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l'équité devaient être restreints aux principes communs à toutes les nations civilisées, il serait sans utilité pratique au commencement de l'existence de l'État Indépendant du Congo. Ne peut-on pas dire que tout mode raisonnable de tester et qui n'enfreint pas les droits d'une personne est un mode équitable? Mais il n'est pas même nécessaire d'aller jusqu'à répondre à cette question. La question à trancher est: Que déciderait un tribunal belge dans des circonstances analogues? » Dans l'opinion du Président, un tribunal belge devrait décider - ou, en cas d'absence de la loi expresse, déciderait certainement - qu'un testament olographe est un instrument suffisant pour permettre d'exécuter les intentions du testateur. Les cas similaires jugés aux Indes montrent ce que les tribunaux anglais font dans des circonstances analogues. Le testament a été fait dans la forme requise par la loi congolaise et également dans une forme suffisante pour satisfaire aux exigences des 24 et 25 Victoria, chapitre 144, article 1er. Le testament du 18 septembre 1894 doit, en conséquence, être solennellement homologué, les frais à charge de la succession,

(Président, sir Francis-H. Jeune; plaidants, MM. Inderwick, Hume Williams et Bray.)

Malgré les termes formels du rapport cité plus haut qui, s'il ne constitue pas une loi, en a presque la même valeur étant donné l'autorité de ses auteurs, l'accord n'est pas parfait sur l'interprétation des mots « principes généraux du droit »; un juriste remarqué, M. Cattier, soutient un avis différent, et paraît déclarer que les autorités judiciaires ne doivent pas plus tenir compte de la législation belge que d'une autre législation.

« Mais que faut-il entendre par principes généraux du droit ? dit-il (1). Ce sont les principes juridiques qui

(1) Droit et alministration de l'État Indépendant du Congo, p. 342.

sont reçus dans la législation de la plupart des peuples de haute civilisation. Peut-être les juges considéreront-ils comme principes généraux du droit, les règles du droit romain, que l'on qualifiait autrefois de raison écrite. Ils ont, en cette matière, pouvoir d'appréciation. »

Et plus loin : « Les juges congolais peuvent-ils appliquer le droit belge dans le silence de la loi congolaise? Non, évidemment. L'union entre l'État Indépendant du Congo et la Belgique étant uniquement personnelle, les deux pays conservent une indépendance absolue de législation, et en droit il n'y a pas plus de raison d'appliquer au Congo la loi belge comme telle, que la loi allemande et que la loi russe. Les juges congolais ne pourraient même considérer exclusivement la loi belge comme l'expression des principes généraux du droit, principes généraux » supposent des principes reçus par la plupart des législations. »>

car ces mots «

M. Cattier, en décidant ainsi, s'est uniquement attaché aux termes mêmes de l'ordonnance et ceux-ci pris exclusivement, il faut le reconnaître, semblent justifier sa thèse. Mais, nous l'avons vu, ils ne peuvent être envisagés sans le commentaire qui en a été fait par les législateurs mêmes de l'État, or ils y ont donné un sens bien net et bien précis qu'on ne peut guère discuter.

Il y a cependant dans l'observation de M. Cattier une part de vérité. Il est bien vrai que la législation belge ne doit pas être appliquée comme telle, car s'il en était ainsi, il faudrait faire application au Congo de toutes ses dispositions qui ne seraient pas contraires à celles de la législation congolaise. Ce qu'il faut en

prendre seulement, ce sont les principes d'ordre général qui s'en dégagent, mais il faut en laisser de côté les détails d'application. En d'autres termes, la législation belge doit être pour le juge congolais ce que M. Cattier voudrait que le droit romain soit pour eux, et ils doivent lui donner la préférence à l'exclusion de toute autre, dans les questions qui sont diversement appréciées par les législations des États de « haute civilisation ». La pratique contraire amènerait une diversité funeste dans les sentences des tribunaux, et c'est pour la prévenir sans doute que le législateur a cru devoir signaler aussi formellement l'opinion qui a été rapportée. Au surplus, en fait, la jurisprudence des tribunaux congolais et la pratique judiciaire adoptée au Congo le prouvent assez, c'est la législation belge que les autorités judiciaires ont, jusqu'à présent, suivie, dans les cas régis par l'ordonnance du 14 mai.

33. Les coutumes locales.

Le champ d'application

des coutumes locales ne se borne pas au domaine que semble circonscrire l'ordonnance du 14 mai 1886. Ce n'est pas seulement pour le règlement des contestations qui sont de la compétence des tribunaux du Congo, et en cas de silence de la loi, qu'il faut en tenir compte. Dans des cas qui deviendront désormais de plus en plus nombreux, grâce à la réorganisation des chefferies indigènes sur les bases du décret du 3 juin 1906, et par la mise en pratique plus intense, plus formelle des droits des chefs locaux sur leurs gens, principalement dans le domaine de l'administration de la justice, les coutumes locales doivent être appliquées, non seulement à défaut de la loi de l'État, mais mème à la place des lois de l'État, et, comme le dit une circulaire

récente (1). « à côté de nos lois écrites» est consacrée « l'existence d'un droit coutumier indigène ».

La connaissance des coutumes locales est donc extrêment importante. Aussi une circulaire récente, celle que nous citions tantôt (16 août 1906) fait-elle un devoir à tous les fonctionnaires de l'État de s'appliquer

à leur détermination et leur étude.

Le décret (2), dit entre autres cette circulaire, consacre donc définitivement l'existence, à côté de nos lois écrites, d'un droit coutumier indigène.

L'importance qu'il lui accorde donne un intérêt nouveau à la connaissance de la coutume, et l'étude de celle-ci doit continuer à se poursuivre avec plus d'activité que précédemment.

Il n'est pas à méconnaître, en effet, que jusqu'à présent cette étude, qui est d'ailleurs très ardue et très complexe, n'a pas produit tous les résultats qu'on aurait pu attendre d'une collaboration générale, en cette matière, de tous les fonctionnaires de l'Etat.

Il importe que chacune de ces autorités s'emploie à déterminer les coutumes des différentes tribus disséminées dans les territoires où s'exerce leur action. Si chacune d'elles, dans la sphère spéciale de ses connaissances, dirige son étude sur l'organisation de la tribu, il n'est pas douteux que ce travail produira des résultats féconds. C'est ainsi qu'un magistrat s'attachera tout particulièrement à étudier la coutume dans ses rapports avec le droit, ce qui conduira ses recherches vers les principes régissant l'organisation de la famille, les droits du père de famille sur sa femme et ses enfants, les pouvoirs du chef indigène sur ses sujets et les moyens de coercition dont il use habituellement pour les faire res

(') La circulaire du 16 août 1906. - Bulletin officiel, 1906 p. 395. (2) Le décret du 3 juin 1906 sur les chefferies. Bulletin officiel, 1906,

p. 395.

pecter, les différentes infractions et les peines qui en constituent la répression, la dévolution des successions et les droits respectifs de chacun des membres de la famille en cas de décès de l'un deux.

Par contre, les autorités territoriales auront plus spécialement à s'occuper de l'organisation politique de la tribu, des liens de vassalité existant entre les différents villages qui la composent et les conséquences qui découlent de l'intervention des notables dans les affaires publiques, etc.

Tous les fonctionnaires et agents, quels qu'ils soient, se livreront à une étude de ce genre et transmettront le résultat de leurs recherches et de leurs constatations à leur chef hiérarchique, par l'entremise duquel il me sera adressé.

Lorsque ce travail aura été effectué dans les différents districts de l'Etat, il me sera permis de fixer de façon plus précise les principes qui doivent régir les rapports des chefs avec leurs gens et donner à ces rapports la sanction légale. Ces principes ont déjà été ébauchés par la circulaire no 41/f du 18 avril 1904, mais il importe que certains des points développés par celle-ci soient mieux précisés.

Mais peut-on tenir compte des coutumes locales sans restriction ni réserve? C'est la question que nous posions plus-haut.

Le rapport au roi interprétant l'ordonnance du 14 mai 1886 y répond en disant que les coutumes locales ne doivent servir de guide aux juges, que pour autant que ces coutumes ne soient pas en contradiction avec les principes supérieurs d'ordre et de civilisation.

Cette donnée que d'abord la loi ne renfermait pas, mais qui, à la vérité, allait de soi tant elle était logique et

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