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CHAPITRE PREMIER

DES ORIGINES JUSQU'AUX PREMIERS RÈGLEMENTS FORESTIERS (MILIEU DU XVI® SIÈCLE)

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Les sylvæ cæduæ des auteurs romains. Arbres à fruits, morts-bois. Les défends ou forestæ. La sylva minuta au début du moyen-âge. Le mot taillis, son origine. Ages d'exploitation fixés par les coutumes. Taillis revenants. Assiette des coupes sur le terrain par des alignements de baliveaux. Les LAIES, origine et acceptions successives de ce mot.

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L'origine du mot baliveau est inconnue. Les premières réserves dans la sylva communis de l'époque franque. Les baiviaux ou estallons des xine et xive siècles. Les règlements sur le balivage. Pérots, tayons, merriens. Origine et acceptions successives du mot merrain. Un taillis-sous-futaie en 1217.

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Les défends, devezes, vetats, banbois, embannies, etc. Le furetage des futaies. Défenses de couper les bois d'usage çà et là, les livrées seront faites par arpents (1318). Le rapport soutenu (1346). Le règlement de la forêt de Roumare, précautions à prendre pour assurer le repeuplement (1376). L'ordonnance forestière de Melun (1376).

Coupes extraordinaires de futaie au xive siècle. Ordonnances forestières de François Ier.

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$ 4. Les futaies résineuses de la montagne.

Les sapinières vosgiennes. Importance ancienne (xive siècle) des exploitations et du commerce des bois vosgiens. Les scieries, leurs marches ou affectations. Délivrance annuelle d'un nombre fixe d'arbres dans chaque affectation.

Les forêts du Jura. Droits d'usage très étendus des vassaux de l'abbaye de Saint-Claude.

Les forêts des Alpes. Capitulations des xv. et xvie siècles.

Les forêts béarnaises. Les fors du xe siècle. Bédats. Règlements des jurats. Etat d'abandon des forêts résineuses de la montagne,

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On peut faire remonter jusqu'aux Romains les premières notions de l'aménagement des forêts. Les anciens connaissaient parfaitement la propriété que présentent les arbres feuillus, surtout dans les régions à climat tempéré ou chaud, de se reproduire par bourgeonnement après une coupe, et ils possédaient certainement des taillis aménagés en vue de produire d'une façon continue des échalas ou du menu bois de feu. Ils appelaient ces forêts des sylvæ cæduæ. Pline nous apprend que les bois de châtaigniers étaient coupés à l'âge de huit ans et il ajoute qu'un jugère de taillis de cet âge fournit assez d'échalas pour vingt jugères de vigne. Le chêne se coupait à onze ans d'après le même auteur: « plus on le coupe, plus il produit ». Caton estimait que l'aménagement en taillis est la meilleure manière de tirer parti des forêts (1). Les Pandectes de Justinien mentionnent aussi les taillis que l'usufruitier est autorisé à exploiter suivant l'usage du père de famille (2), tandis que la coupe des arbres (grandes arbores) lui est interdite. La définition que donnent des bois taillis (sylvæ cædua) les commentateurs serait encore parfaitement acceptable de nos jours (3).

Nous ne connaissons aucun document qui jette la moindre lumière sur la façon dont nos ancêtres gaulois et gallo-romains ordonnaient les coupes dans les forêts, si tant est qu'ils se soient assujettis à une règle quelconque dans leurs exploitations. Nous savons cependant, par le texte des lois barbares des ve et vie siècles, que l'on distinguait, dans les forêts feuillues, deux catégories d'essences les arbres à fruits et les autres. Les premiers étaient ceux qui produisent des fruits pouvant

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(1) Cædua sylva ante arbustum et glandariam sylvam:

(2) Potest (usufructuarius) sylvam cæduam cædere... sicut pater familias cædebat (Ulpien, liv. VII, ad edict. provinciale) ff. livre VII, tit. I.

(3) Sylva cædua est, ut quidam putant, quæ in hoc habetur ut cæderetur... Servius eam esse (putat) quæ, succisa, rursus ex stirpibus aut radicibus renascitur.

servir à engraisser les porcs (1): les chênes, les hêtres, et ceux que nous appelons encore aujourd'hui les fruitiers. Les «< sine fructu arbores » furent désignés pendant tout le moyen-âge sous le nom de mort-bois ou morbois (2) (mortuum nemus, mortuus boscus).

Les forêts, à cette époque reculée, se trouvaient presque entièrement dans les manses seigneuriaux gallo-romains, les terres saliques franques. Les tenanciers allaient dans la forêt seigneuriale y prendre le bois de chauffage parmi les morts-bois, les arbres sans fruits; ils le prenaient, semble-t-il, sans délivrance. Les arbres à fruit, au contraire, et les grands arbres (materiamen) étaient réservés. La coupe des arbres sans fruits resta libre fort longtemps dans diverses provinces. C'est ainsi que la coutume de Bretagne (titre 25, art. 621) dit que l'enlèvement de bois non encore débité dans la forêt d'autrui ne constitue aucun délit, à moins qu'il ne s'agisse d'arbres portant fruit ou que la coupe n'ait été faite de nuit ou à la scie. En FrancheComté, des tolérances analogues subsistèrent de même jusqu'à la conquête française (3). La coutume lorraine a aussi conservé l'antique tradition lorsqu'elle oppose, dans son article 32, les arbres « fruitiers sauvages » aux autres (4). On peut croire que

(1) Nous avons suffisamment insisté, dans le premier volume de cet ouvrage, sur l'importance considérable qu'avaient dès l'époque gallo-romaine, pendant tout le Moyen-âge et une partie de la période moderne, l'élevage des porcs et le pacage en forêt. On appelait au Moyen-âge sylva nutrita, s. pastilis, s. saginacia, la forêt réservée pour le pâturage, par opposition à la s. minuta, affectée aux coupes de bois de chauffage.

(2) Vivi bosci ad ædificandum, mortui vero ad ardendum (du Cange). Une charte de 1189 dit: vivum nemus ad ædificandum, mortuum ad comburendum. Une charte de Philippe Auguste dit: Heremitæ deserti habent hebergamentum ad vivum nemus per livreiam (délivrance, assignal), et mortuum nemus ad ardendum sine livreid. Il n'y a du reste aucun doute que ce mortuum nemus n'était pas du bois mort, mais bien du mort-bois. Le coutumier du Nivernois dit expressément: Mort-bois est réputé bois non portant fruit et bois mort est bois cheu ou sec debout qui ne peut servir qu'à brûler. » La célèbre charte aux Normands de 1315, où se trouve une énonciation limitative des espèces à ranger parmi les mortsbois est très rigoureuse pour les usagers et il est certain que presque partout, durant tout le moyen-âge, ceux-ci enlevèrent sous le nom de morts-bois à peu près tous les arbres sans fruit dans les forêts feuillues, et non pas seulement les saules, épines, sureaux, genévriers et ronces.

(3) Voir plus loin, page 110.

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(4) Arbres sauvages fruictiers en ban et lieu fermé ne peuvent être coupez sans la permission du seigneur haut-justicier, »

sur les rives des forêts il se créa ainsi dès lors des séries d'assiettes où l'on venait successivement couper du menu bois de chauffage. Ces cantons s'appelèrent des sylva minuta, terme que l'on trouve déjà employé dans les lois barbares : « Si vero quis de minutis sylvis..... vegetum reciderit... » (Lex Alemanorum, tit. XXVI, art. 6.)

Les parties centrales des massifs d'où les tenanciers étaient exclus étaient des foresta, plus tard des defensa, vetata, banna, en français des défens, des deffois, des vétats, vedèzes, bédats, banbois, embannies, etc. On y prenait les bois de construction par coupes extraordinaires, mais elles étaient réservées, et très jalousement (1), pour la chasse et le pacage. Ce dernier, nous le répétons encore, possédait et a conservé jusque vers le xvi siècle une importance extrême (2) en forêt.

Si les grandes masses de forêts se trouvaient dans les manses seigneuriaux, il y en avait cependant aussi des cantons dans les manses serviles. Ces parcelles étaient toujours en taillis; les futaies ne se rencontraient que dans la forêt du seigneur, dont elles étaient, semble-t-il, caractéristiques (3).

(1) Voir Economie forestière, 1°r vol., page 336, et plus loin, page 101.

(2) Un texte de 851 nous décrit un domaine de l'abbaye de Gorze (près de Metz). On y voit de sylvâ ad saginandum porcos jornales C, de minutá sylvá jornales XXX. (Histoire de Metz par les Bénédictins de Sainte-Vanne, Metz, 1769.) Très souvent l'étendue de la forêt n'est pas indiquée, mais bien le nombre des porcs qu'on peut tenir au bois. Telles sont ces descriptions empruntées aux polyptiques des abbayes de Saint-Rémy à Reims et de l'église d'Autun (citées par du Cange): Sylvam ubi possunt saginari porci XX. Sylva III ad impinguandos porcos MM. etc. Voir aussi Economie forestière, 1a vol., pages 6 et suivantes.

(3) Un juriste du xvIe siècle, Le Bret, auteur d'un Traité de la Souveraineté (Paris, 1689), a émis cette opinion singulière, reproduite par plusieurs écrivains forestiers du siècle suivant, « qu'anciennement il n'y avait que les rois qui eussent le droit d'avoir des bois de haute futaie et personne ne pouvait en laisser croitre sans leur permission ». Nous avons voulu rechercher l'origine de cette croyance. Vérification faite, nous avons constaté que l'assertion émise par Le Bret au livre III, chapitre 3, de son ouvrage était basée sur la défense adressée par Louis le Débonnaire aux seigneurs de son temps de créer des forestæ nouvelles sans sa permission, c'est-à-dire de fermer aux tenanciers de leurs domaines de nouveaux cantons des forêts et de créer de nouvelles garennes. L'erreur de Le Bret provient d'une fausse interprétation du mot forestæ, et si nous la signalons ici, c'est d'abord parce qu'elle a éte reproduite par les auteurs des deux siècles suivants (Henriquez, Bonnet, etc.) et aussi parce que nous y trouvons l'écho de cette ancienne tradition que les futaies sont le naturel et digne ornement des massifs domaniaux. On peut rapprocher de ce qui précède la mention, faite par

Le terme de sylva minuta fit place, dans le cours du Moyenàge, à celui de talea, tailla, taillerum (1), d'où nous avons fait taillis (la coutume de Lorraine dit « taillier »). Ces mots dérivent du bas latin taillare, taliare, qui, d'après du Cange, signifiait couper, abattre. Un bois taillis c'est, à proprement parler, la renaissance d'une coupe récente, d'essences feuillues ou résineuses, en semis ou en rejets, et ce terme s'est conservé avec son sens exact jusqu'au commencement du XIX siècle (2). L'expression de taillis revenants se trouve employée dans la coutume de Bourgogne et dans des textes du xive siècle. pour désigner ce que nous appelons aujourd'hui des taillis aménagés. Celles du taillis en couppes (Nivernois), forêts de ventes (Troyes, Vitry), forêts en fruit (Berry), bois à couppes ordinaires (Boullenois) et d'autres encore se rencontrent dans nos anciens coutumiers provinciaux.

L'âge d'exploitation de ces taillis était fixé par un usage local auquel, sans doute, on ne dérogeait guère. Nous avons vu Pline conseiller de couper les taillis de châtaignier et de chêne à 8 et 11 ans. On coupa souvent des bois beaucoup plus jeunes encore. Pierre de Crescence, au XVIe siècle, conseille de les couper tous les cinq ou six ans au moins (3).

Sainct-Yon, d'un des châtiments qui frappaient autrefois le crime de lèse-majesté : le roi faisait abattre les bois marmentaux qui ornaient les abords de la maison du coupable.

(1) Le mot talea, avec le sens de taillis, se trouve dans une charte du roi Robert le Pieux, de 1028: Cum terris cultis et incultis... bannis et TALEIS, pascuis, etc. » (On remarquera ici l'opposition entre bannum et talea.) Les mots tailla, tailea, taillerum, apparaissent très fréquemment à partir du x® siècle. Une charte de Philippe-Auguste, de 1220, déclare: Si autem alta foresta vendatur, ubi concedimus dictis monachis de frigido monte pasturam animalium suorum.... non utentur ibidem illa pastura quousque TAILLERUM in tantum excreverit, quod de animalibus se defendere possit. Maulde (Condition forestière de l'Orléanais, page 75) mentionne un climat (canton) de la forêt d'Orléans qui s'appelait, au XIe siècle, le climat de la vieille taille ».

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(2) C'est Baudrillart qui est le premier coupable de la dénaturation du sens du mot taillis que nous avons pris l'habitude, répandue ensuite surtout par le Cours de culture des bois de Lorentz et Parade, de ne plus employer que pour désigner des peuplements de rejets. Dralet disait encore des taillis de sapin pour indiquer de jeunes repeuplements de cette essence.

(3) Pierre Crescenzi, né à Bologne, en 1230. Son livre, écrit en latin (Opus ruralium commodarum libri XII), était très répandu au Moyen-âge ; il a été traduit en français en 1373 par ordre du roi Charles V, qui fut, comme on le sait, un

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