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avait consenti à rester au ministère. M. le comte de Rigny, nommé ministre sans portefeuille avec entrée au conseil, était chargé par intérim du département de la guerre, auquel le roi appelait le maréchal Maison, alors ambassadeur en Russie. MM. Humann, Thiers, Guizot, Duperré, Persil et Duchâtel conservaient chacun leur portefeuille. Cette longue perturbation n'avait donc, au fond, amené aucun changement essentiel, aucune modification dans l'esprit du cabinet. Comme au mois de novembre, il paraissait sortir de la crise matériellement plus fort; mais, en réalité, une impression défavorable subsistait contre lui; et si le vice organique signalé par M. Odilon Barrot existait, on pouvait dire qu'il n'y avait pas été remédié.

Une solution étant enfin obtenue, les faits tombaient désormais sous le contrôle de la Chambre, et les ministres ne pouvaient plus refuser les explications qu'ils avaient cru devoir différer jusqu'après le dénouement; elles eurent lieu dans la séance du 14 mars.

M. Mauguin précisa ainsi les questions qu'il adressa aux ministres : « Pourquoi le ministère a-t-il été pendant trois semaines en état de dissolution avouée? Les dissentimens survenus entre les membres du cabinet portaient-ils sur la politique intérieure, sur la politique extérieure, ou sur l'ensemble du système? » Le ministre de l'instruction pu blique, dans sa réponse, attribua la conduite qu'avait tenue le ministère à sa détermination de rester scrupuleusement attaché au système qu'il suivait depuis quatre ans, de demeurer fidèle à ses relations politiques, et particulièrement à sa résolution de ne rien faire qui pût désunir, diviser la majorité parlementaire avec laquelle il marchait.

« Cette majorité n'est pas parfaitement homogène, disait l'orateur; elle travaille à se former et à s'unir de plus en plus; mais il faut prendre des soins, il faut ménager les situations, les susceptibilités; il faut écarter toutes les causes de trouble, de division qui pourraient s'introduire dans le sein de cette force nationale. Il faut surtout prendre garde de donner à telle ou telle portion de la majorité une prépondérance qui blesse une autre portion. Nous y avons constamment travaillé, nous avons fait de ce but la loi de notre

conduite. C'est de là, je n'hésite pas à le croire, qu'ont pu naître les embarras momentanés dont le pays a été témoin; toutes les fois qu'il nous a paru que les conséquences de tel ou tel acte, de telle ou telle conduite, de tel ou tel choix, seraient une rupture, une scission, un dissentiment, un affaiblissement dans le sein de la majorité, à l'instant même nous y avons renoncé, et nous avons préféré nous retirer des affaires, et les livrer à ceux qui promettaient une autre majorité au profit d'une autre politique.

» Voilà quelle a été la véritable règle de notre conduite, là cause vraiment politique, vraiment nationale de ce que vous avez vu. En voulez-vous la preuve la plus évidente? Dès que nous avons eu lieu de penser que telle combinaison, d'abord écartée, ne deviendrait pas un principe de désunion dans la majorité, qu'elle serait adoptée, appuyée par les mêmes hommes avec les mêmes idées, dans les mêmes sentimens, pour le même but pour lequel nous avons agi depuis quatre ans, à l'instant tous les embarras pour la recomposition du cabinet ont cessé; ces prétendues vanités personnelles, ces prétendues rivalités dont on a parlé, ont à l'instant disparu; et tous les arrangemens qui ont pu se concilier avec le maintien du même système, la fidélité aux personnes, la fidélité à l'ancienne majorité, ont été à l'instant même accomplis. »

M. Garnier-Pagès n'accepta pas ces explications; la crise devait être attribuée, selon lui, à la composition même du ministère, à l'absence d'une majorité, enfin à une volontéqui serait, disait-il, contraire à ce ministère et dont il ne croyait pas devoir parler en ce moment. Ilblåma ensuite la conduite des ministres qui avaient laissé pendant trois semaines la couronne à découvert et la France sans gouvernement. Il s'éleva encore vivement contre la démarche extra-parlementaire, extra-constitutionnelle, faite par les membres de la réunion tenue chez M. Fulchiron.

Cette attaque, à laquelle M. Jacqueminot (l'un des membres qui s'étaient trouvés chez M. Fulchiron) répondit en déclarant que la réunion avait agi en son nom propre et non point au nom de la Chambre, au nom de la majorité, détournait la question de son terrain; M. Mauguin l'y ramèna en renouvelant les questions précises qu'il avait déjà posées. Discutant ensuite les faits et les causes de la crise, et les élémens du ministère, il n'y voyait aucune garantie d'union et de stabilité. L'orateur assignait aussi en partie la dissolution du ministère à l'incertitude où l'on était sur la majorité, et cherchait comment il s'était reconstitué en présence de cette même incertitude.

Le ministre de l'intérieur répondit à ce second appel de

M. Mauguin. Le cabinet était convaincu que le principe essentiel du gouvernement était celui de la majorité. Son opinion à cet égard était si absolue qu'elle lui avait inspiré des scrupules excessifs. Il avait désespéré trop tôt de la majorité, il s'était retiré trop tôt, il l'avait reconnu depuis. Outre ces scrupules, la présidence du duc de Trévise, qui n'avait accepté le ministère que par un dévouement qu'on n'avait pu présumer devoir durer toujours, avait donné au cabinet une apparence de provisoire. Ces deux causes expliquaient toute la dissolution du cabinet. Le ministre nia ensuite positivement qu'une désunion dans le ministère eût contribué à le dissoudre ; il nia que la royauté fût restée à découvert et le pays sans gouvernement; la responsabilité individuelle de chaque ministre était là pour couvrir la couronne, et s'il fût survenu un événement qui eût rendu nécessaire l'existence d'un cabinet, ce cabinet se fût immédiatement constitué. Quant aux faits postérieurs à la dissolution du cabinet, le ministre déclara qu'il avait refusé d'entrer dans les premières combinaisons essayées, parce qu'il repoussait par conviction l'amnistie qu'approuvaient au contraire ceux qu'il aurait eus pour collègues. Il avait hésité aussi à entrer dans le ministère que M. le duc de Broglie avait été appelé à former, parce que ses scrupules sur la majorité le retenaient encore, bien qu'ils se fussent affaiblis; enfin les conseils de ses amis politiques, qui ne s'étaient nullement présentés au nom de la majorité, l'avaient déterminé.

Compté parmi les membres du tiers parti, M. Sauzet jugeait la solution de la crise comme l'avaient jugée les orateurs de l'opposition. Cette solution lui semblait provisoire. Il trouvait des élémens de dissolution dans le sein même du cabinet, il en trouvait aussi dans la position du ministère vis-à-vis de la Chambre et vis-à-vis du pays. Il traça ensuite un, long exposé des besoins et des voeux de la France en s'étendant particulièrement sur la question de l'amnistie.

L'objet des débats changea alors pour la seconde fois ; ce

ne fut plus sur la crise ministérielle, mais sur la politique générale et particulièrement sur l'amnistie, que portèrent les explications. Les ministres de l'intérieur et de l'instruction publique et M. Sauzet discutèrent tour à tour toutes les phases qu'avait parcourues la question, et tous les incidens qu'elle avait amenés. Les deux ministres qui persistaient à repousser la mesure par les considérations que nous avons déjà eu plus d'une occasion de développer, insistaient avec énergie pour que la Chambre fût formellement saisie de la question, pour qu'elle fût mise en demeure de se pronon, cer explicitement sur cette cause de perturbation, de dissentiment et de méfiance, afin que la situation respective de la Chambre et du ministère fût enfin nettement décidée. Mais M. Sauzet pensait que l'initiative comme la responsabilité d'une pareille mesure devaient appartenir tout entières au gouvernement.

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Dans la séance suivante (16 mars) le président du conseil, M. de Broglie, parut le premier à la tribune. Il passa rapidement sur la dernière crise ministérielle qu'il attribua aux choses et non aux hommes, puis il déclara sommairement quant à ce qui lui était personnel, qu'appelé le 10 mars par le roi, il avait subordonné entièrement sa résolution à celle de ses anciens collègues, consentant à accepter le ministère s'il les avait pour auxiliaires, refusant d'entrer dans le cabinet s'ils en devaient sortir.

On remarqua dans cette première partie du discours de M. de Broglie le passage suivant dont on crut pouvoir conclure qu'à l'avenir la présidence réelle du conseil serait exer cée par le président :

a Jeudi 12, le Roi m'a fait appeler de nouveau; j'ai obéi; ses ministres étaient près de lui; et là j'ai reçu du Roi, j'ai reçu de la confiance et de l'amitié de mes collègues, l'honorable mission d'imprimer au cabinet, autant qu'il dépendrait de moi, cet ensemble, cette unité de vues, de principes et de conduite, cette régularité dans l'ordre des travaux, dans la distribution des affaires, sans laquelle la vraie responsabilité ministérielle, la responsabilité collective, ne devient qu'un vain mot, et qui fait la force et la dignité des gouvernemens. »

Après cette déclaration l'orateur s'attacha à combattre l'opinion suivant laquelle le cabinet n'offrait aucune garantie de durée, parce qu'il portait dans son sein des germes de division et n'était pas en harmonie avec la véritable majorité de la Chambre. Sur le premier point, le président du conseil invoqua l'autorité constante des faits pour établir que les membres du cabinet avaient toujours fait preuve de l'union la plus intime, de la fidélité la plus absolue et la plus loyale; les prétendus dissentimens n'étaient basés que sur des allégations vaines et sans fondemens. Sur le second point, il n'admettait pas qu'il y eût une majorité réelle contre le ministère, une majorité qui invoquât l'amnistie, non pour son utilité intrinsèque, mais comme le symbole d'un changement de système, d'un système nouveau. Pourquoi le cabinet qui avait cherché à se constituer en arborant le drapeau de l'amnistie, n'avait-il pas réussi ? N'était-ce pas qu'on avait reconnu que la majorité de la Chambre serait contraire à la mesure? Pour sa part, l'orateur était convaincu que le système suivi pendant quatre ans avait la majorité dans la

Chambre.

Si je me suis trompê, disait-il, je ne regretterais pas d'en avoir fait l'épreuve. Le ministère, dont j'ai l'honneur d'être le chef, se trouve placé, selon moi, dans la position la meilleure, la plus digne, la plus désirable.

» Si la majorité l'adopte et le soutient, comme je l'espère, il remplira toutes les conditions d'un gouvernement parlementaire. S'il devait succomber, il succomberait avec honneur, en défendant ses principes, en défendant ses amis; il tomberait au sein d'une minorité imposante, nombreuse, homogène, unie dans les mêmes principes, ralliée autour d'un même drapeau, et ce serait à la majorité qui le renverserait à voir si elle réunirait les mêmes élémens de cohésion et les mêmes chances de durée. ( Au centre : Très-bien!) » Messieurs, la session, bien avancée quant au temps, ne l'est pas encore beaucoup quant aux choses. Plusieurs votes politiques vont se présenter avant peu. Ils se succéderont presque sans interruption. L'épreuve sera tentée plusieurs fois, bientôt, à plusieurs reprises. Si, toutefois, nos adversaires désiraient que l'épreuve fût plus prochaine, à eux permis; c'est un défi que nous ne leur portons pas, mais que nous accepterons de leur part. ■

Malgré toutes les assertions contraires des ministres de l'intérieur et de l'instruction publique et du président du conseil, un dissentiment dans le cabinet fut allégué par M. Odilon Barrot comme la cause de la dernière crise, Ce

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