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dégâts des météores ou des insectes. Si tous les vieux bois sont cantonnés sur un seul point de la forêt, un cyclone qui atteindra ce point les renversera tous à la fois, ce qui n'aurait pas été le cas s'ils avaient été répartis sur diverses parcelles. De même les incendies, qui sont surtout redoutables dans les très jeunes bois, pourront prendre une grande extension et devenir désastreux si tous ces jeunes bois sont d'un seul tenant. Certains insectes, comme le hanneton, se reproduisent surtout dans les jeunes coupes, particulièrement lorsque le sol en a été cultivé en vue de la régénération artificielle. En coupant de proche en proche, on facilite la multiplication de ces animaux, considération qui a suffi pour obliger à renoncer à cette pratique dans certaines forêts des terrains siliceux, dans plusieurs pineraies régénérées artificiellement de la Prusse du Nord-Est par exemple. Enfin, il est d'expérience constante que la régénération est beaucoup plus facile lorsqu'elle n'est poursuivie que sur de petites surfaces d'un même tenant à la fois ; à ce point de vue encore il y a un avantage réel à ne pas asseoir une nouvelle coupe à côté de la précédente avant que le repeuplement ne soit installé sur celle-ci. Cela est surtout important lorsque les coupes se font à blanc

étoc.

IV.

MESURES A PRENDRE POUR DIMINUER L'INCONVENIENT DE LA

COUPE DE PROCHE EN PROCHE.

Pour diminuer l'inconvénient de la coupe de proche en proche, on prit de très bonne heure le parti de diviser les grands massifs en plusieurs fractions, qu'on appelait des cantons, des contrées, des triages, qui correspondaient souvent aux limites des gardes ou garderies. Dans chacun de ces triages on créait une suite de coupes indépendantes; c'est l'origine de nos séries d'exploitation actuelles (1).

(1) Aujourd'hui le mot triage, conservé dans notre langage, n'a plus que le sens de garderie, étendue de terrain confiée à la surveillance d'un préposé. Dans certaines forêts, comme celle de Chaux Franche-Comté), on appelle triages les routes

Dans le même ordre d'idées on a imaginé le système des suites de coupes, dont la figure 1 nous donne un exemple.

Soit une forêt divisée en un certain nombre de parcelles A, B, C, D..., etc. Le règlement d'exploitation désigne, pour être réalisées pendant vingt ans à partir du début, les cinq parcelles

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H, F, E, M et A. Au lieu d'asseoir les coupes de proche en proche, d'une année à l'autre, dans chaque parcelle successivement, on divisera chacune de ces parcelles en quatre assiettes (délimitées sur la figure par un trait interrompu et désignées par des chiffres arabes). Les assiettes de la parcelle H recevront les numéros 1, 6, 11 et 16; celles de la parcelle F, les numéros 2, 7, 12, 17; celles de la parcelle E les numéros 3, 8, 13, 18, etc., et ces parquets seront successivement parcourus dans l'ordre de leurs numéros. On réalisera, par cette combinaison très recommandable, les avantages principaux de l'assiette de proche en ouvertes au xvine siècle pour délimiter les triages, c'est-à-dire les séries d'exploitation, et qui servent encore aujourd'hui, en partie, de limites aux séries de l'aménagement en vigueur.

proche, en même temps que ceux, souvent importants au point de vue de la facilité des régénérations, qui résultent de la faible étendue des coupes. C'est une méthode analogue que nous avons adoptée pour l'assiette des coupes de régénération par contenance dans la partie de la forêt domaniale de Haye dépendant du service de l'Ecole nationale des Eaux et Forêts.

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Les CHABLIS (1) sont des arbres déracinés et renversés par le vent. Par extension on désigne aussi sous ce nom les fragments d'arbres brisés par le vent, qui sont, à proprement parler, des quilles ou des chandeliers pour la partie de l'arbre restée verticale et attachée au sol, des volis pour les cimes ou parties supérieures des fùts détachées par la rupture de la tige. On appelle encore, de même, du nom de chablis les arbres brisés ou renversés par la neige, le givre, etc.

(1) Le mot chablis dérive d'un ancien verbe,chabler ou chapeler, qui lui-même provenait du bas latin capulare ou capellare. Ce dernier terme se trouve dans les lois barbares avec le sens d'arracher, « si quis caballo alieno caudam capellaverit, id est setas traxerit, etc. » Plus tard capulare signifia couper, briser: capulare, id est cædere, frangere (du Cange). Au XIIIe siècle, chapeler signifiait briser, et les mots capulatura ou capulatio désignaient une meurtrissure, une plaie provenant d'un choc.

D'autre part, nous voyons, au moyen-âge, le mot cabulus ou chadabula employé pour désigner une machine de guerre propre à renverser des murailles. Celui de cablicia désignait des branches d'arbres brisées par le vent. Les plus anciens textes français disent caables, chaables ou cables, « arbores versas, sive chaable », lit-on dans une ordonnance de Philippe-Auguste. Au xvi° siècle, ce mot appartenait encore à la langue usuelle (d'où il est sorti depuis) et chaplis signifiait choc. « Quand tu vois le hourt de deux armées, penses-tu... que le bruit si horrible qu'on y oyt provienne des voix humaines... du chaplis des masses (du choe des masses d'armes contre les armures), du froissis des picques, du bris des lances? » (Pantagruel, livre III, chap. xxIII.) Chauffourt, dans son Instruction sur le fait des Eaux et Forêts, imprimée en 1642, emploie (page 248) Texpression de arbres caables pour désigner les chablis. Froidour, en 1668, déclare « les arbres chablis, chables ou caables, qui ont tous même signification, sont les arbres abattus par le vent ». (Instruction, I, p. 20.) De nos jours encore, dans quelques provinces, on dit « chabler » des noix pour récolter des noix en les faisant tomber avec une perche. (Voir la note 3, page 143.) Le même radical se retrouve conservé dans notre verbe «< accabler », qui signific renverser, terrasser.

Les chutes de chablis occasionnent des pertes d'argent considérables pour les raisons suivantes :

1o Les bois rompus ou même simplement renversés sont dépréciés, soit parce qu'ils sont brisés, soit parce qu'ils sont disséminés, soit, au contraire, parce que, tombés enchevêtrés, les uns sur les autres, ils forment un amoncellement qui rend l'exploitation difficile et même dangereuse pour le bûcheron;

2o Les chablis résineux sont très exposés aux dégâts des insectes, par exemple du bostriche liseré pour le sapin, et, quelque rapidité qu'on apporte à l'exploitation, les chablis présentent toujours une forte proportion de bois piqués. Les dommages de ce chef sont souvent importants. Les dégâts sont encore bien plus graves lorsque, les insectes s'étant multipliés outre mesure, grâce au chablis, ils finissent par s'attaquer aux bois debout dont un grand nombre, ébranlés par le vent, ayant eu une partie de leurs racines déchirées, présentent une végétation languissante et deviennent un centre de reproduction très favorable pour les insectes (1) ;

3o La nécessité où l'on se trouve de façonner rapidement de grandes masses entraîne une hausse de la main-d'œuvre et une réduction correspondante de la valeur des bois sur pied en forêt;

(1) Le 6 novembre 1864 un vent formidable du Nord-Est s'abattit sur les forêts d'épicéa du Risoux (Haut-Jura). 89.000 arbres, cubant 33.000 mètres cubes, furent renversés en quelques heures dans ce massif de 2.200 hectares appartenant à six communes différentes. Malgré les efforts du service forestier, les communes propriétaires ne purent s'entendre à temps sur le mode d'utilisation, ni avancer les fonds nécessaires à l'exploitation de ces bois dont beaucoup restèrent gisants sur le sol jusqu'en 1870 et même 1871. Les bostryches (typographe et chalcographe) se multiplièrent à tel point, dans les arbres abattus d'abord, puis dans le massif épargné par l'ouragan, qu'ils firent périr, de 1870 à 1873, au Risoux, 138.000 arbres, cubant 41.800 mètres cubes, doublant ainsi au moins les dégâts du vent. De même, à la suite des chablis de 1902, dans les Vosges, une invasion du pissode du sapin, insecte jusqu'alors assez peu répandu dans nos sapinières, s'est déclarée sur divers points où elle a occasionné des dégâts sérieux. (Voir la note de la page 33.) Mais c'est surtout dans les peuplements d'épicéa des Hautes Vosges, ravagés par les chablis, que l'on a eu à subir des dommages de la part des bostriches. L'invasion de ces insectes obligea à abattre, dans les forêts soumises, durant le cours des années 1903, 1904 et 1905, la quantité de 23.200 épicéas, cubant 28.950 mètres cubes et valant 567.800 francs. L'épicéa occupe, dans les forêts soumises des Vosges, une surface d'environ 4.750 hectares et on peut évaluer à 1.400.000 metres cubes environ le volume total sur pied des bois de cette essence.

4° L'excès d'offre qui résulte des grandes chutes de chablis amène l'avilissement des prix.

Toutes ces causes réunies peuvent faire baisser les prix de cinquante pour cent, comme il est arrivé en 1902 dans les Vosges (voir Ior volume, p. 21), où les prix de vente, qui étaient de 16 fr. 30 le mètre cube de sapin sur pied (y compris les cimes), est tombé à 8 fr. 90 en 1902 (1). En 1903, dans les sapinières dépendant du service de l'Ecole nationale forestière, les coupes ordinaires (principales et intermédiaires) ont été vendues à raison de 17 fr. 80 le mètre cube en moyenne, et de plus de 22 fr. dans les coupes principales. Les chablis très abondants de la même année, quoique formés surtout de gros bois, mis en vente quelques semaines plus tard, ont produit 14 fr. 10 le mètre cube seulement.

En plus de ces pertes d'argent, les chablis ont l'inconvénient de jeter le trouble et l'instabilité dans l'aménagement dont les prévisions sont trop souvent complètement anéanties (2). Ils rendent

(1) L'ouragan des 31 janvier et 1er février 1902 a renversé,dans les sapinières et pessières soumises au régime forestier du département des Vosges, dont l'étendue est de 87.000 hectares, 1.233.000 mètres cubes de bois (un million deux cent trente-trois mille mètres cubes!) occasionnant une perte de plus de neuf millions de francs. Plus de 3.000 hectares ont été complètement déboisés. Le volume moyen des bois renversés à l'hectare sur les parties entièrement dénudées a été de 280 mètres cubes. Ce désastre est du reste sans précédent, de mémoire de forestier, dans notre pays. Voir, pour plus de détails sur les chablis de 1902, un article publié par M. de Gail, conservateur des forêts à Epinal, dans la Revue des Eaux et Forêts (volume de 1903, page 417).

L'Ecole nationale des Eaux et Forêts possède, dans son service, une série de la forêt domaniale des Elieux, dans les Basses Vosges, à l'altitude de 350 à 590 mètres, en terrain de grès vosgien. Cette série est peuplée de sapin presque pur (il forme 92 pour cent du volume des peuplements) avec quelques hètres en mélange ou plutôt en sous-étage, cette dernière essence ayant été, malheureusement, autrefois, l'objet d'extractions systématiques en vue de la faire disparaitre. La contenance totale de la série est de 436 hectares, son matériel total de 109.600 arbres de 0 m. 20 de diamètre et plus, cubant ensemble 140.300 mètres cubes.

L'ouragan du 1er février 1902 y a renversé 6.959 mètres cubes de bois, soit un vingtième du volume total du matériel. Les dégâts du pissode obligèrent à couper, en 1904 et 1905, un millier d'arbres secs et dépérissants d'un volume total de 1.100 mètres cubes. La forêt commençait à peine à se remettre de ce désastre que, le 12 août 1903, une nouvelle tempête y renversait, en quelques heures, 5.980 arbres, d'un volume total de 7.050 mètres cubes. Nous répétons que de pareils accidents, et surtout leur répétition à aussi bref intervalle, sont heureusement fort rares dans nos sapinières.

(2, Les chablis de 1902 ont entrainé la réfection des aménagements d'un bon

ECONOMIE FORESTIÈRE. — III.

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