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ter à 1,500, au lieu de 1,000 le nombre des officiers, ce qui était à peu près le tiers du nombre existant. A l'égard du titre 4, on ne pouvait adopter, selon l'honorable pair, la division du nouveau projet, ni conséquemment admettre en principe que tous les nouveaux membres nommés aux divers grades recevraient un traitement à l'exclusion absolue des nombreux et si recommandables vétérants de toutes les gloires de la France.

M. le baron Pelet de la Lozère applaudit aussi à la proposition de M. le baron Mounier, sans partager entièrement ses idées. Dans sa pensée, sous un gouvernement représentatif dont les organes nécessaires étaient ce qu'ou appelle le pouvoir municipal, il était probable que, si elle ne réglait pas par des dispositions sévères la distribution des croix de l'ordre de la légion-d'honneur établi dans des vues de gloire militaire, de puissance au dehors et de force au dedans, ces croix seraient données dans des vues de puissance ministérielle. Ainsi loin d'élever les âmes, elles serviraient peut-être à les abaisser ; ce serait un résultat déplorable. Attendrait-on encore que la légion fût discréditée davantage pour chercher à la ramener à sa véritable destination? Ce retard ne pouvait qu'être nuisible.

M. le marquis de La Place, qui justifiait la prodigalitė impériale par les grandes actions sans cesse renouvelées, qu'elle était appelée à récompenser, cherchait à excuser aussi le gouvernement actuel par le grand nombre de croix accordées à l'armée dans les premières années qui avaient suivi les événements de Juillet.

« Non, disait-il, il n'y a pas eu profusion, car nous avons encore dans l'armée des officiers, des sous-officiers, et même des soldats qui ont fait les dernières campagnes de l'empire, qui y ont été blessés et qui ne sont pas décorés. »

M. Charles Dupin répondit au noble pair, qu'il n'avait

pas entendu blâmer les rémunérations militaires de l'empire, mais qu'il aurait désiré plus de distinctions civiles. L'intention qui l'avait inspiré, c'était la justice envers tous les régiments et envers la gloire.

M. Mounier parut de nouveau à la tribune. L'esprit qui présida, disait-il, à l'institution de la légion d'honneur avait survécu et était en rapport avec la forme de notre gouvernement; le serment de fidélité à l'empire avait remplacé celui de fidélité à la république; mais ce qui ne devait pas changer, ce qui avait surnagé, c'était la réunion en un même faisceau de tous les hommes distingués, et de tous ceux qui avaient rendu des services au pays. S'applaudissant d'avoir vu la Chambre prendre en considération son projet, l'honorable pair rappelait que l'ordre du lys, distribué à pleines mains par Louis XVIII, n'avait sabsisté que trois mois. Si donc on voulait assurer la durée de l'ordre de la légion-d'honneur, il fallait fixer le nombre des membres et donner la publicité aux choix nouveaux. Du reste, dans l'opinion de l'orateur, on ne pouvait pas séparer complètement les distinctions honorifiques des récompenses pécuniaires. Toutefois rien n'empêchait de modifier le système par des dispositions transitoires, pourvu que l'on ne portât pas atteinte à l'économie des dispositions permanentes.

Telle n'était pas l'opinion du ministère. M. le maréchal Soult voyait des dificultés insurmontables se présenter dans l'exécution du projet de loi. Ainsi, par exemple, l'art. 9, portant que l'ordre aurait un grand conseil composé de deux grands-croix, deux grands officiers, deux commandeurs, deux officiers et deux chevaliers, et que les brevets signés du roi et contresignés du grand chancelier, seraient expédiés en exécution des ordonnances de nomination, était inadmissible en ce qu'il soumettrait des nominations contresignées par des ministres respon

sables à l'examen et à la critique des personnes formées en commissions non responsables. Le maréchal ne niait pas g qu'il n'y eût quelque chose à faire pour la réforme de la légion-d'honneur, mais la question réclamait un examen plus approfondi ; quoi qu'il en fût, le Conseil du roi ne manquerait pas d'examiner cette proposition, pour juger, décider même, s'il y avait lieu, d'en faire l'objet d'un projet de loi, ou bien d'en faire le motif d'une ordonnance royale.

La discussion fut reprise le 4 juin par le maréchal duc de Reggio, qui promit à la Chambre d'employer toute son influence pour que la distribution annuelle de la décoration fût rigoureusement circonscrite, lors même que l'examen de la proposition serait ajourné.

M. le comte Desroys qui revint sur le remarquable discours de M. Charles Dupin, n'admettait pas, comme lui, que les croix fussent distribuées avec prodigalité dans l'armée. Tous les membres qui la composent travaillent pour la gloire et sont soutenus dans leur rude carrière par l'espoir d'obtenir une décoration rapportant 250 f. de pension. Dans la carrière civile, au contraire, c'est le petit nombre qui cherche à acquérir de la gloire, et si l'on en excepte quelques savants, tous les autres travaillent pour vivre ou pour augmenter leur fortune. Suivant l'honorable pair, loin d'enlever à la couronne le moindre de ses droits, la proposition Mounier les rétablissait sur une base plus équitable. Indépendamment des abus de l'empire et de la restauration, la révolution de 1830 avait eu à payer la dette nationale. La croix de juillet fut d'abord prodiguée, et quand elle eut cessé d'être ambitionnée, on distribua avec aussi peu de ménagement la croix de la légion d'honneur. Le gouvernement provisoire d'abord, puis les ministères qui s'étaient succédés avec une extrême rapidité, avaient tour à tour voulu récompenser les services qui leur avaient été rendus, lors de leur passage aux affaires; en

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outre, depuis la retraite du duc de Tarente, la place de chancelier de la légion-d'honneur n'avait plus été qu'une honorable sinécure en présence du pouvoir des ministres responsables. L'orateur ajoutait en terminant :

Voilà, Messieurs, une partie des motifs qui me font regarder comme obligatoire une loi qui renouvelle les bases d'après lesquelles l'institution de la légion-d'honneur devra être dirigée.

C'est dans l'intérêt de la conservation de l'ordre de la légion-d'honneur, c'est dans l'intérêt de la couronne, c'est dans celui des ministres mêmes, que je regarde cette loi comme indispensable; et lorsque la loi aura fixé une borne infranchissable, MM. les ministres auront une grande force pour repousser les demandes qui leur seront faites, et il n'est pas douteux qu'ils se tiendront dans des limites qui permettront an roi de récompenser les actions d'éclat; la loi pourra même les y ebliger, et la discussion des articles nous éclairera sur ce point.

De la part du roi, Messieurs, les abus dans la distribution des récompenses de cette sorte ne peuvent jamais être à craindre; il a un trop grand intérêt à conserver à cette institution toute sa valeur. Il n'en est pas de même des ministres, qui, n'étant que temporairement au pouvoir, n'ont d'autre intérêt que celui du moment.

• Louis XIV offrait un jour une somme considérable à un officier qui l'avait bien servi: «Je préférerais la croix de Saint-Louis, dit l'officier. - Je le crois bien, répondit le roi!»

Les raisonnements de l'honorable pair n'avaient pas convaincu M. le baron Charles Dupin, qui combattit de toutes ses forces les réductions de récompense que l'on voulait imposer au gouvernement de juillet. Dans l'origine, Napoléon avait admis 977 commandants; la royauté de 1850 n'en comptait que 829, et le projet de réduction les rédusait à 500, cela lui semblait inadmissible. Cette question, continuait-il, est une question gouvernementale de la plus haute gravité; et il faut se garder de la compromettre par un vote de chiffres arbitrairement posés, d'après des bases tout à fait erronées.

Tout en manifestant le regret de ce que le président du Conseil ne partageait pas l'avis du rapporteur, M. le baron Pelet de la Lozère, déclarait que la loi qui avait institué la légion-d'honneur avait été constamment violée, et qu'il

ne restait plus de cette loi qu'une dotation de 6 ou 7 millions à régulariser; le nombre de 15,000 légionnaires lui paraissait très suffisant.

M. Villemain, ministre de l'instruction publique, ne croyait pas à l'efficacité de la fixation d'un chiffre législatif en cette matière. La légion-d'honneur était un moyen de justice et un moyen d'action; appartenait-il à la Chambre des pairs d'en priver le gouvernement de Juillet ? D'ailleurs est-ce le nombre grand ou petit qui fait que les croix de la légion d'honneur sont bien ou mal données ? Quelques croix non méritées ne disparaissent-elles pas dans le - grand nombre? En outre, c'était aux yeux du ministre une erreur que de comparer l'ordre de St.-Louis, de la toisond'or et les chapitres d'Allemagne à l'ordre de la légiond'honneur, institution démocratique et nationale.

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Par là, ajoutait-il, elle appelle un grand nombre de membres : vous aurez beau le réduire, il sera encore excessif.

« Dites-moi quel est l'ordre de chevalerie qui s'est avisé d'avoir, au petit pied, 15,000 chevaliers sans compter les dignitaires? Il n'aurait pas vécu long-temps, il n'aurait pas été une hiérarchie privilégiée. Un nombre semblable ou supérieur n'est possible que dans un ordre qui s'appelle légion, ce qui constitue moins des privilégiés que des notables. Pour une grande nation, 15,000 notables pris dans tous les rangs et à tous les titres forment un bien petit nombre; et il serait injuste autant qu'impolitique, de ne pas vouloir le dépasser.»>

Dans la moyenne de mérite que suppose la croix-d'honneur, il y avait en France, selon l'orateur, plus de 50,000 personnes dignes de l'obtenir, et si tous ceux qui portaient cette croix n'en étaient pas dignes, cela tenait au défaut de contrôle et de publicité suffisantes, bien plus qu'à la quotité numérique. Abaisser ce chiffre, c'était tenter une chose qui n'était plus conforme à l'institution telle que le temps l'avait faite, et qui ne s'accorderait ni avec les progrès de l'avenir, ni avec l'intérêt politique du temps actuel. Ainsi, le ministre voulait que la croix fût sévère

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