiciaire. A mon avis, elle s'est trop renfermée dans l'examen de l'espèce, et même elle ne l'a pas fait connaître exactement et complètement à la Chambre, de telle sorte qu'elle demande de résoudre un doute qui, selon moi, n'a jamais existé, et qu'elle ne propose pas de résoudre la véritable difficulté, et de proclamer le principe sur lequel il y avait véritablement dissidence. Que la Chambre me permette de lui faire connaître le fait.

M. Thil. Vous feriez mieux de faire connaître d'abord votre amendement, on suivrait plus facilement la discussion.

M. Pataille. Eh bien! voici la rédaction que je propose :

Les conducteurs de boissons, requis, conformément à l'article 17 de la loi du 28 avril 1816, d'exhiber les congés, passavans, acquitsà-caution ou laissez-passer dont ils doivent être porteurs, seront tenus de les représenter à l'instant même de la réquisition des employés, et le seul fait de la non-représentation autorisera la saisie, sans que les tribunaux puissent admettre aucun fait d'excuse, si ce n'est ceux de force majeure.

M. le rapporteur. Cela ne se peut pas.

M. Pataille. Voilà où gisait la difficulté, et pour le prouver, permettez-moi de vous faire connaître un exposé plus complet que celui qui a été fait par M. le rapporteur. Il sera très-court. Je le prends dans un de nos arrêtistes, M. Denevers; il n'a que cinq ou six lignes. Vous allez voir que la difficulté n'était pas de savoir si les employés étaient obligés de suivre le délinquant. Il n'existe aucun magistrat qui ait pu penser que les employés étaient lenus de suivre les conducteurs de boissons partout où ils voudraient aller. Voici l'exposé de l'arrêtiste :

Auger conduisait deux pièces de vin blanc; un congé lui avait été délivré par le receveur; il fut arrêté par deux employés de la régie qui lui demandèrent son laissez-passer; il répondit qu'il n'en avait pas; puis, presque aussitôt, et après que les employés eurent déclaré que son vin était saisi, il tira de sa poche un papier plié et dit aux employés de le suivre, que s'il avait refusé de montrer son expédition, c'est qu'il ne les connaissait pas.

Alors, l'un des employés dressa un procèsverbal, après avoir vu néanmoins qu'Auger était en règle, et ce fait a été établi par le témoignage de trois personnes, et reconnu par l'arrêt de la cour d'Agen, confirmatif du jugement.

C'est par ce motif que la cassation a été prononcée; je vais vous faire connaître le texte même de l'arrêt de la Cour de cassation, ou du moins ses derniers paragraphes qui portaient sur la difficulté.

La Cour de cassation a cassé, parce qu'au lieu d'appliquer les peines de la contravention constatée, la Cour, en maintenant le jugement, avait confirmé une preuve testimoniale qui était interdite par le réglement de germinal an 13, autre36. -re Partie.

ment que par l'inscription de faux; que s'il y avait dans l'espèce des faits et des circonstances qui pussent atténuer, ou même détruire la contravention, il n'appartenait qu'à l'administration de les apprécier, ayant seule le pouvoir de modifier les peines et même d'en faire remise.

C'est sur ce dernier principe qu'il y avait dis'cordance; c'est cette discordance qui se reproduit encore dans un des projets de loi qui vous sont présentés, celui relatif à l'exercice sur les marchands en gros.

Le tribunal avait apprécié le fait d'excuse qui atténuait la contravention, le fait de bonne foi. La Cour de cassation a répété dans plusieurs circonstances ce principe aujourd'hui reconnu, que les tribunaux ne pouvaient nullement apprécier les faits autres que ceux qui étaient dans le procès-verbal lui-même. La Cour de cassation n'a pas même permis dans certaines circonstances de justifier le fait par des assertions puisées dans le procès-verbal lui-même; à plus forte raison par des témoignages pris en dehors du procès-verbal.

Je dis donc que si vous voulez faire une loi interprétative, une loi qui résolve la véritable difficulté, il faut proclamer ce principe qui était alors contesté, et qui aujourd'hui est reconnu. Je dis qu'il est tout-à-fait inutile, qu'il est superflu, qu'il est honteux de faire une loi qui ne résout rien, qui ne décide pas le point de la difficulté. Votre loi proposée ne dit pas plus la que loi elle-même. M. Prévost-Leygonie, rapporteur. Comparez done les textes.

M. Pataille. Elle ne dit positivement rien de ce qui a fait la véritable difficulté, du principe qui a produit le dissentiment. Dans l'espèce que je viens de citer, les conducteurs de boissons avaient présenté un acquil-à-caution, mais ils l'avaient présenté de mauvaise grace, les employés n'en ont pas moins dressé procès-verbal. La cour d'Agen avait pris les élémens de la décision en dehors du procès-verbal, et dans les témoignages, elle ne devait pas apprécier des faits d'excuse et de bonne foi: c'était à l'administration à le faire, en vertu de son pouvoir de transiger. Si vous voulez faire une loi véritablement utile, c'est celte appréciation des faits d'excuse qu'il faut interdire.

J'ai ajouté dans mon amendement que le tribunal pouvait cependant apprécier des faits de force majeure et contraires à la volonté des conducteurs, parce que telle est la jurisprudence consacrée par la Cour de cassation, qu'il est nécessaire de maintenir. Je cède maintenant la parole à M. de Golbéry.

M. Isambert. Relisez l'amendement.

Autres voix Formulez cette proposition. M. le président. Si l'on ne conteste pas le changement du fond de l'article, pourquoi en changerez-vous la forme?,

M. de Golbéry. Je ne discute pas sur le fond de l'amendement de M. Pataille, mais je conteste la forme qui consiste à supprimer dans chacun des projets de loi cette formule :

4

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L'ar

ticle..... de la loi du..... doit être entendu en ce

sens. »

L'honorable préopinant demande que l'article soit rédigé en style direct, et qu'il y soit dit: désormais les voituriers seront soumis à représenter les passe-avant qu'on leur demandera.

Je ne m'occupe pas de cette partie de sa discussion, non plus que des voituriers, mais bien des principes du droit, et des conséquences de la loi de 1828, qui me paraissent fort graves et fort importantes.

La commission propose de déclarer que ladoi de 1816 doit être entendue en ce sens. Je dis qu'en se servant de cette formule, la commission a été l'interprète fidèle des véritables principes. Le préopinant est monté à la tribune pour soutenir que la loi de 1828 enlève au législateur le droit de faire des lois d'interprétation; je soutiens, au contraire, que cette loi de 1828, loin d'anéantir ce droit, l'a consacré. Je sais bien qu'on soutient qu'il est résulté de la discussion qu'il n'y aurait plus de dispositions interprétatives. Selon moi, c'est une grave erreur; ce qui est écrit dans une loi est obligatoire; mais ce qui se dit dans la discussion est fugitif. M. Molé, il est vrai, a dit dans l'autre Chambre que la loi ne devait jamais régir le passé, et le préopinant dans celle-ci a parlé dans le même sens; mais je lis dans la loi de 1828, art. 2, que, dans le cas où un conflit judiciaire s'élèverait entre la Cour de cassation et les cours royales, il en sera référé au Roi pour qu'il fasse présenter une loi interprétative: l'art. 3 parle aussi d'une loi interprétative; ces deux articles ont été votés; ce ne sont pas de simples opinions. Je lis dans la suscription de la loi: Loi relative à l'interprétation des lois. Il est donc bien certain que, par la loi de 1828, le législateur a donc voulu qu'il fût fait des lois interprétatives, puisque lui-même l'a déclaré formellement dans deux articles de loi, puisqu'il a établi une corrélation intime entre la loi interprétative et la loi interprétée. Autrement, je ne concevrais pas pourquoi la loi de 1828 aurait été faite; c'était évidemment pour faire remonter la loi interprétative à la loi interprétée, et pour maintenir, à cet égard, les principes qui gouvernent le monde depuis deux mille ans.

Je prie la Chambre de me permettre un coupd'œil rapide sur la législation à cet égard. Tout le monde connaît les rescrits des empereurs et les déclarations de nos rois. L'assemblée constituante institua le droit déclaratoire et réserva au pouvoir législatif le droit d'interprétation, et souvent elte en usa.

La constitution de 91 et celle de l'an 3 ont toutes deux consacré les mêmes principes; toutes deux conservé au pouvoir législatif le même droit. Depuis la constitution de l'an 3 jusqu'au vote du Code civil, il n'y eut pas de discussion marquante à cet égard.

Mais, à l'époque où fut discuté le Code civil, on proposait d'ajouter à l'article 2 un paragraphe qui exprimât formellement que la loi interprétative régissait le passé. MM. de Portalis, Tronchet et Bigot de Préameneu étaient les auteurs du projet du Code civil. Je prie la Cham

bre d'accorder quelque attention à l'opinion de ces jurisconsultes illustres dont la France honore à juste titre la mémoire :

«En général les lois n'ont point d'effet rétroactif, ce principe est incontestable; nous avons pourtant limité ce principe aux lois nouvelles, et ne l'avons point étendu à celles qui ne font que rappeler ou expliquer les anciennes lois. Les erreurs ou les abus intermédiaires ne font pas droit, à moins que dans l'intervalle d'une loi à l'autre ils n'aient été consacrés par des transactions ou par des jugemens en dernier

ressort. "

Cette opinion de MM. de Portalis, Tronchet et de Préameneu, fut adoptée dans le Conseild'Etat. Voici ce qu'en rappelait M. Amat dans la discussion de la loi de 1828:

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Dans le projet du Code civil, en 1802, on avait placé à la suite de l'article 2, qui proscrit l'effet rétroactif, une disposition portant: Qu'une loi explicative d'une autre loi précédente réglait même le passé, ce qui indiquait que ce " n'était point là une rétroaction véritable. Toutes les cours du royaume consultées, une seule manifesta des doutes; mais les autres "reconnurent unanimement la non-rétroacti«vité. Le Conseil-d'Etat, où siégeait un des hommes les plus savans et les plus recom"mandables que la France ait produits, M. Por" talis père, eh bien! le Conseil-d'Etat décida que la non-rétroactivité était évidente, et que « ce serait inutilement charger le Code, que d'y insérer un principe aussi incontestable.

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Le principe de non-rétroactivité, dans une loi interprétative, est évident pour tout le monde. Que fait le législateur quand il interprète? Il prend la loi ancienne, l'interroge, l'examine, en exprime en quelque sorte le sens caché qu'elle renfermait. Il n'y a pas là d'effet rétroactif, car l'erreur ne peut faire droit: il s'ensuit que les faits nés sous l'empire d'une autre loi doivent être régis par elle tant qu'une transaction ou un jugement passé en force de chose jugée n'a pas épuisé le droit à leur égard. La loi du 16 septembre 1807 ne fait que confirmer, quant à l'interprétation, l'état de la législation antérieure, mais elle a violé tous les principes en confisquant au profit du Conseil-d'Etat le droit d'interprétation des lois, usurpation contre laquelle on réclama dès que nos institutions constitutionnelles nous furent rendues. En 1814 les Chambres revendiquèrent ce droit qui leur appartenait, mais ce ne fut qu'en 1828 que le Gouvernement présenta une loi sur l'interprétatiun des lois. Elle a changé quelque chose au droit ancien, je le reconnais, mais elle n'a pas créé l'innovation que l'honorable préopinant lui attribue; elle n'a innové qu'en ce point, qu'autrefois l'interprétation authentique terminait les procès, ce qui était un abus, puisque cela transportait le pouvoir judiciaire au pouvoir législatif.

La loi de 1828 n'a pas voulu que le législateur fût préoccupé d'intérêts particuliers, elle a renvoyé aux tribunaux les contestations, elle a réservé pour le législateur le droit de faire décider législativement. C'est à tort qu'on prétend

qu'il résulte de ce systême pour les cours royales une suprématie qui met leurs arrêts audessus de ceux de la Cour de cassation; car le troisième arrêt de cour royale, celui qui termine le procès, ne fait pas jurisprudence. La question, sous le rapport du droit, reste tout en tière. La cour royale est souveraine pour juger la cause d'après les principes et d'après l'équité. Le procès est fini, mais jamais cet arrêt ne fait jurisprudence. Ceux qui critiquent sous ce rapport la loi de 1828, n'ont pas aperçu qu'il y avait corrélation intime, forcée, entre la souveraineté relative du troisième arrêt de la cour royale et l'obligation absolue du référé, c'est-àdire la nécessité d'une interprétation législative. Très-souvent, comme cela va arriver tout-àl'heure au sujet des cinq projets qui nous sont soumis, cette interprétation fera triompher l'opinion de la Cour de cassation, mais du moins elle sauvera les cours royales d'une dépendance incompatible avec la dignité des corps judiciaires.

Maintenant on peut fausser le sens de la loi existante; mais de quels argumens se sert-on ? C'est que la discussion de la loi de 1828 était contraire à son texte. On invoque des opinions isolées, comme si l'on votait des opinions! Mais, s'il en était ainsi, à l'opinion de l'honorable M. Pataille, et à celle de M. le comte Molé dans l'autre Chambre, j'opposerais celle de M. de Cormenin, qui disait que la loi déclare et n'attribue pas; celle de M. Voysin de Gartempe, qui rappelait que cette règle gouverne le monde depuis deux mille ans. Vous voyez qu'on ne peut prendre dans une discussion que des opinions isolées, dont il ne doit rien rester; et, en général, d'une discussion il ne résulte que la loi: or, celle de 1828 se qualifie elle-même d'interprétative, c'est un caractère qu'on ne peut lui enlever. On dit que nous ne pouvons faire des lois interprétatives, parce que le législateur est aujourd'hui tripartite, parce qu'il n'y a pas unité dans sa personne, et que par conséquent il n'y a pas de tradition héréditaire, pas de sée suivie; mais cette objection ne prouve rien, précisément parce qu'elle prouve trop; le législateur était multiple quand l'assemblée constituante et la constitution de l'an 3 retinrent ce mode d'interprétation Il était multiple en 1814, quand les Chambres le réclamèrent; il était tripartite en 1828, quand on a voté la loi qui nous régit aujourd'hui.

pen

Mais, dira-t-on, c'est une consultation, et il faudrait des jurisconsultes pour la décider. Cette objection est aussi facile à écarter que la précédente; car elle s'appliquerait tout aussi bien à toute loi nouvelle qui exige des connaissances spéciales. Et cependant nous en faisons tous les jours sur lesquelles nous nous en rapportons aux hommes spéciaux que nous plaçons dans les commissions, autant que nos débats politiques nous permettent d'apporter de l'impartialité dans nos choix. Cette objection n'est donc d'aucune valeur.

On se récrie sur l'inutilité des lois interprétatives, et l'on dit; Voyez: il existe plus de cin

quante référés à la Cour de cassation, sans qu'il soit nécessaire d'en vider un seul ! J'en conviens, mais ces référés portent sur des questions la plupart correctionnelles, où il n'est pas fort intéressant pour la société qu'il intervienne une décision, car le ministère public peut abandonner les poursuites. Mais qu'il s'agisse, par exemple, de questions de droit civil; qu'au lieu d'un débat entre l'administration des impôts indirects et des voituriers, il y ait lieu de statuer sr la validité d'une adoption, ou bien encore sur le régime hypothécaire, que des cours royales aient décidé, comme cela est arrivé, qu'on pourrait adopter un étranger, et que la Cour de cassation ait dit qu'on ne le pouvait pas; que deux autres cours aient persisté dans ce premier systême, et votre référé, qui aujourd'hui est indifférent, sera de la plus haute importance; car vous ne pouvez pas abandonner aux hasards de l'interprétation judiciaire cent autres faits semblables, tous nés sous l'ancienne loi, mais dont aucun n'est accompli, parce que, pour être accompli, il faudrait qu'il y eût jugement, ou qu'il fût intervenu une transaction. Que l'on demande, par exemple, si l'on peut reconnaître un enfant naturel par testament olographe? la Cour de cassation jugera d'une manière et les cours royales de l'autre; il faudra bien en référer au législateur, sous peine d'abandonner aux incertitudes du jugement des hommes une multitude de cas semblables, qui seront décidés en sens divers et souvent d'une manière contradictoire, sans règle certaine pour l'avenir.

Encore une dernière considération qui me semble d'un très-grand poids. Si vous n'admettez pas que la loi interprétative régisse les faits passés sous l'empire de la loi ancienne, si vous ne voulez pas de la formule: La loi doit être entendue en ce sens, vous tomberez dans cette étrange contradiction, que l'interprétation spéciale subsisterait à côté de votre interprétation authentique qui ne liera point les tribunaux, et ceux-ci pourront en adopter une toute contraire, et donner un démenti à la sagesse du législateur, en interprétant autrement qu'il ne fait lui-même. C'est une chose inadmissible. Je crois donc que, par toutes ces raisons, il faut maintenir à la loi du 30 juillet 1828 sa véritable interprétation, qu'il faut conserver l'article de la commission, tel qu'il est écrit dans la loi.

M. Moreau (de la Meurthe). Messieurs, en demandant la parole, mon intention est de ramener la question à ses véritables termes.

C'est une grave difficulté que celle de savoir si, d'après la législation actuelle, le Gouvernement peut encore proposer des lois interprétatives proprement dites, quel doit être l'effet de ces lois interprétatives.

Ces questions ne devraient être résolues qu'avec soin, qu'avec calme, et lorsqu'elles auraient été soumises à l'examen des bureaux et à un travail étudié des commissions.

De quoi s'agit-il? Il ne s'agit pas d'une loi interprétative qui puisse avoir des résultats bien graves et bien importans. Il s'agit d'une foi interprétative relativement à quelques dispositions

d'une loi de finances, de la loi du 28 avril 1816. Et il me semble que la commission a fait sur ce point tout ce qu'elle a pu, tout ce qu'elle devait faire. La commission a exprimé des doutes relativement aux effets de lois interprétatives en thèse générale et en doctrine; mais, d'un autre côté, elle a reconnu que, depuis la loi de 1828, la loi interprétative ne devait avoir d'effet que sur l'avenir et non sur le passé; elle s'est exprimée ainsi relativement aux projets qui lui ont été soumis, projets, comme je l'ai dit, peu importans par eux-mêmes, et peu importans par leurs conséquences.

Eh bien! admettons le travail de la commission, disons avec elle que les articles de la loi du 28 avril 1816 seront entendus dans le sens qu'elle indique, mais avec cette restriction, que cette décision ne portera que sur l'avenir, et que relativement au passé les tribunaux resteront maintenant dans une position libre et ne jugeront que d'après les termes des dispositions de la loi du 28 avril 1816, qu'ils interpréteront à leur gré.

M. Pataille a cru trouver des inconvéniens dans le systême de rédaction de la commission. Il a présenté une nouvelle rédaction des articles de la loi de 1816. Il les a modifiés. Ce serait une grande difficulté d'avoir à se prononcer sur la convenance de ces modifications.

Je crois qu'il faut s'arrêter à l'objet que s'est proposé l'administration des impôts indirects, de lever les simples difficultés qui se sont présentées devant les tribunaux. Il faut lever ces difficultés dans le sens indiqué par la commission et avec les restrictions qu'elle a elle-même posées dans son rapport.

Resteront entières les contestations relatives à des faits antérieurs qui seront jugés d'après la loi de 1816; restera aussi entière la question de savoir si, même depuis la loi du mois de juillet de 1828, le Gouvernement ne peut pas proposer de loi interprétative proprement dite, avec effet sur le passé. Tous ces points seront réservés, et les difficultés qui s'étaient présentées seront résolues.

(M. le président donne une nouvelle lecture de la rédaction de M. Pataille).

M. Pataille. Je prie la Chambre de remarquer que cette rédaction est tout-à-fait dans le sens de la dernière rédaction de la Chambre des pairs, rédaction qui a été adoptée par la Chambre des députés et convertie en loi, c'est-à-dire de se référer dans les termes mêmes de la rédaction à la loi que l'on interprète. Ainsi l'on a dit alors: Dans les cas prévus par l'art. 28 de la loi de germinal an 13; et je vous propose de dire aujourd'hui: Les conducteurs de boissons requis conformément à l'art. 17 de la loi du 28 avril 1816. "

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M. Sauzet, garde-des-sceaux. Messieurs, la difficulté ne porte en définitive que sur une rédaction, car tout le monde est d'accord sur le fond, en ce qui touche le projet actuel; il est important de ne pas perdre de vue cette observation.

En principe général, le droit d'interpréter d'une manière doctrinale et obligatoire les lois appartient à la puissance législative; il lui a toujours appartenu; il fait une portion inhérente de ses prérogatives. En 1828, la loi du 30 juillet a été rendue sous l'empire des dangers que peuť présenter une législation interprétative proprement dite qui peut avoir effet même sur le passé. Sans doute ce n'est pas la rétroactivité proprement dite, car la loi nouvelle s'incorpore avec la loi interprétée; mais il y a même les apparences de la rétroactivité qu'il fautsoigneusement éviter, à moins de nécessité grave. Aussi la discussion de la loi de 1828 ne laisse aucun doute sur cette pensée, que la seule obligation qui soit imposée au pouvoir législatif, dans le cas de réteré introduit par suite de la dissidence entre les cours royales et la Cour de cassation, c'est de faire cesser les difficultés pour l'avenir, par une loi nouvelle. Cette loi peut même être complètement différente des opinions diverses qui avaient partagé la Cour de cassation et les cours royales.

Voilà l'esprit de la loi du 28 avril 1816, et c'est l'esprit de la loi de 1828. Mais je puis dire que ce sont aussi les précédens de la Chambre, car, l'année dernière, les deux Chambres ont voté et le roi a promulgué une loi destinée à mettre fin à une obscurité reconnue sur l'interprétation de l'art. 50 du décret du 1er germinal an 13. Il s'agissait de savoir si une assignation devait être donnée dans le délai de huitaine, ou de trois ans. La Cour de cassation croyait qu'il fallait un délai de trois ans; les cours royales, un délai de huitaine. Dans ce conflit, qu'avezfait?

Une loi nouvelle, dans laquelle trouvant le délai de trois ans trop long, et le délai de huitaine trop court, vous avez fixé le délai de trois mois; vous avez reconnu que vous n'avez pas d'autre obligation que celle de faire cesser les incertitudes pour l'avenir par une loi nouvelle. Ce point bien fixé, il est bien entendu qu'il ne s'agit pas entré nous de disputer le droit qui a demeuré au Gouvernement d'user, quand il le voudrait, conjointement avec les Chambres, de la plénitude de la puissance législative; il s'agit uniquement de discuter la loi de 1828, et de savoir si les dispositions qu'on vous propose auront effet pour le passé, ou seulement pour l'avenir. Sur ce point, toutes les opinions sont d'accord. La commission ne veut d'effet que pour l'avenir, et M. de Golbéry, si je ne me trompe, ne voudrait pas non plus qu'il y eût rétroactivité pour le passé. Nous sommes donc tous d'accord, et je n'en suis pas surpris, car il s'agit d'un projet de loi en matière pénale, et il faut éviter l'apparence même de la rétroactivité.

Nous voilà donc d'accord sur ce point, que tous nous voulons obtenir une loi qui lève les incertitudes pour l'avenir, et n'agisse pas sur le passé. Il ne s'agit donc que d'une question de rédaction.

On a fait observer qu'il était à craindre que ces mots, par lesquels commence l'art. 17 de la loi, ne donnassent à penser à quelques tribunaux que c'était une loi véritablement interprétative avec effet sur le passé.

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