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disparurent souvent devant les intérêts des partis et des ambitions personnelles. (Voir Annuaire 1858, p. 209.)

Jusques-là, cependant, cette opposition d'une nouvelle nature, composée, en réalité, de minorités de diverses nuances, ne s'était pas encore constituée, et n'avait pas rédigé son programme. Après la session de 1838, les hommes les plus considérables se rapprochèrent et se concertèrent. Tout en réservant, a-t-on dit depuis, la liberté réciproque de leurs opinions, les partis les plus opposés se réunirent sous un commun drapeau, sur lequel était écrit : renversement du ministère.

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Ainsi, dans le moment même où le pays jouissait de la tranquillité la plus profonde, peut-être, qui se fût manifestée depuis 1850, il régnait dans les régions de la politique une grande agitation, qui devait nécessairement faire évanouir cette tranquillité. A défaut de la tribune, débat était passé dans la presse, où le ministère du 15 avril était attaqué et défendu avec autant de vivacité que de chaleur. Ce que ses adversaires lui reprochaient, avant tout, c'était de n'être que l'instrument passif de la volonté personnelle du roi; ils en tiraient la conséquence que le gouvernement représentatif était faussé dans ce principe essentiel qui veut que le roi règne et ne gouverne pas.

Des sujets non moins graves de blâme venaient se joindre à ce premier reproche: on qualifiait de pusillanime, de compromettante même, pour la dignité du pays, l'attitude du pouvoir vis-à-vis de l'étranger; et l'on puisait dans l'évacuation d'Ancône, comme dans l'issue prévue de la question hollando-belge, des arguments à l'appui de cette accusation.

Un incident inattendu vint encore fournir une arme nouvelle aux ennemis du ministère la sépulture ecclésiastique avait été refusée aux restes mortels de M. le comte de Montlosier. On devait s'attendre que l'auteur du célèbre Mémoire à consulter, dirigé non seulement contre les jésui

tes, mais encore contre l'influence que le sacerdoce voulait reconquérir, éprouverait les effets du ressentiment qu'il avait dû faire naître ; mais comme les partis sont toujours injustes, on se prévalut de cette circonstance pour renouveler l'accusation déjà portée contre le ministère du 15 avril, de fermer les yeux sur les prétentions et les empiétements du parti-prêtre.

Avant même l'ouverture de la session, on discutait déjà sur la candidature de la présidence de la Chambre. M. Dupin était pour le ministère un ami au moins douteux ; mais il était en possession de cette présidence depuis longues années, et, pour les votants indécis, cette possession est souvent un motif déterminant. D'ailleurs, en se déclarant pour un autre candidat, le ministère s'exposait aux éventualités d'un premier échec, et se faisait peut-être de M. Dupin un ennemi redoutable. Le ministère parut donc disposé à soutenir sa candidature.

Les adversaires de l'intervention directe du roi opposaient à l'ancien président, M. H. Passy, qui s'était hautement déclaré pour la vérité du gouvernement représentatif, et la presse hostile au Cabinet soutenait de tout son pouvoir cette nouvelle candidature, en attendant que députés qui partageaient les mêmes principes, vinssent les faire triompher par leur vote.

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Le ministère Molé ne pouvait plus, désormais, s'abuser sur sa situation; une administration qualifiée d'insuffisante allait être attaquée de toutes parts, et comme il faut toujours des hommes pour mettre en action des principes, il était évident que sous les questions de principes qui allaient s'agiter, on trouverait nécessairement des questions de per

sonnes.

Ce fut dans cet état de choses que s'ouvrit la session legislative de 1838-1839.

17 Décembre - MM. les pairs et MM. les députés s'étaient rendus à leur place, présidés, les uns par le baron

Séguier, en l'absence de M. le baron Pasquier; les autres par M. de Nogaret, doyen d'âge. Dans la tribune réservée au corps diplomatique se faisait remarquer l'absence de M Lehon, ambassadeur de Belgique.

L'attention devait naturellement se porter sur le discours d'ouverture: on était impatient de savoir dans quel sens la couronne s'exprimerait au sujet des grandes questions qui occupaient si vivement l'opinion publique.

Le roi prit la parole au milieu du plus profond silence. S. M. commençait par déclarer que, depuis la dernière session, la prospérité de la France n'avait fait que s'accroître, et son repos s'affermir; que ses rapports avec les puissances étrangères étaient toujours aussi satisfaisants; que la France occupait le rang qui lui appartient dans l'estime de ses alliés et dans celle du monde entier.

Les conférences, ajoutait le foi, ont été reprises à Londres sur les affaires de la Belgique et de la Hollande. Je ne doute pas qu'elles n'aient une issue prochaine et pacifique, en donnant à l'indépendance de la Belgique et au repos de l'Europe, une nouvelle garantie. L'Espagne est toujours en proie aux mêmes déchirements, aux mêmes malheurs; nous continuons d'exécuter avec nos alliés toutes les clauses du traité de la quadruple alliance. »

S. M. rappelait que le gouvernement de la reine n'avai cessé de recevoir, non seulement les secours stipulés par les traités, mais encore tout l'appui que l'intérêt de la France permettait de lui donner. Elle espérait que les forces navales parties de nos ports termineraient bientôt nos diffé rents avec le Mexique et la république argentine.

Arrivant aux affaires d'Afrique, le chef de l'état s'applau dissait de la paix momentanée de l'Algérie et de l'affermissement successif de notre conquête.

Partout, continuait-il, les indigènes respectent l'autorité de la France, et obéissent, sans hésitation, à une administration régulièr

et équitable. La création de l'évêché d'Alger est un nouveau gage de la stabilité de notre possession.

Après quelques paroles sur la prospérité de nos finances et l'accroissement progressif du revenu public, le roi déplorait l'état de souffrance où se trouvaient quelques intérêts dont son gouvernement allait s'occuper activement.

Remerciant ensuite le ciel de la naissance d'un petit-fils, le comte de Paris, qui devait être élevé comme son père dans le respect de nos institutions, S. M. finissait par cette allusion aux difficultés du moment :

•Messieurs, l'état florissant de notre pays, dont je me suis félicité avec vous, est dù au concours si constant que les Chambres m'ont prêté pendant huit ans, et au parfait accord des grands pouvoirs de l'état.

N'oublions pas que là est notre force. Puisse cet accord devenir tous les jours plus complet et plus inaltérable.Puisse le jeu de nos institutions, libre et régulier tout-à-la-fois, prouver au monde que la monarchie constitutionnelle peut réunir aux bienfaits de la liberté la stabilité qui fait la force des états. »

Cette dernière phrase renfermait, pour ainsi dire, toute l'importance politique du discours du trône. Le vœu qu'elle exprimait devait être reçu au moins avec froideur par ceux qui se préparaient à ouvrir la lutte, et avec transport par ceux qui auraient voula l'éviter; aussi, les acclamations qui la suivirent furent-elles d'autant plus vives qu'elles n'étaient pas unanimes.

Ce fut sous l'empire de la préoccupation que devait faire naître le dernier paragraphe du discours royal et des intentions bien connues, auxquelles il faisait allusion, que les Chambres se réunirent pour se consti

tuer.

La Chambre des pairs choisit pour secrétaires MM. le marquis de Louvois, le comte Durosnel, le vice-amiral Halgan et le comte Turgot.

Dans la Chambre des députés, la formation des bu

reaux offrit un vif intérêt partout, les partisans du Cabinet se virent disputer le terrain : c'était le prélude de la lutte opiniâtre qui allait s'engager entre les partis.

Le 19 décembre, on procéda à la vérification des pouvoirs, puis ensuite à la nomination du président. Après trois scrutins de ballotage entre MM. Dupin et Passy sur 361 votants, M. Dupin réunit 183 voix, et M. Passy 178.

Ce résultat révélait, d'une manière évidente, deux faits importants: l'affaiblissement du ministère, et le mouvement de la Chambre vers le centre gauche, dont l'influence devenait de plus en plus incontestable.

Les vice-présidents furent MM. Calmon, N. Passy, Duchâtel et Cunin-Gridaine. On nomma secrétaires MM. Félix Réal, Boissy-d'Anglas et Bignon.

22 Décembre. Après avoir remplacé au fauteuil M. de Nogaret, doyen d'âge, M. Dupin fit entendre, dans une courte allocution, qu'il était libre de toute influence comme de tout engagement; il ajouta qu'il ne voulait être que l'homme de la Chambre, l'observateur impartial de son réglement et le défenseur énergique des prérogatives parlementaires.

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Chambre des Pairs. Ce fut le 26 décembre que commença la discussion de l'Adresse. Le calme et la confiance dont le projet était empreint, contrastaient singulièrement avec la disposition réelle des esprits. D'après ce projet, la Chambre regardait l'indépendance de la Belgique comme un droit reconnu par la grande famille européenne; déplorant les calamités qui pesaient sur l'Espagne, il faisait des vœux pour que le gouvernement continuât d'accorder au parti de la reine l'appui que les traités lui garantissaient.

Le dernier paragraphe, que l'on pouvait considérer comme la fidèle expression des sentiments de la majorité de

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