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parlons aujourd'hui? Il est permis d'en douter, à moins qu'à force de concessions il ne se fût affilié à quelque société frondeuse tenant ses états en plein vent sur les bancs verts d'un café.

La politique est là ce qu'elle est presque partout ailleurs dans cette belle Provence des papes et du roi René, c'est-à-dire tranchante et absolue. Elle était la même sous la restauration et sous bien d'autres gouvernemens. C'est une politique ayant toujours un sabre à la main. Vous dites: La droite a raison; la gauche n'a pas tort; le centre n'a ni tort ni raison; la réforme est bonne; la réforme est dangereuse; le gouvernement est juste, il est injuste; les choses vont mal, les choses vont bien; vous cherchez un biais, unmoyen quelconque de vous faire une opinion; vous prenez et laissez des couleurs, vous essayez de toutes les gammes, vous touchez toutes les notes; vous faites de grands frais, vous vous épuisez, vous bâtissez un Panthéon où chaque divinité politique a son autel.... fort bien! vous n'aurez cependant pas une seule voix pour vous à l'aréopage des bancs verts en plein vent; vous n'avez rien dit qui ne soit une sottise; vous n'êtes qu'une pauvre intelligence par conséquent, et cela par mille raisons: la première, c'est que vous n'êtes pas d'Avignon. Il est inutile de vous dire les autres.

Dans le pays dont j'ai l'honneur de vous parler aujourd'hui, la société ressemble beaucoup à ce qu'elle est partout dans le midi de la France, avec cette différence cependant que les hautes classes des habitans du comtat ont un goût déterminé pour les jouissances du monde. Avignon fut autrefois une joyeuse ville pour l'aristocratie, le gouvernement pontifical n'y était pas aussi dévot que bien des gens ont voulu le faire croire depuis. Monseigneur le vice-légat était plutôt un vice-roi qu'un cardinal; il avait sa cour et de fort belles dames à ses fêtes. La cour de Rome était représentée au palais des vice-légats avec toutes les délicatesses permises et ce tact admirable qui ne l'abandonne jamais dans le faste et les solennités mondaines. On a beau dire, les prélats catholiques ont seuls le secret de tempérer, à un juste degré, la sévérité du caractère par l'aménité et l'élégance de la forme; le haut clergé français eut de tout temps cette réputation, la cour d'Avignon ne lui cédait rien sur ce point; le vice-légat avait done sa maison civile et militaire comme il avait sa chapelle. Et pourtant savez-vous dans quelle formidable et gigantesque forteresse résidaient les éminences qui représentaient Rome? Jamais prince suzerain du moyen-âge ne s'est enfermé dans un manoir plus menaçant. Le roc taillé à pic fait la moitié des frais des murailles de cet auguste palais qui date de Jean XXII en 1319, qui fut agrandi et presque reconstruit par Benoît XII, et achevé par Clément VI en 1349. Il est grand comme une ville; il a des murs si élevés, des angles si menaçans, des arcs de voûte si audacieux, que le premier mouvement est de reculer devant lui; on y voit des fenêtres allongées comme des fers de lance, et là haut, au sommet de ses tours, des gorgones aux larges gueules qui ont l'air d'aboyer contre les nuages. C'est là, c'est dans ce palais qui, à l'extérieur, ressemble à une prison construite pour des géans, que se sont suc

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cédé, depuis le XIVe siècle jusqu'en 1789, des princes de l'église aussi remarquables par leur grandeur temporelle que par leur puissance spirituelle. Là des princes venaient humblement recevoir l'investiture de leurs états des mains du saint père. Là, vint se faire couronner roi de Naples par Clément V Robert, fils de Charles II; là, Clément VI donna la couronne des îles Canaries à Louis de la Cerda. Vers la même époque d'autres souverains vinrent baiser dans ce beau palais l'anneau du pape : Jean de Luxembourg, roi de Bohême, son fils Charles IV, depuis empereur, et d'autres que j'oublie. Un jour, n'y vit-on pas arriver des ambassadeurs du roi d'Arménie et celui du grand khan des Tartares? Mais qui pourrait, en voyant cette résidence pontificale, ne pas donner un souvenir à Pétrarque? Ce fut bien là qu'au milieu de tant de nobles beautés il rencontra Laure pour la première fois. Il paraît que le pape Grégoire XI ne se décida à quitter Avignon pour Rome que sur les instances de sainte Catherine de Sienne. Depuis lors (1376), le palais ne fut plus occupé que par des légats ou par des vice-légats dont il a gardé le nom.

Il n'est donc pas étonnant que des traditions de cour se soient perpétuées dans la haute classe d'Avignon, et que l'on rencontre encore parmi les dames de la ville des individualités charmantes qui rappellent Laure et les comtesses du XIVe siècle. En général, l'opinion politique de l'aristocratie avignonaise est un légitimisme gourmé. Cependant, chose étrange, cette opinion est bien plus tempérée dans cette classe que dans la bourgeoisie, et surtout parmi le peuple. Du reste, la politique est là en décadence comme partout. Les intérêts locaux et individuels ont submergé bien des illusions et des espérances. On en appelle beaucoup à l'avenir; c'est renoncer au passé et abdiquer le présent.

La cour de Rome autrefois fut un peu prodigue de titres dans le comtat. La noblesse n'y est pas moins de très bon aloi; mais, quand on baisserait chaque titre d'un degré, la ville d'Avignon et tout le comtat auraient encore en abondance des noms couronnés de perles et de fleurons. Eh! mon Dieu, dans le pays et à l'époque où nous vivons, un titre n'est-il pas devenu une sorte d'anomalie? Ducs sans duché, marquis et comtes sans marquisat ni comté, on ne voit que cela, et la philosophie se demande comment tant de gens encore ont assez de vieux levain contre la noblesse pour faire la guerre à des titres vides, à d'innocentes et inutiles armoiries. Le grand niveau de l'égalité a passé sur cette terre antique des Francs et des Gaulois. Il en a fait des pairs devant la loi. Acceptons les temps tels qu'ils arrivent; les murmures des louangeurs du passé et les récriminations des enthousiastes du présent ne constituent que des querelles d'enfans, bonnes à aigrir les cœurs, à perpétuer les rivalités. L'esprit de Dieu ne domine-t-il pas toute question humaine; et n'est-ce pas lui qui jette sur le globe ces mêmes évènemens qui nous révoltent ou qui nous réjouissent si étrangement? Aujourd'hui toute illustration, vient de l'individualité; que l'homme de cœur et d'intelligence se mette donc à l'œuvre, et, sans trop se préoccuper du passé, qu'il marche vers l'avenir avec courage et liberté.

Mais nous voilà bien loin d'Avignon. Puisque nous avons touché aux prérogatives purement honorifiques et par conséquent les plus innocentes du monde, arrêtons nos regards sur cette charmante église métropolitaine de la ville des papes, qui possède un chapitre de chanoines empourprés comme des cardinaux. Ne dirait-on pas au premier abord que sa sainteté, Clément VI, siége encore sur son trône à Notre-Dame-des-Dons, et qu'après l'office il va se rendre par les grands corridors gothiques à son palais pontifical pour y recevoir quelque ambassade d'Autriche ou d'Espagne? Il n'en est rien cependant. La seule autorité apostolique qui étende sa houlette d'or sur le comtat, c'est un archevêque nommé par les bulles du saint-siége, par le gouvernement français, et recevant du trésor royal et du département de Vaucluse de quoi subvenir à ses bonnes œuvres et à ses grandeurs. Mais telle a été la volonté du vénérable prélat : il a tenu à restaurer en métropole la chapelle des vice-légats, à reconstituer un chapitre fourré d'hermine et drapé de pourpre, et à obliger ces vieux chanoines à grimper tous les jours de la ville sur la montagne de Notre-Dame-des-Dons, afin d'y louer Dieu avec tous les mérites et toutes les éventualités d'un pèlerinage quotidien. Philanthropie à part, ce rouge chapitre est fort beau, assis sur ses stalles, dans ce chœur pontifical où l'élégance et le bon goût moderne ont remplacé les ornemens lourds et chargés qui l'écrasaient. Le siége de cérémonie de l'archevêque est surtout remarquable par sa noble simplicité. C'est une sorte de chaise curule en marbre blanc, sans la moindre sculpture, adossée au mur et surmontée d'un petit baldaquin d'où pendent en guise de frange une file circulaire de boules d'or. Ce siége rappelle l'époque byzantine, alors que l'archimandrite s'asseyait dans sa cathedra pour y recevoir l'abjuration de quelque gouverneur romain ou les vœux de quelque belle catéchumène.

En sortant de cette historique et jolie église de Notre-Dame-des-Dons, où dorment sous le marbre des papes du XIVe siècle, où les rois venaient s'agenouiller, où l'art moderne va jeter la lumière, la couleur et la vie sur toutes les voûtes de l'édifice, en sortant de là, déplorons la pensée anti-artistique qui éleva devant le péristyle de l'église cette masse de pierre et de bois qu'on appelle un calvaire. Quoi! ce colosse crucifié est le divin Jésus de Nazareth? Ces quatre bambins agenouillés aux quatre angles et portant chacun une lanterne, sont des anges?... Ah! Buonarotti, lève-toi; prends ton marteau, et viens briser cette parodie de l'art chrétien.

La roche immense sur laquelle sont bâtis cette église métropolitaine et le palais des vice-légats domine de tous côtés le Rhône ou le comtat. C'est le point culminant d'un des plus beaux panoramas du monde. On dit que sur cette même roche, sur l'emplacement de Notre-Dame-des-Dons, s'élevait, aux temps antiques, un temple consacré à Io ou plutôt à Bacchus (surnommé Io, nom qu'on donnait à un hymne en son honneur). On dit que les mariniers naviguant sur le Rhône avaient coutume, en passant devant le rocher qui baigne ses pieds dans les eaux du fleuve, de saluer le temple du dieu par ces mots : Ave Io, d'où les étymologistes veulent que le nom d'Avignon (Avenio) soit

dérivé. D'autres prétendent que le temple fondé par les Phocéens était dédié à Diane, et que le salut ave Io s'adressait à cette déesse appelée dans les hymnes grecs Iochaira, qui aime à lancer des traits (de ios traits et de chairein se réjouir).

A Dieu ne plaise qu'en redescendant dans la ville, je veuille vous parler d'un pauvre monument élevé depuis quelques années sur la place de l'Horloge et qu'on appelle le théâtre d'Avignon! Il a fallu certainement beaucoup de travail pour imaginer une façade d'un mauvais goût aussi achevé. En vérité, quand on prétend descendre des Phocéens, quand on veut absolument avoir une origine grecque, quand on s'appelle Avenio, il faut surtout le prouver par la pureté du style architectural, par l'harmonie et l'élégance des formes. Il y a, près de ce théâtre, une tour, dite de l'Horloge, qui date du moyen-âge, et qui fait honte, toute gothique qu'elle est, à cette lourde bâtisse qui ose singer l'Odéon athénien. L'art de l'architecture est-il donc décidément impuissant à l'époque où nous vivons? A-t-il définitivement tout donné à l'antiquité, au moyen-âge, à la renaissance et même à Louis XIV? Le vieillard a-t-il tout produit? n'y a-t-il plus avec lui une invention possible? Pensée affligeante ! Nous n'élevons aucun monument qui soit du XIXe siècle. Nous avons à Paris le Parthenon de la Madeleine, le Panthéon des grands hommes, l'OdéonPalais de la Bourse; puis la svelte et majestueuse Notre-Dame des rois de la seconde race; puis le Louvre des Médicis et de Louis XIV; enfin la colonne trajane dédiée à Napoléon. Cherchons quelque chose qui soit à nous. L'avezvous trouvé, monsieur? Quant à moi, je puis vous le dire: nous avons une grande quantité d'ingénieurs et d'architectes, tous parfaitement payés par le gouvernement et par les communes.

JULES DE SAINT-FÉLIX.

Revue Littéraire.

THEATRE-FRANÇAIS AU MOYEN AGE, publié par MM. Monmerqué et Michel (1). - Les origines du théâtre sont devenues, de nos jours, l'objet de nombreuses recherches, et, aux yeux de quelques érudits, les productions jusqu'ici peu connues de la scène française encore barbare, ont égalé, surpassé même les chefs-d'œuvre de l'antiquité, et ceux des grands siècles de la littérature moderne. Le théâtre du moyen-âge mérite-t-il donc d'être aussi naïvement admiré? Non, certes; mais s'il n'offre à l'art, sévère et cultivé, aucun élément qu'il faille adopter ou rajeunir, il présente du moins à la simple curiosité historique une source assez féconde d'investigations érudites. Il convient donc de signaler, en les encourageant, les publications qui mettent en lumière ces jeux, ces mystères, ces folies, que peu de personnes sans doute auront le courage de lire en ce temps-ci, mais qui méritent cependant une sorte de respect, puisqu'ils offrent l'expression long-temps admirée du génie littéraire d'une époque qui, à défaut de culture, eut une sorte de grandeur sauvage. Le volume publié par MM. Monmerqué et Michel offre un curieux et suffisant spécimen du génie théâtral de nos aïeux du x1o au XIVe siècle. Un catalogue, fait avec soin, présente, aux premières pages, une bibliographie dramatique du moyen-âge, et les titres des pièces relatées dans ce catalogue suffiraient seuls à donner la mesure de la valeur littéraire de ces informes compositions. Le gros rire de nos aïeux, en effet, n'avait besoin, pour s'émouvoir, ni d'observations fines, ni de véritable comique. De grossières plaisanteries contre les moines et les femmes suffisaient à dérider ces bourgeois, qui assistaient avec un égal intérêt à la représentation d'une farce ou d'un mystère. De pieuses tirades, maladroitement imitées de quelque livre saint, suffisaient aussi à leur

(1) 1 vol. grand in-8o; Paris, 1839, chez Delloye.

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