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qu'elle renouvelât, pour ainsi dire, l'assentiment donné tout à l'heure au système ministériel. L'année 1835, en s'ouvrant, trouva cette lutte engagée; il s'agissait cette fois de l'amnistie, et à ce propos toute la politique du gouvernement allait de nouveau être soumise à l'épreuve d'une solennelle discussion.

Le ministre de l'intérieur (M. Thiers) avait apporté ( 1er décembre 1834) à la Chambre des députés un projet de loi tendant à ouvrir un crédit de 360,000 francs, qui devaient être appliqués à la construction d'une salle d'audience pour la Cour des pairs. Cette salle, dont, suivant le ministre, on sentait depuis long-temps le besoin, était devenue matériellement nécessaire pour que le grand procès des troubles d'avril pût être conduit à terme. En portant ce procès devant la plus haute juridiction constitutionnelle, devant celle qui offrait le plus de garanties d'indépendance et d'impartialité, le gouvernement avait satisfait à ce que voulaient la justice et la légalité, à ce que demandaient la sûreté de l'état et l'alarme publique, à ce qu'exigeait la nature même du procès. Aurait-il fallu suspendre l'action de la loi et le cours de la justice? Le ministre, en cherchant à résoudre ce doute, avait présenté quelques considérations dont il résultaît que le gouvernement avait désiré l'amnistie,' qu'il la désirait encore, qu'il l'avait jugée un moment praticable; mais que, pour diverses causes, il avait dû revenir depuis de cette opinion, et qu'actuellement l'amnistie paraissait impossible. i

Cette question de l'amnistie, qui avait entraîné la crise ministérielle du mois de novembre, et que la presse continuait d'agiter avec tant de vivacité, allait donc enfin être portée à la tribune et recevoir une solution législative. Effleurée seulement dans la courte session du mois d'août,' elle n'avait guère été plus approfondie dans les séances des' 5 et 6 décembre; déférée ensuite sous forme de propositions! aux bureaux de la Chambre (15 décembre), elle avait été,

après quelques débats auxquels les ministres avaient pris part, écartée par le refus d'autorisation de lecture prononcé à la majorité de huit bureaux contre un, et en quelque sorte réservée pour la discussion même du projet de loi actuel. Cependant la commission, chargée d'examiner ce projet, s'autorisant, ainsi que le donna à entendre M. Dumon, son rapporteur (24 décembre), de cette décision des bureaux pour laisser de côté, comme implicitement résolue dans un sens négatif, la question d'amnistie, n'avait discuté que des points d'architecture et d'économie; elle paraissait même avoir cherché à ôter au projet son caractère politique, son intérêt de circonstance, en proposant d'allouer, non pas un crédit de 360,000 francs pour la construction d'une salle d'audience destinée au procès d'avril, mais un crédit de 1,280,000 francs, pour l'édification d'une salle définitive des séances de la Chambre des pairs. On voulut voir, dans cette manière dont la commission posait la question, le désir, l'intention de décliner le combat sur le terrain de l'amnistie; on attribua aussi des motifs analogues à des remises et à des commutations de peines accordées, par ordonnance du 27 décembre, à vingt-neuf condamnés politiques qui, détenus au Mont-Saint-Michel, avaient fait preuve de dévouement et de courage au moment de l'incendie de leur prison. Toutefois, il n'était guère probable, en admettant que telles fussent les vues du ministère, qu'il pût atteindre son but et renfermer la discussion dans les étroites limites qu'avait tracées le rapporteur; le nombre et les noms des orateurs inscrits annonçaient assez que les débats seraient d'une nature et d'une portée plus hautes.

29 décembre. Auteur, conjointement avec d'autres députés, de la proposition d'amnistie dont les bureaux avaient refusé d'autoriser la lecture, M. de Sade, qui ouvrit la discussion, ne traita que cette seule question. S'appuyant des paroles mêmes qu'avait prononcées le ministre de l'intérieur en présentant le projet de loi, il établissait que tout le monde

était d'accord sur l'utilité de l'amnistie en elle-même, qu'on ne différait que sur l'opportunité, et l'orateur argumentait encore du tableau de tranquillité et de prospérité intérieures, tracé par les organes du pouvoir dans les derniers débats, afin de prouver que c'était le moment de prendre une mesure qui serait un indice de la force du gouvernement, ainsi qu'un gage de paix pour le présent, le présent, et de sécurité et de sécurité pour l'avenir. Le ministère craignait-il de paraître revenir sur son système? mais les moyens devaient varier suivant les temps si la répression avait dû être énergique quand les partis attaquaient avec audace, il ne fallait pas rester dans les mêmes termes, maintenant qu'ils étaient abattus, dispersés. On avait amnistié après toutes les grandes crises, après toutes les grandes révoltes, et les gouvernemens qui l'avaient fait n'avaient été accusés ni de faiblesse ni d'inconséquence. Le ministère craignait-il de paraître céder à l'opinion publique qui s'était prononcée ? mais c'était la condition, c'était l'avantage du gouvernement représentatif d'écouter l'opinion publique. Le ministère contestait-il cette manifestation de l'opinion publique? Sur quelques points, à Lyon, dans l'ouest, l'amnistie souleverait peut-être des murmures; partout ailleurs, elle serait accueillie avec acclamations. Le pays voulait le repos, il accepterait donc une mesure qui prouverait que les dangers étaient passés. M. de Sade ne voyait pas, d'ailleurs, comment on pourrait se tirer, autrement que par l'amnistie, des insurmontables difficultés de l'étrange procès qui avait envahi toute la France. Il critiquait vivement la manière dont le ministère avait engagé cette procédure. On aurait dû, suivant l'orateur, faire frapper immédiatement par la justice ordinaire les coupables pris en flagrant délit, et non pas sembler croire à une complicité entre tous les prévenus, et non pas proclamer un vaste complot, qu'il était fort douteux qu'on pût établir, et non pas recourir à des mesures qui obligeaient de venir déclarer à la France, à l'étranger, que la première pierre

de l'édifice destiné au jugement de prévenus arrêtés depuis neuf mois, n'était pas encore posée. M. de Sade soutenait ensuite que la proposition d'amnistie qu'il avait faite, n'empiétait pas sur la prérogative royale. Il fallait distinguer entre le droit de gracier individuellement, et le droit d'amnistier généralement dans des cas extraordinaires; le premier n'appartenait qu'à la couronne, le second ne pouvait être exercé que par les pouvoirs législatifs. « Que demandonsnous? disait-il; nous voulons un grand acte de réconciliation nationale: il faut donc que la nation soit appelée à s'y associer, et elle ne le peut que par la représentation nationale. >>

Après avoir dit que les partis voyaient dans l'amnistie un moyen plutôt qu'un but; que les uns la réclamaient parce qu'ils la regardaient comme une source d'embarras pour le gouvernement, et les autres parce qu'ils se faisaient scrupule de la repousser, bien qu'ils la condamnassent en eux-mêmes, M. Molin, abordant la question de droit et de doctrine, déclarait que le droit d'amnistier lui semblait en dehors et au dessus des prérogatives constitutionnelles du roi et des Chambres. Le roi pouvait faire grâce à un condamné; mais nul pouvoir constitutionnel, pas plus le sien que celui des Chambres, ne permettait, sous peine de despotisme, d'anarchie, d'usurpation flagrante, d'attentat à l'indépendance de la justice, à la démarcation des pouvoirs, condition nécessaire de l'ordre, de soustraire à l'action de la justice un prévenu dont elle s'était saisie, et sur lequel elle n'avait pas encore prononcé. En outre, la mesure semblait inutile en ce qu'elle ne rallierait pas les partis, et même dangereuse. Il était bon que les citoyens mal intentionnés, que les réformateurs à utopies généreuses, mais redoutables, que les conspirateurs sussent qu'après un attentat commis, personne n'avait le pouvoir de les enlever à la justice ni de suspendre le cours de la loi, et que la couronne seule pouvait étendre sur eux son beau droit de grâce quand la justice les avait frappés,

Second orateur inscrit contre le projet de loi, M. Pagès résumait ainsi en commençant les motifs qui le déterminaient à le combattre.

« Messieurs, le ministère vous demande, pour la Chambre des pairs, une prison et une salle d'audience provisoires.

» La commission vous demande une salle de séances définitive pour la Chambre des pairs.

» Sous quelque voile qu'on se déguise, on veut élever un palais à la justice politique.

» L'état de nos finances ne me paraît pas assez heureux pour accroître les charges actuelles.

» Des édifices appartenant à l'état peuvent être momentanément consacrés à la Cour des pairs.

» Les deux plans qu'on vous propose détruiraient l'harmonie, je ne dis pas du plus beau palais, mais du seul palais régulier de la capitale.

» Ainsi, comme question d'art, d'utilité ou de finances, je ne saurais accueillir ni l'une ni l'autre proposition. >>

La royauté, suivant l'orateur, avait besoin de la pairie; la pairie avait besoin de dignité; la constituer juge permanent et nécessaire des attentats politiques, c'était la réduire à la condition de Chambre étoilée, c'était compromettre sa renommée. Le projet de loi, qui tendait à ce résultat, tendait, en outre, à engager la Chambre élective.

« On vous demande bien moins, disait M. Pagès, de vous prononcer sur un monument que sur un procès. En votant la salle, implicitement et à votre insu vous vous formez en chambre d'accusation (exclamation négative au centre), et vous proclamez qu'il y a prévention suffisante contre les inculpés. Si tels n'étaient pas les motifs secrets du vote, il ne saurait avoir de prétexte réel, car vous voteriez un palais qui pourrait être inutile et sans objet.

>> En aplanissant les obstacles matériels que la Cour des pairs pourrait trouver, vous décidez que la Chambre actuelle ne suffit pas au jugement, qu'il la faut plus vaste, et par conséquent vous déclarez qu'à votre avis le nombre des accusés doit être très-considérable. »>

De plus, la chambre élective se prononcerait implicitement par ce vote qu'on lui demandait, contre l'amnistie. Examinant, à son tour cette grande mesure, l'orateur pensait qu'elle était le vou de la majorité, qu'elle était opportune et propre à donner la plus haute idée de la force et de la stabilité de la royauté. Les amnisties terminaient les révolutions, annulaient les partis, et consolidaient les gouvernemens en les faisant chefs du pays et non d'un seul parti. Le premier consul avait tendu une main aux républicains et

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