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tait et gazouillait sous ce toit frais et embaumé, formé de branches entrelacées, dont les feuilles s'allongeaient comme des sabres. A ce moment s'éleva un vent violent qui tourna les pointes de ces feuilles vers les différentes villes de l'univers, et principalement vers Constantinople; cette ville, située à la jonction des deux mers et des deux continens, ressemblait à un diamant enchâssé entre deux saphirs et deux émeraudes, et paraissait ainsi former la pierre précieuse de l'anneau d'une vaste domination qui embrassait le monde entier. Osman allait mettre l'anneau à son doigt lorsqu'il se réveilla. »

Je n'ai pas le temps de parler des conquêtes d'Osman dans le territoire voisin du mont Olympe, et dans les environs de Nicée. Le fondateur de l'empire turc mourut à Sugut, à l'âge de soixante-dix ans, en 1326. Peu d'instans avant son trépas, il apprit que son fils Orkan venait de conquérir Brousse, capitale de la Bithynie, et la dernière joie d'Osman fut de s'endormir dans la tombe au bruit d'une grande victoire. A son lit de mort, il avait demandé que ses restes fussent transportés à Brousse; Osman voulut que ses cendres reposassent dans la cité toute remplie de la gloire de son fils.

BAPTISTIN POUJOULAT.

ÉCRIVAINS CONTEMPORAINS.

III.

M. DE BALZAC.

Une Fille d'Eve.'

Il y a de cela cinq ou six ans, M. de Balzac imagina un singulier moyen de se soustraire à la juridiction souveraine de la critique; il déclara hautement, avec un sang-froid imperturbable, que ses romans ne pouvaient pas être jugés en dernier ressort, ni même d'aucune façon, par la critique existante, attendu que ces romans n'étaient point des œuvres distinctes les unes des autres, rivales, pour ainsi dire, procédant chacune d'une inspiration particulière et arrivant à

(1) Après la brillante et spirituelle appréciation consacrée par M. Janin dans cette Revue à Un Grand homme de province à Paris, nous avions résolu de n'accueillir que par le silence les productions multipliées de M. de Balzac. Cette raison nous avait fait renoncer jusqu'à ce jour à la publication de l'article de notre jeune collaborateur sur Une Fille d'Ève. Il n'a fallu rien moins que les nouvelles excentricités dont les journaux ont retenti pour nous décider à l'insertion d'un travail dont la sévérité est, du reste, toute littéraire. (N. du D.)

des conclusions essentiellement diverses, mais bien autant de fragmens d'un monument gigantesque, autant de pierres indispensables d'un colossal palais littéraire où il voulait loger son pays. Médiocrement irritée de cet arrêt d'incompétence dont on la frappait, la critique se contenta de hausser doucement les épaules en signe de pitié indulgente; puis, pour montrer qu'elle était sans rancune, elle ne se hasarda qu'avec des ménagemens incroyables à examiner la valeur absolue des pierres taillées par M. de Balzac, se réservant d'en discuter la valeur relative, en même temps que le mérite d'ensemble, dès que le palais serait achevé. Malheureusement, il semble en être du palais littéraire de M. de Balzac comme de ces monumens publics qui, commencés sous un règne, continués avec lenteur sous un autre règne, demeurent à l'état imparfait durant tant de lustres, que les générations survenantes, prenant pour des ruines ces charpentes vermoulues et disjointes, les livrent sans regret à la rouille du temps et de l'oubli. M. de Balzac n'avoue pas l'abandon de ses magnifiques projets, certes! Au contraire, chaque fois qu'il roule sur la place publique une pierre de son édifice, c'est à son de trompe, à grand bruit de préface, et en ayant un soin tout spécial d'annoncer que, si le temple n'est point terminé encore, cela tient uniquement à l'immensité du plan conçu. Un an, deux ans tout au plus, et la foule pourra prendre enfin possession définitive de la demeure que lui bâtit M. de Balzac. Chaque année, cependant, le terme fixé recule; si bien qu'à cette heure, M. de Balzac ne paraissant pas savoir lui-même au juste combien d'années nouvelles lui sont nécessaires, en raison des agrandissemens et embellissemens nouveaux qu'il projette, la critique, perdant enfin patience, prend la liberté d'interroger l'architecte pour savoir à quoi s'en tenir sur l'édifice en question.

Laissant ici le style métaphorique, et abordant le sujet franchement, nous avouerons naïvement à M. de Balzac que nous ne croyons pas à la sincérité de ses ambitieuses promesses; car, après quelques minutes de réflexion, nous sommes arrivé à soupçonner que le chimérique espoir dont il nous berce pourrait bien n'être qu'un ingénieux stratagème pour distraire notre attention de son impuissance et de ses défauts. En effet, pendant que de pauvres lecteurs naïfs tâchent, à chaque œuvre nouvelle, de pénétrer l'idée générale de M. de Balzac, M. de Balzac, riant sous cape, se dispense de donner une conclusion à ses livres, sous le spécieux prétexte que la conclusion arrivera plus tard, ailleurs. Or, comme ce qu'il y a de plus difficile, en littérature de même qu'en politique, c'est de conclure;

comme le dénouement d'une invention dramatique est précisément ce qui nécessite le plus d'efforts, ce qui exige le plus d'art et de mérite, par l'excellente raison que toutes les parties qui précèdent le dénouement d'une œuvre sont simplement les degrés successifs de l'émotion attendue et promise, il arrive que M. de Balzac, tout en prenant les airs d'un Atlas sur les épaules duquel pèse un monde, ne porte en réalité que les trois quarts au plus du simple fardeau qu'il devrait porter; il arrive que M. de Balzac, tout en se posant en homme à conceptions formidables, emploie son temps à des préparatifs éternels qui n'aboutissent jamais à rien. Un autre avantage réel et incontestable que présente à M. de Balzac son innocente ruse de guerre, c'est de lui fournir, pour chacune de ces compositions diverses, des personnages tout trouvés, qu'il n'a plus, par conséquent, la difficulté de présenter au public, ni la peine de peindre. Il est vrai que le lecteur, n'étant pas obligé d'avoir lu toutes les productions de M. de Balzac, peut se trouver souvent très embarrassé, au milieu de personnages qu'on lui donne comme d'anciennes connaissances, et dont il ignorait jusqu'au nom la veille; mais ici M. de Balzac triomphe encore et s'applaudit sans doute du succès de son ingénieux stratagème, puisqu'en pareille occurrence, pense-t-il, on sera nécessairement obligé de lire ses précédens ouvrages, ce qui servira du même coup tous ses intérêts, spirituels et temporels, moraux et matériels, ses intérêts de vanité et ses intérêts pécuniaires. Arrivé à ces conséquences, l'artifice de M. de Balzac change de nom; l'adresse, jusqu'à un certain point excusable, du romancier qui veut dissimuler sa faiblesse, devient charlatanisme de spéculateur.

A ceux qui conserveraient encore quelque illusion sur les promesses de M. de Balzac, nous présenterons une observation à laquelle nous ne croyons pas qu'il y ait réponse. Nous leur demanderons s'ils croient à la possibilité d'un monument, littéraire ou autre, dont les parties se déplacent incessamment, se substituent les unes aux autres sans raison évidente, dont l'équilibre et l'économie, en un mot, sont perpétuellement remis en question. Nous leur demanderons si, la main sur la conscience, ils peuvent avoir grande confiance en un architecte qui change hebdomadairement la distribution de son œuvre, qui bouleverse chaque semaine ce qu'il a fait et donné comme définitif la semaine précédente, dont la volonté, livrée sans cesse à des projets qui se heurtent, sans cesse en travail de combinaisons qui se contredisent, transforme une façade philosophique en un parquet parisien ou en un plafond intime, du soir au lendemain.

Personne, assurément, parmi les admirateurs les plus aveugles de M. de Balzac, n'hésiterait à dire avec nous, le cas échéant, que la confusion des idées est le plus triste des augures, et qu'il n'y a aucun fond solide à faire sur la versatilité de l'esprit. Notre opinion serait partagée avec d'autant moins de réserves par les admirateurs de M. de Balzac, que M. de Balzac lui-même deviendrait leur chef de file en cette occasion, lui qui n'a pas écrit un seul livre sans une préface où il explique à satiété de quelle importance il est, pour l'intelligence de son œuvre, de ne pas confondre les divers fragmens dont l'œuvre est composée. Le monument qu'il édifie, s'écrie-il sans relâche, a quatre côtés importans; qu'on y prenne garde! Les Scènes de la Vie parisienne, les Scènes de la Vie de Province, les Scènes de la Vie privée et les Scènes de la Vie de Campagne, sont tout simplement les quatre murailles fondamentales du temple appelé Études de Mours; voilà ce qu'il ne faut jamais oublier, si l'on veut saisir le fil de ses idées et les entrevoir d'avance. 'A merveille! Mais alors M. de Balzac nous confiera-t-il le motif secret qui le pousse à donner d'incessans et grossiers démentis à ses théories et à ses programmes? nous dira-t-il par quelle série d'idées contradictoires il arrive, lui qui professe les vrais principes de l'architecture littéraire, à se rendre précisément coupable des fautes qu'il proclame impardonnables, les fautes de transposition et de confusion? M. de Balzac nous accusera vainement ici de mauvaise foi et d'injustice. Trouvant tout simple qu'avec des préoccupations pullulantes, au milieu de mille projets en germe ou en ruine, un écrivain ne puisse, du premier coup, se rappeler dans leurs moindres détails tèls ou tels'de ses actes, nous lui pardonnerons volontiers sa mauvaise humeur. Après quoi, remuant avec lui les cendres de tant de résolutions avortées, venant au secours d'une mémoire malade de fatigue, nous lui rappellerons que les Chouans ét César Birotteau, donnés comme parties des Contes philosophiques, à l'époque où fut écrite la préface de la seconde édition du Père Goriat, ont pris rang, depuis, d'après un devis publié, en manière d'ordre du jour, dans une autre préface: César Birótteau, parmi les Scènes de la Vie privée; les Chouans, parmi les Scènes de la Vie militaire; provisoirement encore, sans doute, et en attendant mieux. Nous lui rappellerons que la Femme à deux Maris, autrement dit le Colonel Chabert, n'a pas cessé de figurer dans les Scènes de la Vie privée, malgré la nécessité qu'il y aurait, par respect pour le bon sens et la logique, à l'introduire dans les Scènes de la Vie militaire; que Madame Firmiani, personnification de la conscience, au dire de l'auteur, re

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