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n'appliquer cette peine que dans les limites de la peine fixée à l'article 7 ?

Bien que la question, à notre connaissance du moins, ne se soit jamais présentée, il nous paraît que les tribunaux ne pourraient appliquer ces arrêtés; en effet, il n'appartient à ceux-ci que d'appliquer les lois et non de les modifier ou de les corriger, et réduire la peine d'une loi à la quotité qu'elle n'aurait jamais dû dépasser, c'est corriger la loi.

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14. Arrêtés d'exécution. Les décrets du Roi-Souverain réservent souvent au Gouverneur général le soin d'en déterminer le mode d'exécution. Les arrêtés du

Secrétaire d'État, pris eux-mêmes déjà en exécution de décrets, peuvent aussi remettre au Gouverneur général le soin de prendre de plus amples mesures de réalisation des dispositions de ces décrets.

Les décisions que prend dans ces cas le Gouverneur général sont aussi appelées « arrêtés ».

En cette matière les pouvoirs du Gouverneur général sont limités et déterminés par les décrets que ces arrêtés ont pour but de faire exécuter. Ils ne sont soumis en principe à aucune condition d'approbation ou d'autorisation, mais pour être valables et être rendus obligatoires, ils doivent rester dans les limites des décrets en vertu desquels ils sont pris, être nécessaires pour leur exécution, y puiser leur force obligatoire, et ne pas déroger aux lois et aux principes du droit existant.

Ils ne pourraient donc pas, sous prétexte d'en com

bler les lacunes, dénaturer la portée d'un décret, en prévoyant d'autres cas que ceux que ce décret a eu en vue de réglementer, ou en sanctionnant par des pénalités les dispositions d'une loi dépourvue de sanction pénale (1).

Un arrêté du Gouverneur général du 2 février 1897 (2) concernant les contrats de service entre noirs. et non indigènes, pris prétendûment en exécution de décrets et arrêtés sur la matière, fut déclaré non obligatoire par un jugement du tribunal d'appel en date du 4 avril 1899 (3) parce qu'il ne trouvait aucune base dans les dispositions législatives, et même y contrevenait.

Attendu, disait le jugement, que les arrêtés ou règlements d'exécution pris par le Gouverneur général en exécution d'un décret du Roi-Souverain ne peuvent avoir force obligatoire et être appliqués par les tribunaux que pour autant qu'ils restent dans les limites dudit décret, qu'ils y puisent leur force obligatoire et qu'ils ne dérogent pas aux lois et aux principes de droit existants;

Attendu que l'arrêté en examen a pour but d'assurer le respect des contrats de louage de service et d'empêcher l'embauchage des travailleurs; qu'il érige en délit et punit des peines établies pour l'embauchage le simple fait d'avoir pris un indigène à son service sans se munir d'une attestation du commissaire de district ou de l'ancien maître, constatant qu'il est libre de tout engagement;

Attendu que cette disposition ne trouve aucune base dans les décrets dont il assure l'exécution;

Qu'en effet, le décret du 8 novembre 1888 sur le louage

(1) Voir à ce sujet GIRON. Droit public de la Belgique, p. 119.
(2) Recueil mensuel, 1897, p. 85. — Voir aussi Recueil usuel.
(3) Jurisprudence de l'État Indépendant du Congo, t. I, p. 55.

de service punit l'engagé ou le maître qui ne tiennent pas leurs engagements et le maître qui ne justifie pas que le noir fournit son travail volontairement ; mais qu'il ne prévoit aucunement le cas d'embauchage;

Que le décret du 12 mars 1889 prévoit à l'article 3 et punit le fait d'avoir embauché des travailleurs régulièrement engagés par autrui, mais que cette disposition ne porte aucune dérogation aux règles générales de droit, selon lesquelles il appartient à l'accusation de prouver l'existence des éléments constitutifs de l'infraction et qui autorisent l'accusé à combattre l'accusation par tous les moyens de preuve consentis par la loi ;

Que, par l'arrêté en examen, au contraire, on établit une présomption de culpabilité contre le maître; en le considérant comme coupable d'embauchage jusqu'à preuve contraire, on l'oblige à fournir une preuve de l'inexistence de l'infraction et on lui interdit tout autre moyen de preuve, en dehors de l'attestation du Commissaire de district ou de l'ancien maître;

Attendu qu'une dérogation si grave aux principes de droit sur les preuves ne pouvait être établie par un simple arrêté d'exécution, mais qu'elle aurait dû être sanctionnée formellement par la loi;

Attendu, par conséquent, que le dit arrêté étant contraire aux lois générales et aux décrets mêmes dont il règle l'exécution, il ne peut avoir aucune force obligatoire et ne peut recevoir la sanction des tribunaux.

Examinant aussi la légalité de l'arrêté du 19 septembre 1904, dont nous avons parlé plus haut, le tribunal territorial de Matadi, par son jugement en date du 1er septembre 1905, le déclara également inexécutoire, en se basant sur cette considération que, en fait, cet arrêté sanctionne par une disposition pénale, les prescriptions du décret du 8 novembre 1888 relatif au contrat de service entre noirs et non indigènes, lequel n'édicte que

des sanctions civiles et que cela est contraire au droit conféré au Gouverneur général par l'article 7.

Attendu, disait ce jugement ('), que cette justification ne peut encore être trouvée dans l'article 7 du décret du 16 avril 1887;

Qu'en effet, si cet article donne au Gouverneur général le pouvoir d'édicter des règlements obligatoires de police et d'administration publique sanctionnés par des peines ne dépassant pas sept jours de servitude pénale et 200 francs d'amende, c'est en qualité de délégué du pouvoir administratif ;

Attendu que si la généralité des termes de l'autorisation donne la faculté de prendre des arrêtés même sur des objets non réglés par les lois, il est certain, cependant, qu'elle ne donne pas celle d'édicter des mesures ou des peines contraires aux lois;

Qu'en effet, pareille faculté ne peut émaner du pouvoir administratif dont la mission principale est de réaliser, en fait, les prescriptions que les lois décrètent en principe, que la justification de la peine fixée par l'article 4 de l'arrêté du 18 septembre 1904, ne pourrait donc, non plus, être trouvée dans l'article 7 du décret du 16 avril 1887.....

Mais le tribunal d'appel réforma ce jugement par celui du 31 octobre 1905 (1) en disant que la matière traitée par l'arrêté du 14 septembre 1904 est différente. de celle traitée par le décret du 8 novembre 1888, que ces deux actes législatifs ont des objets différents, et qu'au surplus cet arrêté est pris en exécution du décret du 8 novembre 1888 qui, dans son dernier article, accorde au Gouverneur général « le droit de prendre dans les limites du dit décret des règlements pour

(') Jurisprudence de l'État Indépendant du Congo, t. II, p. 80.

établir à quelles conditions les engagements doivent s'opérer ».

En effet, dit ce jugement, en édictant que les maîtres ou patrons doivent munir l'engagé d'un livret mentionnant les conditions de l'engagement, indépendamment de la forme du contrat de service et des paiements faits aux engagés, l'arrêté a établi une obligation aux maîtres ou patrons quant à l'exécution du contrat dans le but de constater ce qu'ils reconnaissent devoir payer aux engagés et ce qu'ils leur ont en réalité payé de manière à établir un compte courant entre les parties contractantes. Sans entrer dans l'examen approfondi de cette délicate matière, qu'il nous soit permis de dire que le jugement du tribunal d'appel tourne dans un cercle vicieux ou la matière de l'arrêté incriminé est différente de celle du décret du 8 novembre 1888 et le Gouverneur général ne pouvait la traiter que par une ordonnance ainsi que nous le disions plus haut, ou l'arrêté est pris en exécution du décret du 8 novembre 1888, et, en comminant des peines, là où le décret n'en apporte pas, il a dépassé les limites du décret dans lesquelles seulement le Gouverneur général pouvait prendre les «< règlements pour établir à quelles conditions les engagements doivent s'opérer ».

§ III. DATE ET CONDITIONS DE LA FORCE EXÉCUTOIRE DES LOIS DE L'ÉTAT INDÉPENDANT.

15. Conditions d'exécution des lois. Les actes législatifs posés par ces diverses autorités ne sont pas par eux-mêmes obligatoires. La volonté du Souverain a imposé, pour qu'ils le deviennent, une condition indispensable: leur publication. Cette condition réalisée, ces

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